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Petit paysan

Temps de lecture : 4 min

Depuis quelques années, les films et émissions télé qui explorent la galaxie paysanne agricole font florès. « Demain », « Qu’est-ce qu’on attend », « Les liberterres », « L’amour est dans le pré »…, mènent une approche convenue, laquelle caresse le public dans le sens du poil, le gratte derrière les oreilles et lui fait des mamours en lui proposant précisément ce que toutes ces bonnes gens en quête de bonne conscience souhaitent voir et écouter. « Petit paysan », quant à lui, présente un profil beaucoup plus nuancé. Le film de Hubert Charuel instruit les spectateurs de la dure réalité agricole et de son profond décalage, au sein d’un monde moderne totalement ignorant des vérités paysannes, et impitoyable dans sa bureaucratie omnisciente.

Sans doute avez-vous déjà eu l’occasion d’assister à sa projection. Si ce n’est le cas, je vous encourage vivement à le découvrir. Vous ne serez pas déçus ! En fait, son visionnage devrait être obligatoire au sein des multiples instances agricoles qui gèrent nos destinées. Particulièrement l’Arsia et l’Afsca… Peut-être leurs fonctionnaires et employés comprendraient mieux le sens de leurs missions, et adopteraient une gestion moins normative, mieux à l’écoute des émotions humaines et de l’âme paysanne. Peut-être…

« Petit paysan » raconte l’histoire de Pierre, jeune fermier trentenaire, éleveur passionné de vaches laitières Prim’Hosltein. Il mène son troupeau avec savoir-faire et affection. Il s’est créé son petit monde ; le reste l’indiffère ou même l’agace : la boulangère aux yeux gourmands qui voudrait s’immiscer amoureusement dans sa vie ; ses amis d’enfance joyeux fêtards ; ses parents qui se mêlent un peu trop de ses affaires. Le jeune homme est criant de vérité, dans son langage verbal et non verbal, dans son comportement et ses réactions. Le film est émouvant et drôle, car il dépeint les qualités et les petits travers du monde paysan : son opiniâtreté, son individualisme, sa passion exclusive envers son exploitation, quitte à tout lui sacrifier, sa famille, sa santé, ses amis, son bonheur personnel… Et même son honneur !

Car l’univers de Pierre est fragile, comme notre univers à nous tous, agriculteurs ! Il suffit désormais d’une crise financière ou sanitaire, d’un caprice politique, d’une campagne médiatique de dénigrement, pour faire voler en éclat notre existence, patiemment construite autour de notre exploitation familiale. Il suffit d’une saleté de virus, d’un moustique vecteur de maladie, d’un prion salace dans les farines animales, d’une campagne d’éradication d’une épizootie décidée par nos services sanitaires… L’orage guette au-dessus de nos têtes, et la foudre menace à tout moment de s’abattre sur l’un d’entre nous, aveuglément, injustement. Pierre le petit paysan en est terriblement conscient, et son angoisse vire à la paranoïa dès qu’il détecte la moindre maladie chez une de ses vaches. Nous avons, toutes et tous, connu les affres de cette crainte immanente, alimentée par les innombrables directives sanitaires agricoles, par tous ces plans de lutte instrumentalisés de manière abusive et bureaucratique.

Les chiffres nous ont massacrés : tous ces numéros, ces résultats d’analyses. Et Pierre va très vite en éprouver la puissance aveugle et destructrice, quand une de ses protégées est touchée par un virus mortel. Mortel pour l’animal et pour tout le troupeau, car l’administration impose l’abattage complet du cheptel quand la présence de cette pathologie est détectée. Le monde du petit paysan s’écroule, comme s’écroula jadis la vie de milliers d’éleveurs belges, frappés par la brucellose. Il a beau tricher, mentir, voler, vendre maladroitement son âme au diable, rien n’y fait ! Ses vaches sont condamnées, ses meilleures amies, sa raison de vivre.

Cet attachement sentimental et inconditionnel des gens de la terre envers leurs animaux, les dirigeants et fonctionnaires de l’Arsia et de l’Afsca le mesurent bien mal, ou l’ignorent délibérément pour garder la conscience tranquille. Ils ne comprennent pas l’énervement des éleveurs et leurs cris de colère, quand ils imposent leurs plans de lutte assortis d’une kyrielle d’obligations, leurs croisades féroces au nom du dieu « Administration », celui qui lave plus blanc que blanc et lessive nos élevages au décapant industriel…

IBR, BVD, FCO, ESB, brucellose, etc, etc. Tous ces sigles et ces mots terriblement anxiogènes empoisonnent nos existences de petits paysans, il est impératif que le monde qui nous entoure le sache et le comprenne ! Pour cette mise en lumière et tant d’autres raisons, le film « Petit paysan » mérite tous les éloges, tous les oscars et les césars de la terre !

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