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Directive IED: «Nous ne sommes pas des marchands de tapis!» réagit Jérémy Decerle

Eurodéputé du groupe centriste « Renew », Jérémy Decerle est aussi éleveur en Bourgogne-Franche-Comté. Vent debout contre la révision de la directive « IED », il jette par ailleurs un regard sans concession sur le jeu politique au sein de l’hémicycle qui oscille, pour lui, entre une droite conservatrice, la gauche et surtout des écologistes qui jouent la carte du catastrophisme.

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Alors que la commission de l’Agriculture demande d’exclure totalement les exploitations bovines du champ d’application de la directive et de maintenir le statu quo pour les secteurs du porc et de la volaille, la commission de l’Environnement a quant à elle, adopté, le 24 mai dernier, sa position en l’élargissant au secteur de l’élevage mais dans des proportions inférieures à ce que proposait l’Exécutif.

Au parlement, la « guerre » des commissions

Les eurodéputés environnementaux se sont prononcés pour un seuil d’entrée dans le dispositif de 300 UGB pour les élevages de bovins (mais les élevages extensifs et biologiques seraient exclus du dispositif) et 200 UGB pour ceux de porcs et de volaille et 250 UGB pour les exploitations mixtes (sauf si un type d’animal est égal ou inférieur à 25 UGB).

Ils ont par ailleurs proposé d’inclure une clause de réciprocité pour les produits issus de l’élevage importé dans l’UE, auxquels ces contraintes ne sont pas imposées mais sans préciser les détails techniques d’un tel dispositif.

Le parlement doit encore adopter sa position définitive lors de la session plénière du 10 au 14 juillet, puis des négociations pourront débuter avec les États membres. Ces derniers s’étaient, pour leur part, mis d’accord, lors du conseil des ministres européens de l’agriculture du mois de mars, sur des seuils d’entrée dans le dispositif pour les élevages de bovins et les porcs fixés à 350 UGB, pour ceux de volaille à 280 UGB et pour les exploitations mixtes à 350 UGB.

Une forme d’irrespect

Les débats sur la révision de la directive IED ont fait bondir Jérémy Decerle, lui-même éleveur. Les propositions initiales de la commission l’ont surtout conforté dans l’idée qu’elle a du mal à proposer « des textes cohérents et en lien avec la réalité de ce qu’est l’agriculture. Pour l’agriculteur que je suis, c’est une forme d’irrespect » s’est-il même insurgé ».

« Avant que la proposition ne soit retravaillée par le conseil, L’Exécutif avait initialement décidé de traiter un troupeau de 150 vaches d’édifice industriel. Il s’agit là d’une proposition complètement lunaire. A la base, nous refusons d’assimiler l’élevage à une activité industrielle ».

« Nous ne sommes pas des marchands de tapis » nous a-t-il encore expliqué lors de la session plénière du mois de mai, en avançant que son groupe ne souhaitait pas cautionner « une négociation sur un chiffre magique au-delà duquel, à l’animal près, une exploitation agricole deviendrait une zone industrielle ».

« Pour ma part, je ne défends pas spécialement des seuils les plus élevés, mais plus pertinents, qui sont en adéquation avec des critères de surfaces et de type d’exploitation » a-t-il encore relevé, ajoutant qu’il n’était de toute façon « pas question de descendre ceux des porcs et des volailles, ni d’inclure les bovins dans la directive ».

« Pause » sur les normes environnementales ?

Il regrette, enfin, que l’Exécutif se soit présenté à deux reprises devant les députés de la Comagri sans véritablement ouvrir le débat.

Et les débats, justement, ne manquent pas pour le moment dans l’hémicycle et au sein des commissions de l’Agriculture et de l’Environnement du parlement, dans cette période où d’importants textes relatifs au Pacte Vert sont sous le feu nourri des critiques.

« D’un côté nous avons la gauche et les verts qui ont souvent tendance à montrer du doigt, sans toujours les nommer, les agriculteurs, à exagérer autour de la notion d’agriculture industrielle, qui pollue ».

« Les écologistes considèrent que seules des mesures drastiques et contraignantes permettront de relever les défis qui se dressent devant nous » a déroulé J. Decerle, lequel affirme ne pouvoir « concevoir que l’on soit aussi critique vis-à-vis des agriculteurs alors que l’on a l’agriculture la plus belle du monde ».

« De l’autre côté de l’échiquier, nous nous retrouvons face une droite conservatrice qui s’est prononcée à l’époque en faveur du Pacte Vert, parfois à reculons, mais qui considère que les cartes sont désormais rebattues du fait des événements qui se trament en Ukraine. Pour elle, la seule solution pour assurer la sécurité alimentaire de l’Europe, c’est de freiner les stratégiques vertes de la commission ou, carrément, d’appuyer sur « pause ».

Une lexie qui a séduit jusqu’au premier ministre Alexander De Croo, partisan, à la suite du président français Emmanuel Macron, d’une « pause » réglementaire européenne sur les normes environnementales.

« Ce qu’il faut éviter maintenant c’est de surcharger la barque, en ajoutant aux objectifs d’émission de CO2, par exemple des nouvelles normes de dioxyde d’azote, de nouvelles normes liées à la loi de restauration du milieu naturel, de nouvelles normes dans le domaine de la biodiversité », avait-il déclaré sur la VRT.

Transition verte, oui, mais avec des moyens financiers adéquats

Pour Jérémy Decerle, Il faut un juste milieu. Mais surtout « se rendre compte que les agriculteurs n’ont pas attendu les politiques pour faire évoluer leurs pratiques et s’inscrire dans la transition verte, mais les politiques ont maintenant la responsabilité de les aider pour rencontrer les ambitions qui figurent dans le Pacte Vert et sa stratégie « De la fourche à la fourchette ».

« Ces objectifs ne sont pas totalement débiles, si je peux m’exprimer ainsi, mais ils peuvent rapidement le devenir si, en face, on ne met pas des moyens financiers, humains, techniques et innovants pour les atteindre » a poursuivi l’éleveur français, pour qui on doit réduire les pesticides et se servir des NBT pour amener une alternative.

« On avance sur la séquestration du carbone pour accompagner et rémunérer les agriculteurs qui sont déjà dans ce schéma pour en capter ou qui en captent déjà » a-t-il précisé, ajoutant qu’il faudrait « faire rentrer cette transition agricole dans une dynamique de filière pour que l’agriculteur ne soit pas le seul à payer, à prendre des risques et éventuellement à trinquer ».

Pour ce faire, une implication coordonnée des différentes politiques qui gravitent autour de l’agriculture est nécessaire.

Il conviendrait, par exemple, de modifier la façon d’aborder la politique commerciale. « Le commissaire Frans Timmermans, en charge du Pacte Vert, met la pression sur les agriculteurs européens pour qu’ils se mettent rapidement dans le rythme de l’écologie, changent leurs pratiques en matière d’élevage et d’intrants. Et c’est le même commissaire qui court au Brésil avec la volonté de finaliser l’accord Mercosur au 1er juillet alors que le bloc sud-américain ne respecte aucune de nos normes ».

« On ne peut se moquer ainsi des agriculteurs et des consommateurs. Les Européens nous en voudront si l’on fait des bêtises pareilles » a-t-il soufflé.

Marie-France Vienne

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