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Le panier de la ménagère

Saviez-vous que la « ménagère » est un papillon minuscule d’environ un centimètre d’envergure ? De couleur grisâtre, il n’est pas vraiment un prix de beauté, et vit en Europe Centrale, Turquie et Afrique du Nord. Voilà ce que l’on apprend en se baladant sur la toile Internet, quand on tape « panier de la ménagère » sur un moteur de recherche ! Cette ménagère-là ne porte pas de panier, les nôtres non plus d’ailleurs, et depuis longtemps… Ménagers et ménagères d’aujourd’hui poussent un gros caddie, et consomment tout qui passe à portée de leurs yeux ou de leurs oreilles, inspirés par toutes sortes de besoins, objectifs ou subjectifs, influencés ou plutôt conditionnés — par le martelage insidieux des publicités.

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L’image du « panier de la ménagère » a la vie dure, puisqu’on emploie cette expression depuis des lustres, pour désigner l’ensemble des dépenses d’un ménage. Dans ce cliché, je revois Maman, caban imperméable et fichu enserrant ses cheveux bouclés noirs de jais, son grand sac à commissions tenu à bout de bras. En fait, elle achetait très peu de choses, dans les années 1960. Du pain, des oranges – riches en vitamine C pour tuer les virus, disait-elle –, des allumettes, des coupes de tissu, des pelotes de laine et de la mercerie – elle était couturière –, savons et shampoings, cirage pour les chaussures, fournitures scolaires, livres et bouquins – démon de la lecture, quand tu nous tiens ! –… et c’est à peu près tout ! Pour le reste, tout était produit sur la ferme : pommes de terre, lait, viande, œufs, légumes, confitures, beurre, fromage, bois de chauffage, etc. Le panier de la ménagère était bien différent d’aujourd’hui !

En 2020, ce panier bien particulier sert à calculer l’indice des prix à la consommation ; il est dix fois plus diversifié. Selon les chiffres de Statbel, on y retrouve en tête de liste les produits alimentaires et les boissons non alcoolisées (17,6 %), à égalité avec les coûts du logement (qui comprend les frais de chauffage), talonnés par le secteur culture-loisirs-Horeca (16,9 %), puis vient le transport -dont la sacro-sainte voiture- (15,8 %). La santé n’intervient que pour 4,1 %, et l’enseignement pour un seul malheureux pour cent ! Les « biens et services divers » représentent tout de même 8,7 % ; ils regroupent les assurances, les frais administratifs et toutes ces dépenses parasites qui infestent nos portefeuilles mieux qu’une ménagère ne butine ses fleurs !

Le poste « alimentation et boissons non alcoolisées » regrignote des parts, ces dernières années. Les gens boivent-ils de plus en plus de coca ? La nourriture est-elle de plus en plus chère ? Ce n’est certainement pas la faute des agriculteurs, lesquels voient les prix départ ferme stagner misérablement depuis cinquante ans, depuis le temps où Maman allait aux commissions à l’épicerie du village, avec son précieux billet de cent francs, son panier de ménagère au bras ! En 2020, cent euros ne suffisent plus qu’à moitié pour remplir un chariot de supermarché, même dans une grande surface du Hard-Discount…

Ces chiffres ne sont que des moyennes, et ne reflètent pas les réalités particulières. «  La vie est de plus en plus chère, mon bon monsieur » , me disait dernièrement un couple d’agriculteurs retraités. Leur pension de ménage s’élève à 1.500 euros environ. Ils ont cédé une bonne partie de leur patrimoine (ferme, cheptel, terrains, épargne) à leurs enfants, pour ne pas « faire de jaloux » et éviter les disputes, quand le benjamin a repris l’exploitation voici douze ans. Ils pensaient en sortir facilement, mais ils ont dû déchanter, car leur situation financière n’a cessé de se dégrader depuis lors. Ils louent une petite maison (700 €/mois) ; eau, chauffage et électricité (200 €/mois) ; voiture (150 €/mois) ; soins de santé (100 €/mois) ; téléphone, Internet et télévision (50 €/mois). Il leur reste environ 300 €/mois pour acheter de la nourriture et s’habiller, s’ils n’ont pas de faux frais ! C’est dingue, quand on y songe ! Leur confortable bas de laine s’est détricoté au fil des ans et n’est plus qu’une petite socquette trouée. Heureusement, ils ont conservé l’accès à un grand potager, et leur fils agriculteur les fournit en viande, en échange de menus services.

Ce genre de situation, rare il est vrai chez les fermiers retraités, est très courant dans la société wallonne. Les « pauvres » sont bien plus nombreux qu’on ne l’imagine, même dans nos villages ! Ceux-là rognent chaque mois sur leurs dépenses en nourriture ; pas question de manger bio et se nourrir bobo… Le panier de la ménagère n’est pas rempli à ras bord chez tout le monde. Le passage de la tempête Covid ne va guère arranger les choses. Manger ou partir en vacances, une voiture pour se balader ou un frigo rempli, un steak par semaine ou des places au cinéma, le resto du samedi ou le thermostat réglé sur 21º… : il faudra choisir !

Pourtant, nos ministres s’entêtent à vouloir garder intacts le contenu du panier de la ménagère, et surtout la pondération des biens et services qui le composent. L’alimentation semble n’être qu’un mal nécessaire, qu’il faut absolument compresser au maximum, pour que les gens gardent leurs sous pour s’amuser, voyager et se payer toutes sortes de bêtises inutiles. Le consommateur, surnommé à tort « ménagère », aurait-il moins de cervelle qu’un petit papillon gris, peut-être moche mais sans doute davantage réfléchi ?

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