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Chez les Godfriaux: «Le choix de la coopérative locale, un pari gagnant sur le long terme»

Si le secteur porcin a connu une longue crise, certains éleveurs, inscrits en coopérative, ont pu limiter la casse et continuer leur activité. Jordan Godfriaux et son épouse, Hélène Warnier, font partie de ces producteurs qui ont pu passer entre les mailles du filet. Jordan, qui est aussi président de Porc Qualité Ardenne (PQA), nous explique notamment en quoi la politique de prix rémunérateurs établie sur le long terme par la coopérative est un pari gagnant pour ses membres.

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Jordan Godfriaux et son épouse, Hélène Warnier, sont deux figures bien connues de leur village, Malèves-Sainte-Marie (Perwez). Le premier est bourgmestre de sa commune, la seconde est chaque semaine derrière le comptoir du Relais du terroir, leur magasin à la ferme qui propose non seulement leur viande de porc mais aussi tout ce qu’un magasin du terroir peut proposer de local. Si l’exploitation peut s’enorgueillir de fédérer chaque semaine une clientèle toujours plus nombreuse, son lancement n’a pas été simple. En effet, le couple a décidé de la créer de toutes pièces, hors du cadre familial.

Jordan se souvient : « Mes grands-parents et mes parents ont toujours élevé des porcs. Je travaillais pour eux à mes heures perdues. J’avais donc une connaissance technique et pratique dudit élevage. »

« Au départ, mes grands-parents livraient le boucher d’Eghezée qui leur prenait plusieurs carcasses par semaine. » À cette époque, il n’était pas rare d’avoir des boucheries qui disposaient de leurs propres abattoirs… Mais peu à peu ces structures se sont mises à disparaître. « La perte de ces liens a poussé ma famille à vendre ses cochons à un marchand qui leur offrait le prix de la semaine », poursuit-il.

Intégrer une coopérative et élever des truies

C’est en 2004 que le couple décide de créer son exploitation. À cette époque, les grands-parents de Jordan élevaient encore quelques truies et engraissaient quelques dizaines de porcs. « Nous cherchions comment valoriser notre future production correctement. Nous avons donc décidé de rentrer dans la coopérative PQA fin 2004, petitement, par le biais de l’exploitation familiale, mais avec un engagement dans la coopérative. Une fois les permis obtenus et la production lancée (toujours dans la ferme familiale), nous nous sommes directement tournés vers un label de qualité : Porc Fermier de Wallonie (PFW) pour produire de la qualité sur paille et tenter de nous garantir un revenu. »

En rejoignant PQA, les Godfriaux ont aussi opté pour le label Porc fermier de Wallonie.
En rejoignant PQA, les Godfriaux ont aussi opté pour le label Porc fermier de Wallonie. - P-Y L.

« Nous voulions proposer un cochon qui ait un certain bien-être aussi bien durant sa vie qu’au moment de sa mise à mort. En outre, nous voulions véhiculer une image positive tant pour nous que pour le consommateur… surtout dans un village comme le nôtre qui s’urbanise. »

En 2006, l’exploitation prend forme, non loin de la ferme familiale, reprise par les deux frères de Jordan. L’objectif à terme : arriver après quelques années à élever 100 truies en circuit fermé, ce qui correspond environ à une production annuelle de 2.500 porcelets. « Au début, nous pouvions tout engraisser chez nous. Toutefois, l’augmentation du nombre de truies et du taux de prolificité par mère nous a amenés à faire engraisser une partie des jeunes chez Manuel Tilmant, à Emines. Une belle collaboration est ainsi née », sourit l’éleveur.

« Créer notre exploitation avec ma compagne n’a pas été simple mais nous voulions notre indépendance », poursuit-il.

Ne disposant que de 4 ha de cultures, le couple ne peut produire qu’une partie insignifiante des céréales dont les porcs ont besoin. « Mes frères en produisent. Je leur en achète donc, à eux ou à des voisins, en fonction de nos intérêts et des leurs. Nous avons également besoin de quelque 30 ha de pailles pour la litière des animaux. Pour ce faire nous réalisons des échanges pailles-fumier avec des agriculteurs du coin. »

D’un incendie naît un nouveau projet

Le 18 octobre 2011, c’est le drame ! Un incendie ravage les bâtiments. L’année suivante, le couple décide de reprendre l’engraissement de porcelets dans un bâtiment rénové. « Ne sachant plus que faire avec les porcelets, pour une grande partie du moins, nous avons arrêté toute la production. Nous décidons alors d’acheter des porcelets à Daniel Minne et de les mettre à l’engrais chez M. Tilmant, non seulement pour assurer son revenu et mais aussi garder notre place chez PQA », se souvient-il.

En juin 2012, le couple décide d’ouvrir un petit magasin à la ferme, où sont vendus essentiellement la viande de ses porcs et quelques produits locaux. Ce nouveau débouché entraîne un nouvel équilibre. La production de porcelets ne reprendra jamais. « Si nous sommes des passionnés d’élevage, nous ne savons pas tout faire à 100 %. Là où nous donnions de l’énergie et du temps dans l’élevage de truies, nous la mettons aujourd’hui dans le magasin de produits du terroir. Il faut savoir rester raisonnable ! »

Jordan Godfriaux et son épouse, Hélène Warnier, dans leur Relais du terroir.
Jordan Godfriaux et son épouse, Hélène Warnier, dans leur Relais du terroir. - J. V.

« Si la vente à la ferme était modeste, nous avons progressé d’année en année jusqu’au moment de la crise sanitaire où nous avons connu une croissance de plusieurs dizaines de pourcents de notre chiffre d’affaires. Nous avons donc décidé de construire un nouveau bâtiment qui intègre un atelier de découpe et de transformation et un magasin nettement plus grand. Un bâtiment de stockage a également vu le jour pour les grains, la paille et les machines. La nouvelle structure est équipée de panneaux photovoltaïques afin de rendre l’exploitation quasi autosuffisante en électricité pour ses différents axes de production. »

« Au niveau du magasin, notre boucherie propose tous types de viande (bœuf, porc, volaille, agneau, canard, gibier en saison…) et nous sommes allés chercher à Perwez et aux alentours d’autres productions locales… Nous avons voulu proposer un panier de la ménagère dans un magasin de terroir. Le consommateur, au moment de ses achats, doit pouvoir trouver la grosse majorité des produits dans un seul et même endroit. C’est en tout cas ce que nous voulons lui offrir. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous avons peut-être 2 % de produits qui ne sont pas wallons mais que nos clients demandent. Ce n’est pas dans nos gènes mais si nous pouvons rendre ce service à nos clients et les empêcher d’aller faire leurs courses ailleurs… »

Notons qu’en 2022, le couple a enregistré une perte du chiffre d’affaires de 18 % par rapport à 2021 mais ce chiffre reste plus élevé qu’en 2019. « Nous avons donc gardé une partie de l’affluence liée à la prise de conscience de certains consommateurs observée durant la crise sanitaire. »

Une telle entreprise nécessite de la main-d’œuvre : Pierre, un ouvrier agricole travaille à temps plein sur la ferme, Françoise, une bouchère indépendante prépare la viande, et Garance, aide à la confection des colis, en flexijob.

Le choix PQA

À l’heure actuelle, le couple engraisse quelque 2.000 cochons par an, dont la grande partie est encore valorisée par la coopérative. « Tous nos porcs partent chez PQA pour y être abattus. Si la grosse majorité de notre production est valorisée par la coopérative, notre magasin reprend près de 5 porcs par semaines, soit près de 250 par an. » L’atelier de découpe et de transformation permet de valoriser la viande fraîche sous différentes formes. La plupart des charcuteries sont préparées par la coopérative.

Depuis 2016, Jordan en est également le président. « Je trouve important de s’impliquer dans la structure décisionnelle de la coopérative de producteurs, pas forcément d’en devenir le président. »

Et d’expliquer : « L’assemblée générale permet une représentation des 120 membres ayant tous le droit de vote. De cette AG, plusieurs membres sont élus au conseil d’administration au sein duquel est mis en place un comité de gestion, à qui reviennent les décisions stratégiques. À sa tête : un président élu qui est en relation avec les producteurs, la directrice générale et les membres du personnel pour relayer les préoccupations des éleveurs et des organes de gestion vers les membres du personnel. »

« En parallèle nous avons créé un groupement de producteurs de qualité différenciée (GPQD) qui est coordonné par Merry. C’est un outil supplémentaire mis en place il y a 5 ans. Il permet de faire le lien entre le conseil d’administration et les éleveurs, de former et d’informer les producteurs, de participer à l’image positive et à la communication envers les consommateurs… »

Être moins dépendant du marché mondial

Si les prix des porcs sont remontés ces derniers mois, le secteur sort d’une crise longue et difficile qui a entraîné de très nombreuses faillites, notamment en Wallonie. Des éleveurs et des engraisseurs de haute technicité ont dû cesser leur activité pour éviter le pire. Ces arrêts ont pu, dans une certaine mesure, pousser les prix vers le haut. Ces derniers dépendent effectivement de l’offre et de la demande. Une autre partie du problème réside certainement dans la spéculation, comme pour les matières premières, et sur laquelle les éleveurs n’ont aucune prise puisque le marché est globalisé.

« C’est la raison d’être de notre bâtiment de stockage », précise Jordan. « Les prix des matières premières évoluent quotidiennement très fortement, à la hausse et à la baisse. Nous ne cherchons pas à acheter au plus bas, seulement quand le prix nous convient. Nous achetons des céréales pour nourrir nos cochons à un prix correspondant à notre situation. Le prix de vente du cochon est connu puisque PQA travaille avec un prix durable dans le temps. Avec cela, il est facile de calculer la marge nécessaire pour payer nos investissements, notre main-d’œuvre et donc le prix d’achat que l’on ne peut dépasser pour les céréales. »

« La crise en Ukraine ne nous a pas épargnés mais nous avons eu sans doute moins difficile que ceux qui travaillent en lien avec le marché libre. »

« Si la coopérative a fait des efforts très importants en augmentant les prix, en prenant à son compte une partie de la perte en 2022 (ce qui n’était plus arrivé depuis 2015), il est difficile d’affirmer que tous les producteurs ont eu une rentabilité telle qu’ils la souhaitaient cette année-là. Par contre, très peu ont été contraints d’arrêter leur activité avant la pension. »

C’est d’ailleurs l’objectif de PQA : offrir une rémunération à ses membres répartis en trois filières : le porc bio, le porc plein air et le porc fermier. C’est l’essence même de son existence tout en proposant une viande de qualité.

« Pendant la crise, la coopérative était nettement au-dessus en termes de prix d’achat aux producteurs. Mais elle se trouvait en concurrence chez les artisans bouchers avec d’autres structures qui proposaient des prix très bas. C’était donc aussi difficile pour la structure. Malgré tout, celle-ci a non seulement maintenu, mais aussi augmenté, le prix pendant la crise pour soulager les trésoreries des agriculteurs. »

À l’heure actuelle et depuis quelques semaines, la situation s’est inversée, ce qui est assez exceptionnel. Ses membres vendent à un prix légèrement inférieur à celui pratiqué sur le marché industriel. « Les coopérateurs le comprennent », assure Jordan. « Quand on a des prix largement au-dessus du conventionnel pendant deux ans, il faut savoir accepter de ne pas toujours avoir le dernier prix ; pour le bien de la structure et des producteurs… Notre objectif à moyen et long terme est de garantir une stabilité et une rémunération juste pour les membres. Nous ne voulons pas suivre le marché du conventionnel car les prix peuvent replonger à tout moment. C’est une évidence, puisqu’il est cyclique. D’où l’importance d’avoir des structures comme la nôtre, où la maîtrise de la qualité, de l’équilibre entre l’offre et la demande, et donc de la rémunération des producteurs, sont les principes directeurs. S’ils ne cherchent pas toujours le dernier prix, les coopérateurs doivent être gagnants sur le long terme lorsqu’ils font le choix de la qualité et de la coopérative locale. », conclut M. Godfriaux.

P-Y L.

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