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Bonheur dopé

Je ne sais pas vous, mais en ce qui me concerne, personne ne m'empêchera de penser que le but du jeu, lors de notre passage sur Terre, n'est autre que d'être heureux. Que l'on soit agriculteur ou employé administratif, sans emploi ou premier ministre, Européen ou Africain, …, chacun cherche à éprouver des émotions qui lui procurent du plaisir, comblent ses frustrations, lui apportent sérénité et confiance.

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Mais l'être humain ne fonctionne pas à la manière d'une machine, réglée et formatée pour accomplir des tâches, être heureuse ou malheureuse. Sa condition «d'animal à grosse tête», sélectionnée par la nature depuis des milliers de générations, le rendent absolument dépendant de son corps physiologique, bardé de nerfs, parcouru par des flux organiques, parmi lesquels les hormones, censées réguler de manière optimale les sensations, les sentiments, et des tas d'autres choses. Les principales «hormones du bonheur» répondent aux doux noms de: endorphine et ocytocine, sérotonine et dopamine. Le but du jeu -j'y reviens!- consiste à trouver le juste dosage au sein de la bande des quatre, point trop de l'une ni trop peu de l'autre. Il faut trouver la bonne formule, les bonnes proportions qui nous conviennent individuellement, en fonction de notre milieu, de notre nature, de notre vécu, et des actions qu'il nous faut subir ou qu'il nous est loisible d'entreprendre. Bref, ce n'est pas gagné d'avance...

… car nous sommes gérés par des instances sans émotion, sans aucune poésie: des staffs technocratiques, des algorithmes informatiques, des intelligences artificielles froides et mathématiques. Notre époque a ses lubies, ses propres projections fantasmées générées par la tyrannie du bonheur à court terme, via l'hyper-consommation et la recherche des plaisirs forcés, immédiats, addictifs. Comme dirait Souchon, on nous fait croire que le bonheur c'est d'avoir de l'avoir plein nos armoires. Nos quatre hormones du bonheur en sortent largement dominées par la dopamine, m'a expliqué une dame fort instruite, et nous marchons en trébuchant sans cesse sur cette jambe plus grande que les trois autres!

C'est très facile à comprendre, quand on est agriculteur. Tout est question de dosage! Mais encore? Ces hormones, quelles sont-elles? Nous connaissons bien l'ocytocine, utilisée après le vêlage pour son action sur la matrice et la montée de lait chez les vaches. C'est l'hormone de l'attachement entre la maman et son petit, entre la maman et le papa. Chez l'être humain, c'est aussi l'hormone de l'empathie, de la générosité, de la bienveillance, de l'affection et de l'amour. Et tout comme le beurre, un peu d'amour dans tout, rend tout meilleur! Les endorphines constituent, elles aussi, un groupe d'hormones fort sympathiques, secrétées par le cerveau, lors d'une activité physique surtout. Elles ont un effet relaxant, anxiolytique et anti-douleur, pour nous récompenser de nos efforts et soulager nos muscles des souffrances infligées par un travail intensif. Ocytocine et endorphine: voilà deux hormones du bonheur bien agréables et efficaces, innocentes et gratifiantes; paysannes, oserai-je dire!

Les deux autres compères de la bande des quatre sont plus complexes et posent davantage question. La sérotonine a de multiples fonctions régulatrices, et de cette façon joue un rôle spécifique sur le développement des sentiments de stabilité, de bien-être et de plaisir tranquille. Rien de bien spectaculaire! On se rend compte qu'elle existe quand elle vient à manquer, et alors, bonjour l'anxiété, les sautes d'humeur, la nervosité, les crises de panique et l'épuisement général! Vous avez dit «dépression»? Celle-ci touche un grand nombre d'agriculteurs: Agricall ne me démentira pas sur ce point, ni ne niera pas non plus la prévalence élevée des suicides en agriculture, quand on consulte les statistiques... Comment améliorer son taux de sérotonine? Par une alimentation équilibrée, le yoga, la méditation, la prière, la lecture, l'activité physique au grand air, un loisir calme et sans stress, … On l'aura compris, la sérotonine est davantage l'hormone de la juste mesure, du bon sens, plutôt que l'hormone d'une jouissance débridée.

Quant à la joie -youp la la!-, de quelle hormone vient-elle donc? Reste la bien nommée «dopamine», celle qui renforce agréablement les sensations de plaisir immédiat, afin d'encourager les actions bénéfiques, tels que manger des aliments savoureux, courtiser sa belle ou son beau, accomplir une tâche gratifiante, assouvir un besoin ou un désir, écouter de la musique, … La satisfaction qui en résulte incite l'individu à recommencer, encore et encore, quitte à prendre des risques et à exagérer. La dopamine est indispensable à la survie de notre espèce, car elle nous motive à accomplir des activités vitales, comme se nourrir et se reproduire, mais elle nous entraîne aussi sur la pente dangereuse de l'hyper-consommation, du gaspillage, et surtout des addictions : alcool et autres drogues à effet psychotropes, tabac, sexe, jeux du hasard et d'argent, ... Ces substances et activités «trichent» avec notre cerveau en lui procurant ces plaisirs instantanés, ce «bonheur» artificiel destructeur. La dopamine est une hormone à double tranchant, la meilleure et la pire de la bande des quatre.

De toute évidence, notre monde moderne est «sur-dopaminisé», en mode «sur-accéléré»! Ocytocine, sérotonine et endorphine éprouvent mille peines à calmer la dopamine, et leur affaiblissement provoque des maladies du corps et de l'âme: dépressions nerveuses, agressivités, addictions, psychopathologies, maladies auto-immunes, etc. Notre société capitaliste n'a rien compris à ce déséquilibre: elle persiste et signe, affairée à inventer sans cesse des besoins inédits à assouvir, de nouvelles addictions qui poussent les gens à consommer, à voir toujours plus grand, toujours mieux, à rêver d'une chose durant la nuit et à l'acheter le lendemain matin, parce que ''je le vaux bien''.

L'agriculture et les agriculteurs de nos régions riches ont été contaminés par ces comportements, qu'ils subissent en même temps qu'ils les pratiquent, emportés par le flot du modernisme et du consumérisme, de cette quête éperdue à la recherche d'un bonheur dopé...

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