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La création d’une marque, une solution d’avenir pour les éleveurs Blanc-bleu ?

Peu de temps après le scandale Veviba, la Foire de Libramont a réuni une dizaine d’éleveurs Blanc-bleu belge pour les aider à s’approprier les constats issus d’une enquête réalisée par The retail academy (Gondola group). L’objectif ? Permettre aux éleveurs de créer une marque, un nouvel écosystème qui leur appartienne et dans lequel producteurs et consommateurs se re-découvrent.

Temps de lecture : 8 min

Le secteur de la viande n’est pas au mieux de sa forme. En 10 ans, il a connu une forte régression tant en volume (-30 %) qu’en valeur (-50 %), ce qui sous-entend qu’il vit une crise structurelle. Dans le Cadre du Sommet des éleveurs, organisé le 30 novembre par la Foire de Libramont, les agriculteurs ont pu débattre de leur situation et des pistes de solution, dont notamment la création d’une marque leur appartenant.

Et pour les soutenir, la Foire de Libramont a commandé auprès de The Retail Academy (Gondola Group) une double étude auprès de 100 éleveurs et plus de 460 consommateurs.

« Au-delà des polémiques, nous avons voulu comprendre quelles étaient les tendances de fond, les réels enjeux économiques et sociaux qui se cachent derrière la crise que connaît le secteur », explique Pierre-Alexandre Billiet, CEO de Gondola Group.

Adapter sa production aux demandes des consommateurs

Aux questions liées à leur propre perception et à celle de leur travail, les réponses les plus populaires sont en phase avec les tendances de la consommation. La majorité des éleveurs estime nécessaire d’adapter les méthodes de production aux besoins et aux attentes du client. Et ce, tout particulièrement, en vue de réduire l’impact environnemental (autonomie fourragère, notamment) et le volume de production pour une meilleure qualité de l’aliment. D’autant que près de 90 % des sondés estiment qu’il faut apprendre au consommateur à privilégier une viande de qualité…

Selon l’étude, ils estiment également que leur avenir dépend avant tout de la création de nouvelles valeurs liées à la viande (santé, bien-être animal, environnement) ; d’un contrat commercial direct liant éleveurs et consommateurs, notamment via la digitalisation. « Les éleveurs sont conscients des enjeux auxquels ils font face ! Ils savent aussi que le consommateur est prêt à s’impliquer pour les soutenir, s’ils produisent de la viande répondant à ses valeurs. Le client sera dès lors prêt à payer davantage pour une viande de qualité… pour autant qu’il en soit convaincu.

Retrouver un lien avec le consommateur

Pour améliorer la stratégie commerciale du secteur, les sondés pensent à plusieurs pistes, dont notamment : former une coopérative pour la promotion d’une viande belge ; éduquer les consommateurs ; apprendre aux gens à cuisiner les différents morceaux ; être à l’écoute du consommateur et gérer eux-mêmes le commerce de leurs productions… « Ils sont en outre conscients qu’ils ne vont pas vendre plus de volumes de produits puisqu’il y a clairement un déséquilibre entre volumes et valeurs », insiste M. Billiet.

Si l’on en croit les chiffres, 31 % des éleveurs pensent que l’on doit apprendre au consommateur à privilégier une viande de qualité. « Ils sont donc ouverts à certains changements dans leur manière de faire. Mais ils sont également demandeurs d’interactions et d’activations de la part du consommateur, une relation qu’ils n’ont pas avec la grande distribution aujourd’hui. Ils voient l’avenir des distributeurs à travers de nouvelles valeurs liées à la viande. On est donc dans l’ordre d’une nouvelle stratégie. »

79 % des consommateurs ont confiance dans la qualité de la viande

Du côté des consommateurs, le constat s’avère positif. Même si l’étude a été réalisée avant le scandale alimentaire Veviba, pour l’orateur, l’affaire ne devrait avoir que peu d’influence sur l’opinion publique.

Quelque 90 % des clients mangent encore de la viande. De ce nombre, 54 % consomment la même quantité de viande qu’il y a 5 ans. Ce sont essentiellement les 21-50 ans, et surtout les femmes, qui arrêtent d’en manger. Les végétariens sont principalement dans les groupes d’âge des 36-50 ans. Le panel qui en consomme le moins explique faire attention à son alimentation, et donc à sa santé (29,6 %) ou consommer davantage de viande de qualité mais en limitant la quantité (27,4 %). Notons que 10 % des sondés sont végétariens, ce qui explique en partie la diminution de la consommation de la viande… Seuls 3,5 % disent ne pas avoir confiance dans le produit.

L’enquête auprès des consommateurs reflète fidèlement les segments de distribution de la viande. En effet, 52 % des sondés achètent leur viande au supermarché, et 32 % chez le boucher-artisan. Remarquons que les ventes en boucherie ont connu une forte augmentation depuis le début de l’année. Si seuls 3,7 % des consommateurs achètent directement chez l’éleveur, c’est déjà une belle évolution par rapport aux années précédentes. Selon une autre étude, en 2017 la vente à la ferme, tous secteurs confondus, a augmenté de 15 %, ce qui est énorme, même si en chiffre absolu, le volume reste très faible.

L’origine de la viande est importante pour 62 % des gens. Par ailleurs, on voit également un intérêt pour le paramètre « pâturage d’été » (55 %). « Si cela ne doit pas être une réponse unanime du secteur, ces chiffres montrent une certaine sensibilité à d’autres paramètres plus subjectifs. 56 % des votants mangeraient d’ailleurs davantage de viande s’ils étaient certains que l’aliment est bon pour leur santé. Autre bonne nouvelle et non des moindres : 79 % des consommateurs ont confiance dans la qualité de la viande de bœuf !

Le Blanc-bleu, devant l’Angus et la Limousine

En termes de connaissances de races, c’est le Blanc-bleu qui arrive en pôle position (22,4 %), devant le Black Angus (15,6 %), la Limousine (15,5 %), le Charolais (9,6 %) et le bœuf Wagyu/Kobe (8 %). Si l’orateur pensait que le BBB se détacherait davantage, il estime que le marketing autour du Black Angus, du limousin marche très bien. « Et quand on voit le score du Wagyu, c’est interpellant ! C’est du marketing pur. Cette viande ne représente rien en termes de volumes (moins de 0,5 % du marché) mais arrive tout de même à un taux de pénétration du marché relativement important. Notons que les races les plus connues sont les plus appréciées.

Ensuite, 41 % des sondés estiment qu’il est nécessaire de connaître la race. Ce à quoi M. Billiet réagit : « Quand on voit le taux de pénétration du Blanc-bleu sur le marché (22 %), on se dit que la race « sous-preste » par rapport aux parts de marchés dont elle dispose. Il y a un réel problème d’identification du produit, sur son origine, ses bienfaits ».

Par ailleurs, consommer de la viande de bœuf Belge est important pour 72 % des personnes. « Ce qui montre une grande disparité entre ce que le consommateur trouve important et ce qu’il sait de ce qu’il consomme. Le soutien aux fermes locales reste important pour 77,6 % d’entre eux. « La viande est un produit qui traverse les crises et pourtant le consommateur est hypersensible à des éléments stratégiques comme la qualité du produit, la manière dont il est réalisé… Et qui dit hypersensibilité du consommateur, dit place à prendre pour une marque », ajoute le CEO de Gondola.

Il précise : « Il existe une énorme dichotomie entre ce que nous pensons de la viande et ce dont le consommateur est demandeur. Celui-ci n’a d’ailleurs pas l’impression qu’on lui offre, car il n’arrive tout simplement pas à identifier le produit. La viande est devenue une commodité, d’où la raison pour laquelle les grandes surfaces se permettent de la brader. »

Une nouvelle impulsion

L’équipe de la Foire agricole, en commandant cette étude, explique avoir voulu donner une impulsion aux éleveurs. Natacha Perat, manager de la Foire : « Nous voulons donner les clefs pour qu’un groupement d’agriculteurs se mette en place et puisse se réapproprier de la valeur, mais aussi en créer. »

Pour Jean-François Ledent, directeur opérationnel de la Foire de Libramont, si on ne doit pas brader un produit de qualité, cela ne doit pas empêcher d’utiliser les codes de la grande surface, comme le fait Fairebel pour promotionner ses produits. « Une fois que les éleveurs auront défini le produit, viendra la question du comment atteindre le consommateur, par quel positionnement. Et peut-être que la grande surface ne sera pas dans un premier temps le meilleur choix. »

« Si créer une marque et la vendre n’est pas (ou plus) le métier des agriculteurs, force est de constater que personne ne l’a fait à leur place… Il est donc impératif qu’ils la prennent en charge. Et comme le consommateur a besoin d’une histoire lors de l’achat d’un produit, qui mieux qu’un éleveur peut expliquer comment il travaille… »

Mais Pierre-Alexandre Billiet précise : « C’est trop facile de remettre la faute sur la grande distribution ! Celle-ci a joué le jeu durant des années et a assuré des volumes, des cahiers de charges… Toutefois, un certain modèle de grande distribution touche à sa fin. La question qu’il faut dès lors se poser : la viande B-BB va-t-elle accompagner le modèle de la grande distribution ou va-t-elle commencer à voler de ses propres ailes en créant ses basiques, sa marque, un modèle de distribution plus hétéroclite que des gros volumes vendus par la distribution.

Natacha Perat : « Une dizaine d’éleveurs ont été informés des résultats de l’étude. À eux de digérer l’information pour aller dans la bonne direction. Si création de marque il y a, ils pourront être encadrés par Gondola Group. La Foire de Libramont veut être quant à elle la caisse de résonance de l’initiative. »

Le digital a changé la donne

« Aujourd’hui, réconcilier éleveurs et consommateurs est beaucoup plus simple qu’il y a 10 ans. Si les modèles de distribution sont plus contestés, le digital a changé fondamentalement la manière de consommer, de communiquer et de se rapprocher. Il y a davantage d’acteurs sur le terrain qui sont des clients ou des ambassadeurs potentiels de l’initiative. Une fois le projet lancé, il est possible que le projet essaime. Plus il y aura de marques portées par le milieu agricole, mieux l’agriculture se portera et mieux le consommateur s’y retrouvera », note Mme Perat.

Et Pierre-Alexandre Billiet de conclure : « C’est interpellant de voir qu’un produit qui a traversé tant de crises suscite toujours autant de demandes de la part des consommateurs. On a là un terrain solide pour constituer les bases d’une marque même si on n’a aucune idée du temps dont on dispose. La distribution est demandeuse que les éleveurs prennent les choses en main, soient créateurs de valeurs.

P-Y L.

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