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Visite ministérielle à la coopérative «En direct de mon élevage» : «Vous êtes un exemple à suivre!»

Hachoir, cubeuse, machine à hamburgers, sous-videuse… Ça tranche, coupe, vrombit dans la salle de découpe au cœur de la coopérative « En direct de mon élevage » à Perwez qui a ouvert ses portes, le 1er mars dernier, au ministre fédéral de l’Agriculture David Clarinval ainsi qu’à la presse. Quatre ans après sa création, les éleveurs qui ont choisi de prendre leur destinée en main, ont réalisé un état des lieux et livré leurs craintes, espoirs et foi en l’agriculture familiale wallonne.

Temps de lecture : 8 min

On peut dire que le secteur de l’élevage n’a été épargné ni par les crises, ni par les critiques depuis les années 1990, avant d’être crucifié par le scandale Veviba.

Le prix et la fierté des agriculteurs

Éleveuse-engraisseuse à Tinlot, présidente de la coopérative, Béatrice de Laminne rappelle alors comment 120 éleveurs répartis sur toute la région wallonne, blessés dans leur chair et dans leur âme, ont décidé, en 2018, de s’unir pour créer « En direct de mon élevage » et acquérir un bâtiment à Perwez, dans le Brabant wallon.

L’objectif principal, et d’ailleurs pleinement rencontré, était d’offrir un prix décent et à tout le moins supérieur à celui du marché, aux agriculteurs.

« En vous unissant, en prenant le contrôle des différentes étapes de la chaîne et de la filière, vous avez pris votre destin en main, afin de défendre la qualité de votre produit, de vivre de votre travail et d’en tirer un revenu décent » a souligné le ministre fédéral David Clarinval (à gauche) lors de sa visite à Perwez.
« En vous unissant, en prenant le contrôle des différentes étapes de la chaîne et de la filière, vous avez pris votre destin en main, afin de défendre la qualité de votre produit, de vivre de votre travail et d’en tirer un revenu décent » a souligné le ministre fédéral David Clarinval (à gauche) lors de sa visite à Perwez. - M-F V.

« Nous avons non seulement réussi à revaloriser les prix mais aussi à redonner à l’agriculteur la fierté qu’il a de produire » a-t-elle insisté.

La coopérative se veut porteuse de valeurs fortes, à commencer par la qualité de la viande grâce à une formule d’engraissement qui lui est propre. Ce sont aussi des valeurs de durabilité avec des fermes qui sont en autonomie fourragère, une réduction du transport et du stress des bovins (l’animal naît à la ferme et effectue un seul et unique voyage vers la boucherie) et une traçabilité exemplaire des animaux.

« Grâce à la coopérative, nous maîtrisons tous les maillons de la chaîne » a résumé M. de Laminne.

Il faut que notre agriculture reste viable !

L’agriculture, et l’élevage en particulier, est globalement dans l’œil du cyclone depuis quelques années. Cela se traduit par un nombre de bovins en constante diminution, que ce soit en Wallonie ou chez nos voisins européens, un phénomène que nous évoquions dans notre édition de la semaine dernière.

La présidente de la coopérative redoute que « sous le couvert de prétextes idéologiques, complètement déconnectés des réalités scientifique et économique, notre agriculture ne soit plus viable alors que son rôle, à la fois premier et stratégique, consiste à nourrir correctement et à prix abordable la population ».

B. de Laminne pointe le risque de laisser cette tâche à d’autres continents et vise nommément les pays du Mercosur qui ne produisent pas selon nos strictes normes européennes, loin s’en faut.

Elle a également rappelé que L’UE ne représentait que 8 % des émissions de gaz à effet de serre contre 15 % pour les États-Unis et 30 % pour la Chine.

« C’est grâce à une coopérative et un modèle comme le nôtre que nos agriculteurs trouveront la force et seront audibles face à la grande distribution et à l’industrie ». La meilleure façon de s’en rendre compte, c’est d’en visiter les entrailles.

De la salle de découpe à la distribution multi-canaux

En cheminant dans la salle de découpe, puis en entrebâillant les lourdes portes coulissantes des immenses frigos où se multiplient des rangées de carcasses assoupies, les dirigeants de la coopérative ont expliqué la fourmillante activité de cet espace dans lequel ils ont investi en décembre 2018.

Les coopérateurs ont élargi leur offre aux commerces de proximité qui, par manque d’infrastructure adéquate ou de place suffisante, ne peuvent effectuer de travaux de boucherie.
Les coopérateurs ont élargi leur offre aux commerces de proximité qui, par manque d’infrastructure adéquate ou de place suffisante, ne peuvent effectuer de travaux de boucherie. - M-F V.

Et d’où, en mai 2019, en sont sorties les premières carcasses, ou PAT (prêt à trancher), pour être livrées en boucheries.

À côté de cette activité principale, les coopérateurs se sont ensuite tournés vers le secteur HoReCa et les collectivités pour la vente de bonnes pièces et de haché.

Ils ont aussi élargi leur offre aux commerces de proximité qui, par manque d’infrastructure adéquate ou de place suffisante, ne peuvent effectuer de travaux de boucherie. La coopérative s’est alors lancée dans le tranchage individuel, la mise sous vide en fond noir pour faire ressortir la couleur de la viande tout en occultant l’exsudat de sang à travers le plastique.

Enfin, actuellement en phase de test, l’emballage en barquette MAP (mise sous atmosphère protectrice) va permettre la diffusion d’une gamme plus large à destination des petites et moyennes surfaces ainsi que des plateformes Internet.

Partenariat avec l’HoReCa et des cuisines collectives

La coopérative a réussi à nouer des partenariats locaux.

C’est le cas de TCO Services, qui regroupe 15 cuisines collectives situées essentiellement dans le Namurois et le Brabant wallon. « En direct de mon élevage » en fournit 10 d’entre elles en viande, sachant que celles-ci proposent un menu comprenant du bœuf (haché, carbonnades) une à deux fois par mois.

Autre partenaire en vue de la région, Cédric Leblicq, le chef cuisinier qui préside aux destinées et aux fourneaux du restaurant wavrien « La Péniche » dont il a décidé de modifier l’approche en se tournant vers les produits locaux en circuit court.

L’orientation surprend au début, mais séduit très vite ses clients.

« Travailler avec des fournisseurs locaux rassure en matière de traçabilité de nos viandes de bœuf, de veau, d’agneau et nous permet d’en parler à nos clients, de les informer sur l’origine des produits que nous travaillons en cuisine » a imagé M. Leblicq qui a mis en avant l’avantage du contact humain dans son partenariat avec la coopérative.

Les éleveurs sont les meilleurs représentants de la coopérative

Pas de cellule marketing ni d’équipe commerciale à la coopérative, ce sont les agriculteurs qui en sont finalement les meilleurs représentants sur le terrain. La plupart d’entre eux travaillent en Brabant wallon et en province de Namur, ainsi qu’en province du Luxembourg tandis que quelques-uns sont issus des provinces de Liège et du Hainaut.

Joël Gresse, est, lui, coopérateur et éleveur à Gouvy, et assure que la volonté de ses collègues couplée à l’acquisition de cet outil qu’est la salle de découpe, leur permettra d’avoir un poids sur le marché de la viande.

« Nous avons non seulement réussi à revaloriser les prix mais aussi à redonner à l’agriculteur la fierté qu’il a de produire » a souligné la présidente de la coopérative Béatrice de Laminne.
« Nous avons non seulement réussi à revaloriser les prix mais aussi à redonner à l’agriculteur la fierté qu’il a de produire » a souligné la présidente de la coopérative Béatrice de Laminne. - M-F V.

« C’est rassurant pour l’avenir » insiste-t-il, lui qui arrive à valoriser l’entièreté de ses vaches via des bouchers indépendants avec lesquels il communique par le biais de dégustations que la coopérative organise grâce à son propre « foodtruck » qui lui permet d’établir également un contact avec le consommateur.

Une pression morale, financière et normative

À l’issue de sa visite, le ministre fédéral de l’Agriculture l’a souligné, le secteur agricole subit une triple source de pression. Elle est morale, en raison de « l’agribashing » rampant.

Elle est aussi financière, car « si l’on observe une hausse des prix dans certains secteurs, c’est aussi le cas des coûts de production » a pointé David Clarinval. Or, on le sait, pour évaluer le rendement d’une exploitation, c’est sur la taille des marges, dont la tendance est au rétrécissement, qu’il faut se pencher, et non sur les prix.

La pression est, enfin, normative, avec la mise en œuvre du Pacte Vert, ses stratégies « De la fourche à la fourchette » et « Biodiversité » ainsi que le paquet « Ajustement à l’objectif 55 » qui ont fait l’objet d’une étude d’impact commandée par la commission dont les conclusions ont été corroborées par les services du ministère américain de l’Agriculture (Usda).

Il est ressorti de ce rapport « une augmentation des prix de 15 % pour le consommateur et une diminution des rendements de 10 %, des chiffres établis avant que n’éclate le conflit russo-ukrainien » indique M. Clarinval, ajoutant que « les normes et contraintes qui seront imposées aux agriculteurs rendront leurs exploitations moins rentables ».

Pour le ministre, la coopérative « En direct de mon élevage » est une « belle réponse » apportée à ces contraintes multiples. « En vous unissant, en prenant le contrôle des différentes étapes de la chaîne et de la filière, vous avez pris votre destin en main, afin de défendre la qualité de votre produit, de vivre de votre travail et d’en tirer un revenu décent » a-t-il souligné.

Retour à un système de contrôle pré-Veviba

Le ministre fédéral a fait valoir sa volonté de ne pas rendre la vie « plus compliquée » aux agriculteurs. Et de rappeler avoir pris une série de mesures pour diminuer et adoucir les contrôles de l’Afsca dans les salles de découpes et les abattoirs.

Après une période de contrôles supplémentaires et très contraignants pour le secteur, « nous sommes revenus à un système pré-Veviba depuis le début de l’année » a-t-il assuré.

« Nous sommes les jardiniers du paysage »

Il s’agit à coup sûr d’une bonne nouvelle pour les coopérateurs qui mettent en valeur l’agriculture familiale avec leurs élevages fortement liés au sol. Un modèle qu’il convient plus que jamais de défendre au sein d’une société moderne qui s’est urbanisée au fil des décennies.

Juan de Hemptinne, agriculteur bio à Anhée, a rappelé avec justesse que si la population rurale liée directement ou indirectement au monde agricole représentait environ 80 % de la population active à la fin du XIXème siècle, elle ne constitue actuellement plus guère qu’1 % à 1,5 %.

Au moment où l’on se questionne sur le mode de fonctionnement éthique et la manière de travailler des agriculteurs, il faut se replonger dans les temps les plus lointains, jusqu’au néolithique, quand l’Homme a commencé à défricher, à déboiser et à élever des animaux.

« Il a rempli des fonctions que l’on sous-estime : l’aménagement du territoire. Si aujourd’hui la Wallonie est une région appréciée pour son tourisme, c’est grâce aux générations d’agriculteurs qui s’y sont succédé. Nous sommes les jardiniers du paysage » s’est exclamé M. de Hemptinne.

Marie-France Vienne

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