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À la découverte de l’univers betteravier chez l’oncle Sam

Des largeurs de travail de plus de 7 mètres, des arrachages

au finish, jour et nuit – à la lueur de projecteurs géants –,

des montagnes de racines stockées dans d’immenses frigos…

bienvenue dans l’univers des betteraviers dans la principale

région productrice, la Red River Valley, au centre nord des USA.

Temps de lecture : 9 min

Toute la nuit, le ballet des camions chargés de betteraves en direction des stations de réception, des bulls, des transbordeurs, tracteurs, arracheuses, effeuilleuses dans des champs dont on ne voit pas la fin… et cela va durer comme cela pendant 3 semaines, chaque année, au mois d’octobre ! Car à l’approche du 1er novembre, l’hiver s’installe et il n’est plus possible d’extraire du sol la moindre racine. L’hiver et le gel prennent alors leurs quartiers pendant plusieurs mois…

Voilà planté le décor dans la Red River Valley (états du Minnesota et du Dakota du nord), la région principale de la culture betteravière aux États-Unis.

Un petit poucet à l’échelle des USA…

La betterave est une toute petite culture au regard de la SAU totale de l’Amérique du Nord (370 millions ha), avec « à peine » quelque 500.000 ha et 4.000 producteurs, contre plus de 35 millions d’ha de maïs, plus de 34 millions d’ha de soja et plus de 20 millions d’ha de blé.

Il n’est reste pas moins qu’à l’échelle du globe, les USA se disputent avec la France la place de 2e producteur de betteraves sucrières, derrière la Russie.

… mais de grandes surfaces chez les planteurs

La surface betteravière cultivée par planteur Outre-Atlantique est de l’ordre de 100 ha en moyenne, avec des différences significatives selon les régions. Ainsi, dans la Red River Valley, où la rotation classique comporte du maïs, du soja et de la betterave, l’exploitation betteravière type compte en moyenne 200 ha de betteraves, sur une surface totale de 600 à 800 ha.

Des interlignes de 56 ou 72 cm, des semoirs jusque 48 rangs !

Le labour n’est pas une pratique fréquente car le froid hivernal est intense. Les préparations du sol sont souvent simplifiées.

Les semenciers commercialisent les variétés directement auprès des planteurs. Les ventes concernent essentiellement des graines enrobées, activées ou pas. « Le planteur peut choisir entre différents calibres, qu’il gère en adaptant les disques sur son semoir. Certains préfèrent des grosses graines, d’autres des petites », précise Sébastien Chaveron, product manager Betaseed. Quant au traitement de semences, l’emploi des néonicotinoïdes n’est soumis à aucune menace à ce jour. Le conditionnement consiste en unités de 100.000 graines, mais on trouve aussi des « big boxes » contenant 10 millions de graines.

Les betteraves sont semées de mars à mai, avec des densités de semis renforcées (1,4 unité/ha, voire davantage). « Le climat très continental de la Red River Valley, avec des hivers et des étés bien marqués, et des saisons intermédiaires très courtes, impose ce renforcement car les dégâts de gel à la levée ne sont pas rares : les ressemis peuvent atteindre jusqu’à 25 % des surfaces (en moyenne 2 % à 5 %). Une autre particularité vient de l’extrême rapprochement des plantes dans les lignes : 12,7 cm à 10,8 cm à peine, selon que l’écartement entre les rangs mesure 56 cm ou 72 cm !

C’est principalement l’humidité du sol qui décide de la date de semis. Près de 90 % des semis font appel à un engrais starter, de manière à stimuler le démarrage des cultures. Dès que les beaux jours sont là, la croissance et le développement s’emballent !

Le matériel utilisé est en rapport avec les surfaces, les semoirs peuvent compter jusque 48 rangs, avec souvent une trémie centrale et une fertilisation localisée au semis, soit une largeur de travail de quelque 27 m !

Cela fait de gros chantiers, mais ils sont nécessaires d’autant plus que les fenêtres météorologiques pour semer dans de bonnes conditions ne sont souvent pas très larges.

Adventices ? La « révolution » Round-up !

L’arrivée des OGM (voir aplat, en page 20) a complètement transformé les pratiques de désherbage. Fini les mélanges de substances actives et les passages répétés adaptés à la flore adventice, aux stades de développement, etc. « La conversion aux variétés tolérantes au Round-up a tout révolutionné en termes d’efficacité mais aussi d’organisation du travail. Le besoin de technicité a fait place à la simplification ! C’est le salarié de la ferme qui réalise le traitement au glyphosate en plein et sans trop se préoccuper de la météo, du stade des betteraves et des adventices, du salissement, etc. À noter que la plupart des agriculteurs appliquent aujourd’hui du glyphosate banalisé », poursuit Sébastien Chaveron.

Un bémol cependant. Au début, Monsanto affirmait qu’un passage suffisait, mais dans la pratique, on est plutôt à deux passages. Et de la résistance commence à se manifester chez certaines adventices, notamment dans la famille des amarantes !

La cercosporiose, de plus en plus problématique

La région, et particulièrement le sud de l’État du Minnesota, subit une pression croissante de cercosporise depuis quelques années. En 2016, ce pathogène a fait chuter les richesses moyennes de 18 à 15<UN>%. Le plus gros semencier américain de la betterave Betaseed, l’Université du Dakota du Nord et le service agronomique de la sucrerie de Southern Min notamment, sont très impliqués dans la résolution de cette problématique. Les planteurs n’ont d’autre choix, outre la tolérance variétale, de mettre en œuvre un programme de protection comportant au minimum 6 traitements, à base d’un arsenal de produits fongicides nettement plus étoffé que celui disponible en Europe.

La pression de cette maladie est parfois telle dans certains sites, la préconisation fongicide est de réaliser une première intervention avant la fermeture des rangs, soit au mois de juin ! C’est impératif car si on laisse la maladie s’installer, elle flambe.

Cette année, par exemple, certaines régions ont été fortement arrosées en août, perturbant ainsi la lutte fongicide. Cela se traduit par des parcelles très marquées par cette maladie.

En octobre, tout le monde est « aux betteraves » !

Si les prévisions de rendement sont conformes aux attentes, les planteurs coopérateurs de la sucrerie American Crystal Sugar Company, au nord de la Red River Valley, entament la récolte au 15 août. Jusqu’à la fin septembre, les arrachages progressent au rythme modéré des besoins de fonctionnement de ses 6 usines. Les racines extraites du sol sont aussitôt chargées dans les camions – propriété des planteurs – et livrées. Aucune betterave ne sera stockée en bord de champ.

Mais au début octobre, changement de décor. C’est le branle-bas de combat, les arrachages vont se poursuivre pendant 3 semaines, 7 jours sur 7 et 24 h sur 24. Toutes les surfaces restantes doivent être arrachées pour le 20-25 octobre, au plus tard. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’au-delà de cette date, le général Hiver reprend ses quartiers, accompagné d’un gel intense qui figera le sol pendant plusieurs mois. Cette courte période exige une logistique sans faille de la part de chaque planteur. La livraison immédiate des betteraves après arrachage n’est pas une mince affaire et mobilise énormément de main-d’œuvre pendant 2 à 3 semaines de travail extrêmement intense.

C’est aussi le moment où les sucreries ouvrent leurs stations de réception, et où la constitution d’énormes stocks peut commencer. Chaque sucrerie dispose en effet de grandes zones de stockage à côté de ses implantations, mais aussi de nombreuses d’aires de réception centralisée à proximité de ses différentes usines. Et c’est là que les agriculteurs viennent livrer leurs betteraves (lire en pages 22 et 23). Plus le siège de l’exploitation est éloigné de ces sites de conservation de plus ou moins longue durée, plus l’agriculteur devra disposer de camions et de chauffeurs pour effectuer les allers-retours du champ vers lesdites aires. Notons que le transport est à la charge du planteur : les planteurs livrent les betteraves jusqu’à la station de réception avec leurs propres camions

« À l’image des vendanges dans les régions viticoles, les arrachages d’octobre sont une période très particulière dans l’année, un moment festif qui fédère beaucoup de monde. On travaille dur, mais on est ensemble. Dans les petits villages, l’électricien, par exemple, fermera sa boutique et prendra ses congés, parce qu’il est « aux betteraves ». Il faut de la main-d’œuvre non-stop, sur les effeuilleuses, les arracheuses, les chargeuses, les transbordeurs et les camions… », poursuit le product manager de Betaseed.

Le matériel : simple, sans fioriture, mais de taille XXL

Le chantier type est en mode décomposé, avec une effeuilleuse tractée, souvent 12 rangs, et généralement pourvue de 3 rotors ; le 1er rotor doté de fléaux métalliques broie le plus gros du feuillage ; deux autres rotors munis de pattes en caoutchouc affinent la défoliation. Cet équipement est rarement doté de scalpeurs.

Les arracheuses sont à roues, avec un circuit de nettoyage court, des rouleaux de 14 cm diamètre, pas de turbines, une trémie de 4,5 t, pour un gabarit au transport de 7,46 m.

Les effeuilleuses évoluent dans les parcelles beaucoup plus rapidement que les arracheuses. Certains chantiers d’ailleurs se composent d’une effeuilleuse et de deux arracheuses. Les effeuilleuses les plus performantes aujourd’hui, par exemple chez Amity, approchent en bonnes conditions une cadence de 4 ha par heure !

Les arracheuses chargent directement dans les camions si les conditions de portance sont bonnes. Si les conditions sont plus difficiles, elles chargent dans des transbordeurs tractés de grande capacité (34 t) qui amènent ensuite les betteraves dans les camions en attente en bord de champ.

Avec des écartements entre rangs de 56 cm, les machines 12 rangs mesurent en largeur (6,72 m) environ 4 m de plus que notre matériel courant en Belgique à 45 d’écartement et 6 rangs (2,70 m).

Aux USA, la puissance minimale préconisée pour les effeuilleuses en 12 rangs s’élève à 150-180 ch, et pour les arracheuses, de l’ordre de 300 ch. Mais dans la pratique, les tracteurs sont souvent et logiquement plus puissants que les préconisations. Ce sont en effet les tracteurs de l’exploitation ; il ne s’agit pas d’engins loués ou achetés spécifiquement pour ce travail.

On observe l’arrivée de quelques intégrales, ces dernières années : un démarrage timide en raison d’un prix que les agriculteurs jugent très élevé pour un matériel qui s’intègre difficilement dans un parcellaire souvent de trop grande longueur.

D’une manière générale, si en Belgique, nous sommes des jardiniers de la terre, les farmers américains sont davantage des entrepreneurs de la terre ; vu la dimension de leurs parcelles, ils ne cultivent pas nécessairement les fourrières, ni certaines plages plus « compliquées » au sein de celles-ci.

Enfin, quelques indications sur le prix du matériel neuf, volontairement avare en électronique : effeuilleuse 12 rangs : 63-72.000 euros ; arracheuse 12 rangs : 135-162.000 euros ; arracheuse 8 rangs : 90-108.000 euros ; tracteur de 180 ch (devant l’effeuilleuse) : 153.000 euros ; tracteur de 360 ch (devant l’arracheuse) : 333.000 euros.

Et les rendements ?

Les rendements moyens dans la région varient de 65 à 75 t/ha, avec une richesse de 17 à 18 % en moyenne. Ce qui n’est pas négligeable vu la durée de végétation assez courte.

M. de N.

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