l’élevage »
écologiste luxembourgeoise Tilly Metz, co-rapporteure
d’un règlement qui agite l’hémicycle.
Tilly Metz, vous avez été la présidente de la commission d’enquête sur la protection des animaux pendant le transport (Anit) du parlement européen, créée en septembre 2020. Rappelez-nous ce qui est ressorti de ses travaux...
Nous avons mené de nombreuses auditions auprès de spécialistes, d’ONG, de compagnies de transport, d’éleveurs ainsi que d’experts de la commission. Parallèlement, nous avons effectué de multiples visites de terrain, notamment à l’aéroport de Schiphol et dans un élevage porcin au Danemark. Ces déplacements nous ont permis de constater que la législation européenne en matière de transport n’était pas correctement appliquée. Nos observations confirment les dysfonctionnements déjà identifiés dans ce domaine. Sur cette base, nous avons formulé des recommandations précises visant à améliorer la réglementation en vigueur depuis 2005.
Quels sont les grands constats que vous avez pu établir à l’issue des travaux de la commission d’enquête ?
Nous avons constaté une grande souffrance animale liée aux températures extrêmes, à la durée excessive des trajets et au manque d’espace, en particulier pour les animaux dits « vulnérables », ceux qui sont en fin de carrière ou non encore sevrés, dont le système immunitaire reste fragile. Nous avons également relevé que les personnes chargées de l’encadrement des animaux ne disposaient pas d’une formation adéquate. De plus, les systèmes d’abreuvement et de ventilation se sont révélés défaillants.Nos conclusions soulignent la nécessité d’une nouvelle réglementation, plus claire et exigeante, intégrant une traçabilité renforcée des trajets afin d’empêcher certaines compagnies de contourner les contrôles par des détours stratégiques. Il est impératif de garantir un meilleur bien-être animal, en s’appuyant sur les connaissances scientifiques les plus récentes. Une majorité du parlement s’est d’ailleurs prononcée en faveur de l’utilisation des recommandations de notre commission comme base pour l’élaboration d’une nouvelle réglementation sur la protection des animaux pendant leur transport.
Les choses se sont pourtant aujourd’hui compliquées au sein de l’hémicycle. Comment l’expliquez-vous ?
Ce dossier relève d’une co-compétence, ce qui implique la présence de deux rapporteurs, le démocrate-chrétien roumain Daniel Buda pour la commission de l’Agriculture (Comagri) et moi-même pour la commission des Transports et du Tourisme (Tran). Le seul point de convergence trouvé entre nos équipes respectives concerne le renforcement de la surveillance de tous les moyens de transport équipés d’un système GPS, ainsi que la nécessité d’une meilleure formation des personnels encadrant les animaux. En revanche, nous demeurons en désaccord sur les aspects essentiels que sont la limitation de la durée des trajets, l’espace minimal alloué à chaque animal, les températures maximales tolérées et les conditions du transport maritime. Nous laissons la main aux rapporteurs fictifs en sachant que la route sera encore longue.
Nombreux sont vos collègues qui ne souhaitent pas toucher à la réglementation actuellement en vigueur en raison du surcoût qu’elle occasionnera. Que répondez-vous à vos détracteurs ?
Je suis régulièrement contactée par des transporteurs, eux-mêmes demandeurs de nouvelles règles, afin que tous soient soumis aux mêmes standards. Certaines compagnies ont consenti des investissements importants pour moderniser leurs véhicules, tandis que d’autres continuent d’ignorer totalement la dimension du bien-être animal. Si l’on souhaite véritablement l’améliorer, il est indispensable d’investir dans des infrastructures adaptées. C’est un coût certes réel, mais apparemment tout à fait maîtrisable. Des études d’impact réalisées par la commission l’ont démontré.
Quelles sont les réactions des agriculteurs que vous avez rencontrés ?
J’ai été bourgmestre d’une petite commune rurale et j’ai énormément appris au contact des agriculteurs, avec qui j’ai toujours entretenu des échanges très constructifs. Aucun éleveur n’accepte de gaieté de cœur ce qui arrive à ses veaux lorsqu’ils sont transportés à des milliers de kilomètres de leur ferme.Les jeunes agriculteurs luxembourgeois avec lesquels je dialogue sont eux-mêmes favorables à l’interdiction de l’exportation d’animaux vivants en dehors de l’UE. Nous avons des alliés au sein même du monde agricole. Nous nous battons pour la même cause, veiller à ce que les animaux arrivent en bonne santé, et non amaigris ou blessés. Il s’agit de la crédibilité des institutions européennes. Une majorité de citoyens réclame davantage de bien-être animal. Cette tendance est confirmée par les résultats de l’Eurobaromètre.
Envisagez-vous éventuellement un accompagnement en cas de modification de la réglementation ?
Il est évident qu’il est nécessaire de prévoir des phases de transition. La révision des normes concernant le transport des animaux entraînera inévitablement des ajustements au niveau de la Pac. Un tiers du budget de l’UE est alloué à l’agriculture. Ne pourrait-on pas en consacrer une partie à soutenir le développement des abattoirs de proximité en Europe ? Cela permettrait non seulement de créer des emplois, mais aussi d’apporter une réelle valeur ajoutée aux produits.Il faut par ailleurs prêter attention aux avis des experts du Giec qui recommandent clairement de réduire la consommation de produits d’origine animale sans quoi nous n’arriverons pas à atteindre nos objectifs en matière de climat.
Ne craignez-vous pas de vous mettre à dos le secteur agricole en tenant de tels propos ?
Non, je dis clairement qu’il faut rendre l’agriculture plus compétitive et, surtout, lui garantir un avenir. Il ne faut pas adopter une vision court-termiste. Les agriculteurs doivent se diversifier et réduire leur dépendance à l’élevage. Il est crucial de diminuer notre consommation de viande.Au Luxembourg, nous sommes fortement dépendants de la production laitière, mais ceux qui s’en sortent le mieux sont ceux qui ont su diversifier leurs productions ou se tourner vers d’autres activités, comme les fermes pédagogiques. Il est impératif d’accompagner les agriculteurs dans cette transition. Tout changement effraie, mais pour atteindre nos objectifs climatiques, il est indispensable de repenser l’agriculture de demain, avec moins de pesticides et moins d’élevage intensif.
N’est-ce pas un discours éloigné des réalités de terrain ?
Je ressens à la fois de l’inquiétude et de l’incompréhension, car s’il y a bien une chose dont toutes les industries ont besoin, c’est de prévisibilité. Au Luxembourg, nous avons la célèbre procession d’Echternach (où l’on sautille de trois pas en avant, puis de deux en arrière) mais, au parlement, nous avons fait pire : on fait deux pas en avant, et trois en arrière !Le Pacte Vert repose sur des textes longuement négociés pendant des mois, et voilà qu’à travers des procédures d’urgence, on les balaye d’un revers de main. Le plus inquiétant, pour moi, c’est que le PPE s’allie de plus en plus ouvertement avec l’extrême droite.
Le nouveau commissaire à l’Agriculture est lui-même issu des rangs du PPE. Quelles sont les relations avec ses services ?
Christophe Hansen est très humain, ouvert au dialogue, et certains éléments de sa « Vision pour l’Agriculture » me plaisent. Mais elle manque d’objectifs concrets. Ce n’est, pour l’instant, qu’un catalogue de bonnes intentions ; encore faut-il les traduire en actes. La stratégie « De la fourche à la fourchette », elle, fixait des objectifs clairs, et pourtant, il n’en reste aujourd’hui presque plus rien.Il y a un véritable paradoxe à vouloir un environnement et des sols en meilleure santé tout en ne prenant aucune mesure concrète contre l’élevage intensif. Comment peut-on, par ailleurs, justifier que des pesticides fabriqués en Europe soient exportés vers des pays tiers, alors même qu’ils sont jugés trop dangereux pour nos propres sols et notre propre santé ? Je le demande à M. Hansen.
