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Bio S, M, L, XL ou XXL ?

Temps de lecture : 4 min

La semaine consacrée à l’agriculture biologique s’achève. Elle aura sans nul doute suscité beaucoup d’intérêt parmi les consomm’acteurs soucieux d’écologie, et de leur santé. Pas mal de clichés sont associés au bio dans la conscience populaire : on le vêt couleur nature, sans OGM, pesticide ni engrais ; on l’habille le plus souvent dans de petites tailles, S ou M. Une exploitation bio authentique devrait être par essence de faible surface, paysanne et familiale, très peu mécanisée et travaillant manuellement « à l’ancienne ». Plus c’est petit, mieux c’est ! Dans la réalité, il en existe de toutes les tailles… Les plus petites ne sont pas toujours les moins intensives, au contraire !

Ainsi, la Micro-Ferme du Ponceret, près de Bastogne, s’étale sur seulement trois hectares, mais présente un profil très intensif, à la hollandaise. Des serres ultramodernes accueillent des plantations de tomates et d’autres légumes avides de chaleur ; des serres chauffées, ventilées de manière électronique, équipées de capteurs de luminosité, de température et d’humidité. Le but de son concepteur est de tirer parti du meilleur dans chaque monde, de combiner savoir-faire paysan et technologie moderne. Il faut tout d’abord nourrir le sol, le peupler de bactéries, de champignons, d’insectes, de lombrics, pour le rendre naturellement très fertile et bien équilibré. Des bourdons sages et travailleurs s’occupent de la pollinisation ; un système goutte à goutte irrigue les sols couverts d’un paillage. Rien n’est laissé au hasard ! La chaudière à pellets d’un genre particulier produit du « biochar », résidu d’un traitement à très haute température, à l’étouffée, ce qui extrait les gaz, lesquels servent de combustible. La combustion « assistée » laisse un résidu particulier, le biochar, riche en carbone et au pH basique, un amendement exceptionnel déjà connu par les Incas au Pérou. La micro-ferme a développé un magasin bio bien achalandé, lequel propose également des produits provenant d’autres exploitations régionales.

Ce genre de ferme bio nécessite de très lourds investissements, et emploie une main d’œuvre salariale importante. Elle présente un profil financier et commercial très élaboré, très différent d’une autre exploitation de la région, grande de dix hectares celle-là. Il s’agit là d’une ferme à l’ancienne, si l’on peut dire, très intensive manuellement, et bien gérée elle aussi. Point de serres ultra-modernes, mais des potagers très fertiles où sont cultivés toutes sortes de légumes et de petits fruits de saison. Un élevage de chèvres assure la production de fumier, et bien entendu de produits laitiers commercialisés en circuit court : fromages, yaourts… Là, rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme et se valorise !

Je connais également une autre ferme bio, ici de septante hectares, avec un beau troupeau de vaches laitières. L’agriculteur est tout le temps sur son tracteur, à épandre, labourer, herser, semer, faucher, récolter, pour produire des fourrages de première qualité, très nourrissants pour ses animaux. Il valorise son lait via la laiterie, et envisage une production de fromage, si son fils le rejoint bientôt. Un autre agriculteur bio, parmi mes connaissances, exploite carrément deux cents hectares ! Il dispose d’un troupeau de bovins viandeurs, un autre de vaches laitières, plus de 100 moutons, un poulailler de 5.000 places, et s’est lancé depuis peu dans le maraîchage. Excusez du peu ! C’est du bio extra-large !

Cette dernière ferme, toutefois, semble encore très modeste en comparaison des exploitations bio allemandes, en ex-RDA ou délocalisées en Roumanie, qui cultivent des milliers d’hectares avec des moyens mécaniques et motorisés absolument démesurés. Elles fournissent le hard-discount avec des prix très inférieurs au bio de chez nous.

S, M, L, XL ou XXXXL, toutes ces exploitations représentent l’éventail très contrasté de la réalité agricole bio d’aujourd’hui. Leur production est irréprochable dans tous les cas, j’imagine, et satisfait aux exigences légales. Pourtant, du point de vue écologique ou fairtrade, elles évoluent dans des univers très différents. Les fermes paysannes et familiales de taille humaine subissent la concurrence des entités super-intensives ou très étendues. Peut-être faudrait-il instituer un label « bio artisanal » pour les exploitations de tailles S, M ou L, et qui respectent vraiment l’esprit « bio » ? Poser la question, c’est déjà y répondre…

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