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Né un 16 octobre

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Drôle de date anniversaire ! Le destin m’a fait naître un 16 octobre, et dès lors, il était inscrit dans les astres que je serais agriculteur, car ce jour-là est déclaré « Journée Mondiale de l’Alimentation » depuis le 16/10/1945, date à laquelle fut créée l’Organisation des Nations Unies pour l’Agriculture et l’Alimentation, dans le contexte d’un après-guerre chaotique où la pénurie en nourriture faisait de nombreuses victimes dans l’Europe en ruines.

Difficile de l’imaginer en 2019, mais voici septante-quatre ans, les gens fonctionnaient chez nous en mode « survie », tandis qu’ils dysfonctionnent aujourd’hui en mode « gavage » et « pillage ». Nos grands-parents agriculteurs tenaient entre leurs mains le sort d’une population très mal nourrie, inquiète pour son alimentation, terrorisée à l’idée d’affronter une véritable famine. Durant quelques petites années, les paysans furent l’objet d’attentions respectueuses, car ils détenaient le pouvoir de produire des aliments, de fournir du blé pour le pain, des légumes, des fruits, du lait, des œufs et de la viande pour remplir tous ces ventres creux, afin de ressusciter une société exsangue. Hélas, au fil du temps, l’abondance retrouvée a vite rendu le bon peuple amnésique ; chacun sait que la gratitude dispose d’une très faible espérance de vie… L’Union Européenne, consacrée en 1958, a fondé la PAC en 1962, et l’agriculture a été insérée de force dans le grand modèle capitaliste. On l’a modernisée, rationalisée, élaguée de son caractère familial et paysan, pour constituer ce qu’elle représente en 2019 : un secteur très performant et très rentable pour beaucoup d’acteurs économiques et industriels, sauf bien entendu pour les derniers agriculteurs eux-mêmes.

La pénurie alimentaire de 1945 n’est plus qu’un lointain souvenir dans nos régions. Dans l’esprit des gens, nourriture et agriculture ne sont plus connectées en direct, tant la filière « de la fourche à l’assiette » s’est allongée démesurément. De nombreux maillons se sont intercalés entre les fermiers et les consommateurs ; commerces et transformateurs industriels ont capturé toute la plus-value, car les gens se fournissent principalement dans les hypermarchés. La filière est solidement tressée, indestructible, tentaculaire et invasive, comme le mycélium d’un champignon cultivé avec soin par la bureaucratie administrative et le monde politique.

Les agriculteurs ne représentent plus à leurs yeux qu’une quantité négligeable du point de vue électoral, invisible, inodore et insipide ; une variable d’ajustement dont ils ne savent parfois que faire, en dehors de cette fonction. On prête au Général de Gaulle les propos suivants, dans les années 1960 : « Le problème paysan, c’est comme celui des anciens combattants : tous les jours il en disparaît, si bien que la question va se régler d’elle-même ! ». Le grand Charles ne mettait jamais de gants pour livrer le fond de sa pensée, et sa prophétie s’est réalisée au-delà de ce qu’il imaginait. Les politiciens d’aujourd’hui manquent de franchise, mais aucunement de cynisme ni de machiavélisme. Ils connaissent parfaitement les réponses à nos problèmes, mais n’ont pas les « cojones », comme disent les Espagnols, de prendre le taureau par les cornes et d’améliorer un système qui satisfait une majorité, mais pressure et rançonne une minorité, en l’occurrence nous.

Nos hommes et nos femmes politiques ne manquent pas de toupet, quand ils affirment vouloir notre bien et dégager des solutions ! Ainsi, dans une interview récente accordée à La Libre Belgique, Willy Borsus clame haut et fort : « Je veux être l’artisan du sauvetage de l’agriculture en Wallonie ! ». Notez tout d’abord qu’il parle « d’agriculture », et non pas « des agriculteurs »« Les fermiers n’attendent pas de moi des mots, mais des résultats », affirme-t-il. Selon lui, les difficultés rencontrées par le monde agricole wallon sont de deux ordres : les critiques incessantes dont nous sommes l’objet, et l’extrême faiblesse de nos revenus financiers. Il a bien circonscrit ces deux problèmes, mais en oublie un troisième, terriblement pesant : la charge administrative que nous supportons et la foule des règlements et normes qui nous oppressent !

Willy Borsus entend bien revaloriser l’image de l’agriculture, par le biais pas très nouveau ni imaginatif des opérations « gentilles » et poudre-aux-yeux du style « Fermes en ville », « Journées fermes ouvertes », « Action viande », etc. Quant aux revenus, -aïe aïe aie ! –, notre Ministre Régional de l’Agriculture (et non des agriculteurs) compte sur « la capacité génératrice de la PAC à les assurer »(sic). On croirait lire un discours de Phil Hogan, l’ultralibéral ex-commissaire européen à l’Agriculture, quand il parle d’innovation, de recherches, de soutien aux initiatives privées, de circuits courts, de diversifications, de conversion au bio, etc. Il n’évoque à aucun moment le commerce équitable, un juste partage des richesses entre les différents maillons de la chaîne alimentaire!! Si les marchands et les industries agroalimentaires étaient moins gourmands, si les grandes centrales d’achat ne tiraient pas constamment les prix vers le bas, nos rentrées financières seraient bien meilleures et le problème des revenus agricoles serait réglé !

La famille libérale murmure à l’oreille du capitalisme, et notre ministre MR ne parle aucunement de tempérer les appétits féroces de la filière industrielle et marchande, d’ôter le droit au grand commerce de nous spolier sans réserve ! Voilà où nous en sommes en 2019, à fêter une Journée Mondiale de l’Alimentation, où l’on oublie complètement de parler de la destruction du tissu agricole traditionnel, celui-là même qui sauva l’Europe de la famine au lendemain de 40-45…

Naître un 16 octobre ? Comble de l’ironie pour un des derniers paysans wallons…

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