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Conte de printemps: une si petite graine

Il était une fois une toute petite graine, si fine et si légère que le vent l’avait emportée bien haut dans le ciel. Installée au milieu d’un nuage, elle se mit à voyager et partit très loin de chez elle, survolant les campagnes, les villes, les forêts, les fleuves et les rivières…

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Apeurée et cependant ravie, elle s’émerveillait de voir tous ces paysages étonnants défiler sous ses pieds. La nuit pourtant, elle se sentait fort seule, sans aucune herbe ni aucun insecte à qui parler, et rêvait de redescendre sur terre, de grandir et devenir une belle plante que tout le monde admirerait. Un jour, son premier souhait fut exaucé, quand son nuage se mit à pleurer toute la pluie de son ventre rebondi. Emprisonnée dans une fine gouttelette, elle atterrit avec légèreté sur une surface agréable et encore chaude, un sol meuble et fort nourrissant !

La petite graine se dit : « Maintenant, je peux le faire : devenir grande et belle ! ». Elle commença à sortir timidement ses racines dans l’humus, s’en délecta puis risqua une petite feuille, puis deux, puis trois, et ensuite une tige, deux tiges… Bientôt, elle se mit à grandir à une vitesse incroyable. Elle était heureuse, car elle se sentait enfin utile et importante, et réalisait son rêve. Elle aimait sentir les rayons du soleil sur ses feuilles, boire l’eau de pluie qui tombait du ciel. Autour d’elle poussaient d’autres plantules. Certaines arboraient de jolis pétioles arrondis ; d’autres rampaient sur le sol et semblaient hésiter à relever la tête ; une gigantesque plante étalait ses feuilles autour d’elle, comme une reine sa robe à crinoline, et s’emparait gourmande du soleil et de toute l’eau à ses pieds.

La petite graine, devenue plantule, s’était fait beaucoup d’amies parmi ses voisines. Car voyez-vous, les végétaux communiquent entre eux ! Les plantes ont elles aussi leurs réseaux sociaux ! Elles se parlent dans un langage très différent du nôtre, en émettant des molécules chimiques, en échangeant des odeurs, des phéromones. Sous terre, leurs racines s’entrelacent et se racontent les derniers potins. Elles se disputent parfois « Et oh ! Pousse ta radicelle hors de chez moi ! Tu me voles mon eau ! » « Va te raser, tes barbillons me piquent au pied ! ». Elles s’échangent des nouvelles, se connectent sur le « Wood-Wide-Web », et suivent des cours « online » : comment pousser bien droit, tendre le cou vers le soleil, s’arc-bouter contre le vent de tempête, etc. La petite graine était parfaitement heureuse ; elle avait trouvé sa place au milieu d’un petit biotope qui se prélassait au soleil. De temps à autre, une fourmi venait la saluer. Elle lui titillait les feuilles du bout de ses antennes et humait son langage olfactif. Les insectes sont très doués pour parler avec les plantes, comprendre leurs parfums ; ils pratiquent entre eux un peu la même langue, en émettant des odeurs, des phéromones. La fourmi était intriguée par la petite graine : « Toi, tu n’es pas d’ici ! Quel bon vent t’a amenée chez nous ? De quel jardin viens-tu ? ». La petite graine n’était pas peu fière de l’intérêt qu’elle suscitait parmi les insectes, qui venaient à tour de rôle la visiter.

Mais un jour, la petite graine entendit des bruits étranges. Elle se mit à trembler de peur, car elle ne savait pas ce qui se passait. Un être bizarre, gigantesque, approchait lourdement de son petit paradis, coiffé d’un chapeau de paille et chaussé de grosses bottes. Il sifflotait gaiement en poussant une brouette chargée d’outils : binette, bêche, râteau, serfouette… Le jardinier était un vieil homme pas du tout pressé. Il déchargea ses outils et commença son travail au bout du potager, loin de la petite graine. D’un seul coup de binette, il trancha le col de la plante-reine à crinoline, le bouillon-blanc qui mangeait un demi-mètre carré à lui tout seul. En quelques minutes, il dégagea ainsi un carré, puis se mit à bêcher, toujours en chantonnant. Il s’arrêtait souvent, pour s’essuyer le visage avec un grand foulard rouge à pois. « Ah ! Ce n’est plus de mon âge, ce travail. Mais personne ne le fera à ma place, et mon potager sera remplacé par une pelouse si j’abandonne. » Après avoir bêché sa petite plate-bande, le jardinier la ratissa soigneusement, creusa des petits sillons tirés au cordeau, et sema des graines de laitue. Fatigué, il reprit ses outils, sa brouette et s’éloigna, sans plus chanter cette fois. « Pour un premier jour, j’en ai fait trop ! J’aurai encore mal au dos pendant la nuit ! »

Le lendemain matin, le vieux jardinier revint avec sa brouette, et recommença le même manège, les mêmes actions : enlever ce qu’il appelait les « mauvaises herbes » sur un carré, puis bêcher, enfouir du fumier, ratisser, semer cette fois des carottes, etc. La petite graine se mit à pleurer, car elle se sentait seule et impuissante face à cet homme qui allait bientôt, d’ici quelques jours, venir l’enlever de terre et la jeter sur un tas de compost qui sentait la mort végétale. Autour d’elle, les autres plantules s’étaient résignées, et attendaient d’être sarclées à leur tour, sans autre forme de procès. La petite graine, quant à elle, ne voulait pas abandonner. Elle se mit à chercher une solution pour se sauver, mais le temps pressait ! Chaque jour, le jardinier se rapprochait d’elle.

Demain, il serait là ! La pauvrette ne savait quoi faire et se désespérait, quand elle entendit une voix douce qui lui disait : « Ne t’inquiète pas, petite graine. Tu peux changer le monde à ta façon » . La petite graine regarda autour d’elle, et découvrit avec joie son amie la petite fourmi, qui agitait ses antennes avec entrain. « Avec le parfum que tu émets, je suis sûre que tu peux te parer de belles fleurs. Alors, arrête de te plaindre et de végéter ! Fais un effort ! C’est ta seule chance, et le jardinier pourrait bien t’épargner, car il a un faible pour les plantes fleuries ! »

Revigorée, la petite graine se mit alors à boire l’eau et le soleil comme jamais auparavant ! Les autres plantules lui disaient : « Tu es folle ! Cache-toi plutôt ! Regarde comment il a coupé la Grosse Verte l’autre jour ! ». Elle se mit à grandir, grandir, à bourgeonner, à fleurir et produire une odeur particulière, irrésistible et sucrée, qui attira bientôt les abeilles et les papillons. Puis des dizaines d’autres insectes vinrent se poser sur ses grandes fleurs colorées : syrphes, bourdons, abeilles sauvages, mouches, coléoptères… Ils se mirent tous à butiner son nectar, à récolter son pollen. Tous ces petits animaux étaient heureux, et la petite graine aussi. Elle avait réussi à créer un vrai paradis, où tous les êtres vivants étaient heureux et en paix. Les fourmis venaient récolter le miellat des pucerons ; des coccinelles venaient pondre leurs œufs sous les feuilles charnues de la petite graine devenue une grande plante.

« Chaque être vivant, aussi petit soit-il, a sa place dans ce monde ».

Le lendemain matin, le vieux jardinier, éberlué, dut se frotter les yeux pour se convaincre qu’il ne rêvait pas. Il était venu pour nettoyer le dernier carré, afin d’y planter des haricots, mais voilà qu’il découvrait un cirque enchanté ! Autour de cette grande plante inconnue, couverte de fleurs délicieuses, les autres plantules s’étaient mises elles aussi à s’épanouir, à fleurir de toutes leurs forces : pâquerettes, myosotis, pensées, capselles… Le jardinier s’assit sur sa brouette, et se prit au jeu d’observer le monde merveilleux qu’il avait sous les yeux. Il n’allait tout de même pas détruire tout ça ? « De toute façon, se dit-il, je n’aime pas les haricots. Et puis, je suis trop fatigué. Je vais laisser le reste du potager redevenir sauvage ! Ainsi, mes abeilles me donneront du bon miel ; les hérissons pourront s’y cacher pour manger les limaces ; les hirondelles y trouveront des mouches et reviendront faire leur nid dans la grange abandonnée. »

Ainsi finit, ou plutôt débuta, cette belle histoire. La petite graine venue de loin, réfugiée dans ce jardin inconnu, était devenue une grande plante, aimée de tous les êtres vivants autour d’elle. Elle avait réussi à changer le monde à sa façon, en créant un joli petit paradis pour tous ceux qui venaient à elle. Il suffit parfois qu’un ami vous encourage, vous donne une idée géniale, pour donner le meilleur de soi et créer quelque chose de merveilleux. Et n’oublions pas que chaque être vivant, aussi petit soit-il, a sa place dans ce monde, et qu’il peut apporter sa contribution à la nature qui nous entoure.

Marc Assin

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