Accueil Archive

Une autre agriculture

Temps de lecture : 3 min

Ils sont ouvriers, employés, fonctionnaires ou petits indépendants. Mais le soir et le week-end, ils sont agriculteurs. Ils passent tous leurs congés à la ferme : leur loisir, c’est élever quelques animaux, cultiver quelques hectares de terres. Chevaux, moutons, bovins, volailles, lapins, maraîchage…, sont leur passion, leur violon de Ingres, leur évasion. Dans nos campagnes, ils sont de plus en plus nombreux et occupent une partie, petite mais non négligeable, de la surface agricole utile. Faut-il le déplorer, ou au contraire s’en réjouir ?

Le phénomène n’est pas nouveau. Autrefois, -je vous parle d’un temps que les moins de cinquante ans ne peuvent pas connaître –, dans nos villages, chaque famille ouvrière élevait des animaux et cultivait un grand potager. Deux vaches pour le lait, des poules pour les œufs, le jardin pour les légumes. Cela améliorait grandement le quotidien des petites gens aux revenus modestes, et leur fournissait une bonne nourriture à bon compte. Puis les salaires se sont bonifiés, les produits alimentaires ont vu leur coût baisser au supermarché de manière ahurissante, les épouses sont parties travailler et plus personne n’a voulu courber le dos vers la terre pour en tirer de quoi manger. Aujourd’hui, les nouveaux fermiers « du samedi et du dimanche » ne pratiquent plus l’agriculture par nécessité, par obligation ou habitude, mais certainement par amour de la terre et des animaux.

Parmi ces passionnés, on retrouve des néo-ruraux venus chercher chez nous suffisamment d’espace pour donner une chance à leur rêve, mais également des fils et filles d’agriculteurs désireux d’exploiter eux-mêmes les parcelles familiales, de retourner aux sources et redécouvrir les gestes de leurs aïeux paysans. Cela fait un peu (parfois beaucoup !) râler les fermiers en place qui lorgnent ces champs sans vergogne, persuadés que ces parcelles leur reviennent de droit, et les primes PAC qui les accompagnent. Les agriculteurs « à temps plein » reprochent à leurs confrères « à temps partiel » de les priver et de profiter d’aides publiques dont ils n’ont pas besoin… Pourtant, le soleil luit pour tout le monde, et chacun a le droit de pratiquer son agriculture à sa manière, à son échelle.

Parmi ces « fermiers » d’un genre alternatif, on retrouve bien entendu les éleveurs de chevaux, animaux de loisir par excellence, mais également des détenteurs de petits ruminants, moutons et chèvres. En Flandre, par exemple, on parle de « chevalisation » des campagnes, tant les représentants de la plus belle conquête de l’homme sont nombreux dans les prairies. En notre vaste Ardenne, chevaux et moutons grignotent chaque année des prairies, petit à petit, et semblent remplir les vides de plus en plus grands laissés par la diminution du cheptel bovin allaitant. Y a-t-il concurrence ? Cela dépend des villages. Le long de la façade grand-ducale, les terres sont déjà convoitées par nos riches voisins luxembourgeois : dur dur d’y être agriculteur, à temps plein ou à temps partiel. Ailleurs, la faim de terrains s’est exacerbée avec la conversion d’un nombre croissant d’exploitations à l’agriculture biologique, grande consommatrice de surfaces. La présence de ces petits éleveurs n’y est pas vue d’un très bon œil, là non plus. Des hectares en moins, ce sont des aides (bien consistantes) PAC et bio en moins, c’est mathématique.

Pourtant, ils sont bien sympathiques, ces agriculteurs à temps très partiel ! Ils ne visent pas le rendement financier, mais plutôt le rendement « plaisir ». Quelle chance ils ont, de pouvoir pratiquer leur passion sans trop se soucier de l’argent qui rentre et qui sort, sans subir de pressions administratives, sans se casser la tête pour respecter les règlements compliqués qui nous gâchent la vie ! Pour un peu, on les jalouserait cordialement, affectueusement, ces paysans d’un genre spécial, amateurs, naïfs, authentiques, amoureux du travail de la terre et de leurs animaux…

La Une

Voir plus d'articles
Le choix des lecteurs