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La technologie au service

de pratiques écologiques et d’une agriculture résiliente

Lorsque l’on veut cultiver de façon moderne et durable aux Etats-Unis, le mieux est d’aller du côté de Harborview Farms à Rock Hall dans l’état du Maryland. Trey Hill et son père Herman sont connus pour leur vision écologique d’une agriculture résiliente. Il la pratique grâce à la technologie, à des pratiques écologiques et à des choix culturaux intelligents. « C’est nécessaire car le Maryland est se trouve du côté atlantique. Ici, le changement climatique est nettement plus sensible que dans le Middle West,

au centre des Etats-Unis », explique Trey Hill.

Temps de lecture : 10 min

Trey Hill a 43 ans et il est à présent le principal gestionnaire de Harborview Farms. Cette ferme existe depuis le début des années 1900. Le grand-père de Trey l’a reprise en 1940, et c’est sous son impulsion qu’elle s’est énormément développée. C’est alors que la ferme a pris le nom de Harborview Farms, sans doute parce que, de la ferme, on a vue sur le port de Rock Hall, dans la partie orientale de la baie de Chesapeake. Cette dernière est grande comme la moitié de la Belgique. Elle est englobée par les Etats du Maryland et de Virginie.

Une douzaine de personnes travaillent à Harborview Farms, chacun des membres de l’équipe a ses propres responsabilités, notamment dans la conduite des tracteurs.

La ferme fait à présent 5.260 ha. Les cultures principales sont le maïs, le soja et le froment. C’est une région où on ne cultive pas assez le maïs et le soja. Une bonne partie du Maryland (70 %) est utilisée pour la culture des engrais verts. « Le maïs est importé du Midwest (région centrale des Etats-Unis). Le soja de l’est d’Amérique du Sud. Le froment part en Pennsylvanie pour y être transformé, notamment en farine. La manière dont nous faisons de l’agriculture n’est pas conventionnelle, mais pas uniquement. Je considère que notre exploitation est durable, mais nous employons encore, provisoirement, des produits phyto classiques.» Harborview apparaît comme l’exemple que le non conventionnel peut fonctionner.

Engrais verts pour la stabilité du sol

L’exploitation veut améliorer l’écologie dans la partie orientale de la baie de Chesapeake grâce à un emploi massif d’engrais verts. Trey en implante depuis 20 ans sur tous les champs. Les avantages des engrais verts sont connus là-bas, comme ils le sont chez nous : amélioration des qualités du sol, moins d’érosion, moins de lessivage de l’azote dans les eaux de surface. « Et cela a marché car entre-temps, la baie de Chesapeake (grande comme 5 fois la Belgique) est devenue beaucoup plus propre. À un certain moment, elle était même considérée comme quasi morte, à cause des pollutions, urbaines, industrielles et agricoles. Tous les agriculteurs doivent avoir un plan de gestion de la fumure. Les efforts des fermiers ne suffisent pas, et l’amélioration se poursuivra du fait que certains problèmes de villes sont pris à bras-le-corps », ajoute l’exploitant.

L’utilisation des engrais verts assure une bonne augmentation des matières organiques dans le sol grâce au travail des vers de terre. « Ces derniers peuvent le faire parce que nous ne labourons pas et parce qu’il n’y a pas compaction du sol. Nous obtenons ainsi un sol stable avec une bonne structure d’agrégats. »

Il ajoute le geste à la parole : « Vous avez un sol en bonne santé quand vous ne vous salissez pas les mains en le pétrissant, en le malaxant. » Il estime que le fait d’augmenter la teneur en matière organique du sol est absolument nécessaire, car par nature, dans leur région, tout près de la côte, le sol comporte peu de matière organique.

Selon lui, il y a des avantages à laisser longtemps les engrais verts : ils empêchent la germination des adventices durant la saison, le sol retient bien mieux l’humidité et le rend nettement plus résistant à la sécheresse. « En plus, on stocke beaucoup de matières organiques dans le sol, ce qui est une des solutions pour le changement climatique. »

Une approche personnelle du semis et de la récolte

Les engrais verts sont semés dès que possible après les moissons qui sont effectuées en automne, de façon à ce qu’ils puissent déjà bien croître avant l’arrivée de l’hiver. Les semis peuvent se faire au semoir, ou à l’aide d’un avion. « Un tel semis est vraiment coûteux, mais c’est l’Etat du Maryland qui, heureusement, paie la facture. Ce dernier a un programme favorable aux agriculteurs. »

Au printemps, il est bien nécessaire de surveiller pour tenir à l’œil la pression des adventices et des ravageurs et d’intervenir à temps si c’est nécessaire. « Nous voyons revenir après bien des années des chenilles légionnaires dans nos champs. La cause? Nous avons semé pendant longtemps du seigle. »

Le fait de ne pas vouloir labourer les oblige à recourir au désherbage chimique, le plus généralement au glyphosate. Des insecticides sont également nécessaires pour lutter contre la légionnaire. «L’emploi des traitements chimiques constitue une option peu coûteuse, mais nous essayons chaque année d’en diminuer les quantités. Cela dépend d’un champ à un autre, car chaque champ demande une approche différente. »

Au printemps, la majorité des agriculteurs des environs tuent les engrais verts environ 4 semaines avant les semis de la culture principale. Trey préfère les laisser sur place et leur donner l’occasion de continuer à pousser. Les semis de maïs et de soja sont réalisés alors que, souvent, les engrais verts sont encore vivants, et on attend souvent jusqu’à deux semaines après le semis pour intervenir chimiquement contre les engrais verts. « En laissant les engrais verts le plus longtemps possible, leurs racines ont davantage le temps de pomper plus en profondeur les substances nutritives. Ainsi, le maïs et le soja auront certainement davantage de fertilisants à leur disposition durant leur période de croissance. »

Les semis du maïs et du soja se font déjà de cette façon depuis 10 ans. « Mais cela s’est fait par essais et erreurs. Le semoir a dû être adapté, et notre gestion des fertilisants a dû l’être également. Nous avons dû chercher une méthode pour apporter un peu d’azote à la semence. »

Ils ont remarqué en outre qu’avec cette méthode, il fallait un peu plus de temps pour que les plantules émergent. « Nous ne savons pas encore de façon certaine si notre technique procure plus de rendement que la méthode normale, c’est d’ailleurs pourquoi nous collaborons avec des scientifiques pour investiguer tout cela. »

De nombreuses espèces pour la résilience du sol

Trey Hill utilise des engrais verts en mélange. « En utilisant plusieurs espèces, on rend le sol plus résilient, mais il faut cependant réfléchir aux espèces à semer. Par exemple, le seigle et le maïs ne s’accordent pas car le maïs ne va pas beaucoup produire. On doit aussi créer un environnement qui est proche du milieu naturel. »

Ses mélanges comportent du radis, du trèfle, de la moutarde, mais aussi des céréales comme le seigle et l’orge. Nous semons aussi du colza pour attirer les abeilles. Cette espèce n’est pas tellement cultivée ici, nous essayons de composer des mélanges qui sont favorables aux pollinisateurs. »

Trey ajoute que de la recherche est effectuée dans sa ferme en ce qui concerne les engrais verts. Il collabore avec l’université du Maryland pour déterminer l’efficacité des différentes méthodes de semis. Le ministère américain de l’Agriculture (USDA) faut également des études sur les systèmes d’agriculture durable. L’objectif est d’aider les agriculteurs dans la décision à prendre sur les besoins en engrais verts, la dose à implanter et les meilleures dates de semis.

Energie solaire

L’énergie renouvelable est également importante si on veut réaliser une exploitation durable. Des panneaux solaires ont été placés sur 1 acre (0,4 ha). Ils produisent chaque année près de 390.000 kWh, soit l’équivalent de la consommation de 400 ménages dans l’Etat du Maryland, selon le service information de l’administration de l’énergie (Energy Information Administration (EIA). Trey a en tous cas suffisamment d’énergie pour couvrir les besoins de ses silos à grains, mais aussi pour les espaces bureautiques.

C’est un excellent début pour le Maryland, car 90 % de l’énergie est toujours de nature non renouvelable ? Cela dit, Harborview Farms reste connecté au réseau électrique normal.

Nouveau séchoir

Les grains doivent être séchés à taux suffisant pour se conserver durant de longues périodes. La ferme dispose de deux grands séchoirs. Généralement, on emploie le propane pour le séchage. Toutefois, un programme d’efficience énergétique agricole a permis de remplacer un séchoir polluant par un nouveau, fonctionnant à l’électricité. L’économe annuelle en propane a atteint 121.000 litres, l’économie en électricité est nettement moindre : 3.200 kWh.

La gestion de l’eau

L’eau est un élément essentiel dans une ferme. Une citerne à eau de pluie de 41.000 litres a été construite à Harborview Farms. C’est la réserve d’eau pour les pulvérisations.

La pollution est également combattue, aussi bien les pollutions ponctuelles que les chroniques. Pour les ponctuelles, ils ont mis en place une sorte de trottoir autour du local phyto, le bétonnage des stockages des produits pétroliers afin de récupérer les fuites qui sont par la suite éliminées. Enfin, un sol en pente a été prévu pour nettoyer à l’eau. Celle-ci est ensuite récupérée et filtrée, ce qui permet de la réutiliser. La prochaine étape, ce sera un bioréacteur pour encore améliorer l’épuration de l’eau pour la rendre compatible dans leur agrosystème.

Agriculture de précision

La famille Hill innove dans la rotation des cultures, elle le fait également au niveau de la gestion des champs. Trey Hill : « C’est absolument nécessaire vu les mauvais prix que nous recevons pour le soja. Nous devons réduire nos dépenses de 20 %. » Pour y arriver, il mise sur la technologie, l’agriculture de précision et les données satellitaires. Il veut être un acteur de changement. Un logiciel de gestion conçu pour la ferme l’aide à s’occuper de toutes les activités de la ferme, comme les schémas de semis et de plantation, les applications d’engrais, les frais et les inventaires. Les travaux de tous les employés et collaborateurs peuvent ainsi être synchronisés pour faciliter les activités. Des notes et des photos peuvent être téléchargées pour faciliter les prises de décision.

Tous les semoirs, pulvérisateurs et épandeurs de fertilisants sont reliés à la technologie GPS, et l’utilisation est améliorée par l’emploi de photos satellites d’Encirca, un produit de Pioneer. Avec Encirca, on peut épandre au bon endroit la quantité d’azote nécessaire à la culture, pour limiter les risques de pertes de fertilisant. Lors de semis, les différences de qualité des sols sont perçues par des capteurs de Precision Planting pour déterminer la position de la semence et faire varier l’entraînement du semoir, en fonction du type de sol, de la température et de l’humidité. La combinaison de tous ces éléments améliore la précision du semis, l’énergie germinative et finalement le rendement.

Encirca

Encirca fournit quotidiennement des images et des rapports sur la santé des cultures, et permet de maîtriser les cultures au mètre près. Les images les aident à se focaliser sur une bonne surveillance. « Nous avons encore d’autres armes pour mesurer la variabilité et les circonstances au champ, comme le système de détection des cultures Greenseeker de Trimble. Celui-ci utilise l’infrarouge pour mesurer et quantifier la variabilité en temps réel. Après la mesure, on met en place un plan pour traiter la variabilité. Nos systèmes enregistrent avec précision les cartes des champs et des rendements pour nous aider dans la prise de décision ultérieure. La connexion AFS (Advanced Farming Systems) de Case-IH synchronise automatiquement les systèmes de mesure et nous avons directement accès à tout, des cartes de rendement aux systèmes de diagnostic des moteurs. Nous pouvons mieux nous adapter aux conditions changeantes et aux circonstances imprévues.

ForwardFarming

L’orientation d’Harborview Farms, pousse les dirigeants à tenir compte au maximum de la nature. C’est ce qui a incité la société Bayer à leur proposer de présenter le concept ForwardFarming en Amérique. Les efforts faits en matière d’énergie, les soins au sol et l’attention à la réduction de la pollution sont une base parfaite. Trey Hill : « J’ai signé un contrat selon lequel on peut venir organiser une visite 4 fois par an. Des experts peuvent venir également parler, par exemple, de la santé des sols ou de technologie. D’un autre côté, je ne suis pas obligé d’employer tous leurs produits. J’utilise certains de leurs fongicides, mais rien ne m’empêche de choisir des produits d’autres firmes.»

En revanche, la firme est certainement à l’écoute de ses ambitions pour l’avenir : « Je voudrais encore améliorer les rendements entre 10 et 15 % et poursuivre dans le sens de la durabilité. Je vais continuer à réfléchir pour diminuer les coûts. Occuper plus de terres, ce n’est pas une option. Ici, la compétition pour la terre est assez élevée. Pour acquérir un acre (0,4ha), il n’est pas rare de devoir débourser 10.000 dollars, soit 25.000 dollars pour un ha. »

D’après M.V.

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