Accueil Elevage

R. Vande Walle, abatteur et boucher, ne croit pas à la production de masse!

À Kluisbergen, entité flamande située juste au nord de l’entité wallonne de Mont-de-l’Enclus, la boucherie Vande Walle combine à la fois un petit abattoir et une boucherie. Selon son propriétaire, Ruben Vande Walle, les consommateurs se détournent de la production en masse d’une viande uniforme. Il connaît personnellement les producteurs et choisit les animaux qui passent à l’abattoir.

Temps de lecture : 9 min

L a plus grande partie de la viande consommée en Belgique passe par de grands abattoirs. Ceux-ci fonctionnent pour les grandes chaînes de distribution qui les pressent comme des citrons. Chez la famille Vande Walle, on est resté à l’ancienne. La boucherie côtoie le petit abattoir. Le nombre des animaux qui y sont abattus est peu élevé. Le boucher connaît les producteurs qui fournissent les animaux. La viande ne part pas vers la grande distribution, mais vers une clientèle qui entretient un lien personnel avec la famille du boucher.

La septième génération

La famille pratique la boucherie depuis très longtemps, puisque Pieter Vande Walle s’était installé comme abatteur à Berchem en 1777. Berchem est l’une des 4 communes de l’actuelle Kluisbergen. L’entité fait partie des Ardennes flamandes.

Le petit-fils de Pieter, Louis, a démarré la boucherie en 1856, et ses descendants ont poursuivi la tradition familiale. On en est aujourd’hui à la septième génération. Ruben, qui a 39 ans, peut toujours compter sur l’appui de son père Paul.

La boucherie est installée non loin de l’église et la clientèle déborde du cadre communal. Ruben : « Notre clientèle compte 10 à 15 pourcents de Wallons. Mais on reste souvent entre soi, les Wallons chez les Wallons, les Flamands chez les Flamands. Sur la base de la proximité, un tiers de notre clientèle pourrait venir de Wallonie. À nous d’y penser… »

Les mêmes règles pour tous

Le petit abattoir doit respecter toutes les mêmes règles sévères auxquelles les grands abattoirs du pays doivent répondre. L’Agence fédérale de sécurité de la chaîne alimentaire, l’Afsca, ne fait aucune différence. Il n’y a, finalement, qu’une seule exception qui a été acceptée. L’abattoir ne doit pas disposer d’un quai de déchargement, pour la simple raison qu’aucun camion ne vient amener des animaux.

Mais pour le reste, les règles sont tout aussi strictes pour la sécurité, le bien-être animal et l’hygiène. On y abat des bovins, des porcs et des moutons.

Les moutons viennent de l’élevage personnel

Les agneaux viennent de notre propre élevage, explique le boucher. Cela s’est fait petit à petit. Paul a arrêté l’élevage bovin il y a plus de 10 ans pour se consacrer à l’élevage ovin. La troupe d’une cinquantaine de brebis vit aujourd’hui près de la maison de la sœur de Ruben. Ce dernier va inspecter son cheptel tous les jours, et sa sœur l’aide durant la période de l’agnelage.

Auparavant, les animaux vivaient juste à la sortie du village, mais tout changea à la suite du dépistage d’un cancer chez son père Paul. Le médecin ne lui donnait plus que quelques mois à vivre. Paul songea à réaliser une succession paisible pour ses enfants. C’est ainsi que les propriétés furent vendues, et l’héritage fut réparti entre les enfants.

Contrairement aux prévisions pessimistes de son médecin, Paul vit toujours, il est en bonne santé, et le médecin ne comprend toujours pas ce miracle médical.

Entre-temps, un des terrains à bâtir avait été vendu, et un supermarché Delhaize y a été installé. Critique vis-à-vis de la grande distribution, Il soupire : « Ce n’était vraiment pas l’objectif. On dit, par exemple, que Colruyt est un excellent employeur, mais on oublie de signaler combien d’épiceries ont disparu… »

Des acheteurs sans respect

Ruben déplore la façon dont les supermarchés traitent les fournisseurs de viande. Ceux-ci vivent sur le fil du rasoir. La pression sur les prix ne cesse jamais, et les grands abattoirs, qui fournissent de grands volumes, sont obligés de travailler dans le stress. Cela peut durer un certain temps, mais à la fin, arrive un moment où c’est au détriment de la qualité du travail. Les scandales dans le monde de la viande sont, pour lui, au moins partiellement, la faute de la manière dont les supermarchés fonctionnent, toujours au sou près. Et leur façon de procéder est facilitée par l’apathie des autorités. Il trouve que celles-ci sont trop peu loyales et ont peu le sens de la justice : « Un bon abattoir comme Adriaens fait partie de Veviba, mais il n’a rien fait de contraire. Pourtant, il est aussi victime du scandale. »

Des tonnes de viandes de Veviba ont été jetées alors que, vraisemblablement, rien n’était en faute, à part le fait qu’un boucher comme Ruben trouve que c’était une viande uniforme et moins goûteuse qu’une viande venant d’un artisan boucher.

Les médias n’arrangent rien, estime-t-il : « Tout est monté en épingle et les médias sont sans pitié, sans aucun sens de la nuance. Louis Verbist, le propriétaire de Veviba, a fait des erreurs, mais il a quand même fait de bonnes choses. L’affaire doit être mise au clair, mais faut-il la mettre par terre ? Les autorités devraient aussi analyser leurs propres comportements. Elles n’ont rien fait pour empêcher cette pression incessante sur les prix, et cela fait qu’à présent, il n’y a presque plus que des grands abattoirs industriels »

L’ abattoir est très compact. L’abattage se fait par tir ou par électrocution.
L’ abattoir est très compact. L’abattage se fait par tir ou par électrocution. - JCB

Travail d’artisans

L’abattoir ne peut pas être qualifié d’industriel. Chaque semaine, deux personnes qualifiées abattent 6 à 7 porcs ainsi que 5 à 10 moutons sous la supervision du boucher. Pour les bovins, la cadence est plutôt de deux à trois fois par mois. Au moins 70 % de la viande en boucherie provient de l’abattoir. Le reste, la volaille et la viande de veau, est acheté à l’extérieur pour assurer l’assortiment normal de la boucherie.

La maison offre du travail à 4 personnes, dont un cuisinier qui réalise les préparations à base de viande. Chaque lundi, deux spécialistes viennent abattre les animaux. L’épouse de Ruben s’occupe surtout de l’administration. Le père Paul est encore très actif. C’est une affaire familiale, avec une clientèle de proximité, souvent des connaissances, des amis, de la famille. À la boucherie comme dans l’abattoir, chacun se sent responsable de son activité.

La viande qui sort de l’abattoir a, selon Ruben, une meilleure qualité que la viande en provenance des abattoirs industriels, voire d’autres bouchers : « De moins en moins de bouchers sont capables de juger et d’apprécier un animal. La connaissance d’un animal permet de juger quelle viande il va donner. De plus en plus de bouchers achètent des parties d’animaux. Nous devons réfléchir à la valorisation de l’ensemble de la viande d’un animal, donc imaginer des pâtés, diverses préparations, saler et fumer des jambons... »

En ce qui concerne l’abattage industriel, il estime qu’il y a une erreur fon damentale dans le refroidissement des viandes. Il trouve qu’on les fait refroidir trop vite vers les 3ºC. Chez lui, le refroidissement est un peu plus lent.« Ma philosophie, c’est que la viande doit refroidir de l’intérieur vers l’extérieur. La viande se raidit lorsqu’elle doit passer trop vite du chaud au froid, c’est un peu comme lorsqu’on passe directement d’un bain chaud à un bain glacé.

Le fait de posséder son propre abattoir permet de valoriser au mieux les animaux, de porter la qualité de la viande à son maximum.
Le fait de posséder son propre abattoir permet de valoriser au mieux les animaux, de porter la qualité de la viande à son maximum. - JCB

La plus-value d’un abattoir

Pour Ruben, l’abattoir ne serait pas rentable sans le lien direct avec la boucherie : « C’est l’abattoir qui donne une plus-value à la boucherie. » La boucherie tourne bien. Le nombre de bouchers a fortement diminué au cours des dernières années. Seuls les plus forts résistent. Il a une explication à ce phénomène : « Le client moyen veut manger vite, on passe de moins en moins de temps à table. Cela veut dire qu’on va vite acheter quelques paquets de viande au supermarché sans trop réfléchir à la recette à cuisiner. Je trouve cela dommage car bien manger permet aussi de bien agrémenter sa vie, et je pense que cela est dû en partie à un manque de connaissances. »

Avant, les gens avaient toujours l’un ou l’autre membre de la famille qui détenait des animaux et qui les abattait. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les porcs sont détenus dans des bâtiments, et c’est de plus en plus le cas pour les bovins. On ne les voit plus, les animaux sont séparés de la vie normale de la société. En plus, les abattoirs communaux et régionaux ont disparu au profit des usines d’abattage.

Par ailleurs, le comportement d’achat manque d’un certain chauvinisme, estime encore le boucher : « Je pense qu’en Belgique, on doit encore apprendre à se soutenir l’un l’autre. Si j’étais en France, tous les restaurants, dans les environs, commanderaient la viande chez nous. On devrait retenir cette leçon. Pourquoi sommes-nous toujours aussi affairés ? »

L’abattoir, mais également la salle de découpe et la cuisine doivent satisfaire aux exigences imposées par l’Afsca.
L’abattoir, mais également la salle de découpe et la cuisine doivent satisfaire aux exigences imposées par l’Afsca. - JCB

« Manger moins de viande »

Il ne s’attend toutefois pas à ce que beaucoup de consommateurs reviennent chercher la viande de tous les jours chez l’artisan boucher : « Je ne vois pas cela arriver. Ce serait bien si nous pouvions éduquer un peu la population, mais cela ne représentera jamais qu’un petit volume. Souvent, je me dis que nous mangeons aujourd’hui bien plus de viande qu’autrefois. Dans le temps, on mangeait de la viande le dimanche ou le jour de la kermesse. Mon slogan ? Mangeons peu, mais mangeons mieux. »

C’est un slogan qui s’applique aussi à ceux qui plaident pour une consommation moindre de viande, qui mettent en avant les possibles effets négatifs d’une consommation trop importante de viande rouge sur la santé, qui accusent l’impact de l’élevage sur l’environnement et l’agriculture.

Toutefois, il relativise : « On ne peut pas oublier que les bovins sont d’importants recycleurs de matières indigestibles pour l’homme. Je comprends parfois les critiques sur l’élevage, venant d’un point de vue de citoyens qui n’en connaissent que bien peu. C’est aussi pourquoi je me suis penché sur le veganisme et le végétarisme. Je respecte les gens qui choisissent cette option. Ils ont fait un choix de façon consciente. Mais les mangeurs de viande qui critiquent l’élevage, j’aimerais qu’ils soient obligés de tenir un animal, de l’abattre, et puis de le manger. Alors, ils sauraient ce que cela veut dire. Personnellement, je ne vois pas comment on pourrait nourrir durablement le monde en supprimant l’élevage. Mais, j’aime la viande. En ce qui me concerne, je considère que cela fait partie de la nature humaine. »

Ruben Vande Walle s’approvisionne chez des agriculteurs qu’il connaît bien. Les porcs viennent d’un élevage de Nevele, près de Gand. Les porcs y sont nourris à la soupe. La caboulée comprend des pommes de terre, des drèches, du maïs grain, des céréales, de l’huile d’olive et un peu de jeune foin. L’éleveur a opté pour un verrat Duroc. Ce choix et une alimentation humide facilitent l’engraissement. La viande est à la fois pleine de goût et juteuse, elle a plus de graisse, dit-il.

Pas du pur Duroc

Mais il ne veut pas de la race pure Duroc : « Je pense que les gens veulent de la viande avec de la graisse et pas de la graisse avec un peu de viande. »

Les bovins sont achetés chez des fermiers dans les environs. Une partie est achetée pour la boucherie, mais les fermiers demandent de plus en plus à abattre des animaux pour leur propre consommation. « Avant, on amenait la plus mauvaise vache. Maintenant, c’est une excellente bête qu’on demande à abattre parce que l’agriculteur désire manger une bonne viande. Le congélateur est là pour la conserver. Ruben : « Il y a de la place pour les deux. Nous abattons pour la boucherie, mais c’est également valorisant de pouvoir travailler directement pour le particulier. Un animal qu’on a nourri avec soin, que nous abattons et qui se retrouvera ensuite dans l’assiette. C’est tout de même ainsi que cela doit être.

JCB

A lire aussi en Elevage

La seule usine européenne de lysine en danger:«Nous risquons d’être dépendants de la Chine»

Elevage Il n’y a pas que les agriculteurs qui se retrouvent face à la concurrence des produits importés, ne respectant pas toujours les normes de l’Union européenne. Du côté des entreprises, aussi, elles doivent tirer leur épingle du jeu afin de rester compétitives face aux industriels, notamment asiatiques. C’est le cas de Metex en France, le seul producteur européen de lysine. En redressement judiciaire, principalement en raison de la concurrence chinoise et de la hausse des coûts de production, la société craint pour son avenir.
Voir plus d'articles