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Des débuts prometteurs à la chèvrerie de Blanchefontaine

Démarrer une exploitation agricole professionnelle de zéro… pas évident. C’est pourtant le défi relevé par François Lallemant de Petit-Thier, près de Vielsalm. En 2016, il a lancé la construction d’une chèvrerie. Aujourd’hui, 424 chèvres y sont traites quotidiennement et il devrait passer à 600 l’an prochain. A 25 ans à peine, il faut l’oser… et le faire!

Temps de lecture : 8 min

«J’ai toujours voulu être agriculteur», déclare d’amblée François Lallemant, rencontré lors de la journée portes ouvertes de son élevage mi-septembre. «Mes grands-parents étaient agriculteurs et j’ai reçu ma première chèvre à 12 ans. J’en détenais 23 lorsque j’étais adolescent». Après ses techniques de qualification agricole à La Reid, il travaille durant 6 ans dans une usine de bois tout en s’occupant de son petit élevage après journée. Durant ses études, il a effectué un mois de stage dans 2 élevages caprins, l’un assez petit en France et l’autre, dans un grand élevage au Grand-Duché de Luxembourg. Ces stages le confortent dans son choix de créer un élevage caprin. «J’appréciais aussi beaucoup l’élevage laitier», explique-t-il, «mais en lait, l’investissement est très conséquent et les revenus incertains. En chèvres par contre, les investissements sont moins élevés et la demande de lait de chèvre est importante». Le choix entre les 2 spéculations a donc été aisé.

Le choix de l’élevage classique plutôt que le bio

Dès le départ, François opte pour l’élevage classique et non bio. «En bio, explique-t-il, les animaux doivent sortir en parcours extérieur». Ce n’est pas le cas dans son élevage, les animaux restent en permanence à l’étable. Ce choix est délibéré car l’éleveur estime que les chèvres sont assez fragiles: elles n’apprécient pas le vent, la pluie et jouent beaucoup dehors plutôt que de s’alimenter. «De plus, précise-t-il, les chèvres allant à l’extérieur doivent être vermifugées. Il faut alors trouver des produits efficaces, ce qui n’est pas toujours évident». Et d’ajouter que beaucoup de petits éleveurs sortent leurs chèvres mais, la production laitière n’est alors pas comparable à celle enregistrée dans son élevage (3,5 l par jour).

Construction de la chèvrerie et démarrage de l’élevage

C’est en avril 2016 que démarre la construction des 2 bâtiments sur base des plans établis par le jeune éleveur. Après avoir visité plusieurs chèvreries, il a opté pour 2 bâtiments distincts en béton avec charpente en lamellé collé. La chèvrerie est prévue pour 600 mères. Un des bâtiments est destiné aux jeunes, le second, plus grand, rassemble les mères et les chevrettes de l’année précédente. Ce bâtiment abrite aussi le carrousel de traite de 48 places.

Le cheptel a été acheté en Vendée. Actuellement, l’éleveur détient 424 chèvres alpines, 180 chevrettes de l’année et une dizaine de boucs. Dans la grande étable destinée aux mères, le troupeau est conduit en 4 lots: un lot avec les chevrettes de l’an dernier, 2 lots avec des chèvres en lactation longue et un quatrième lot avec des chèvres destinées à la reproduction.

L’exploitation compte 39 ha dont 8 achetés dès la fin des études par le jeune éleveur. Les autres prairies sont louées. Cette superficie permet l’autonomie de l’élevage en fourrages grossiers.

Reproduction et sélection du troupeau

Seules 110 chèvres de l’élevage sont destinées à la reproduction, le reste étant exploité en lactation longue. En effet, contrairement aux bovins, les chèvres peuvent être traites durant 2-3 ans sans devoir être remises au bouc pour être gestante. Les femelles choisies pour la reproduction sont sélectionnées sur base des index lait, de la qualité des membres et de leur conformation, notamment du gabarit. Le lot de chèvres destinées à la reproduction est divisé en deux: 60 chèvres sont mises au bouc et 50 sont inséminées (pas des chevrettes). Le nombre d’inséminations artificielles(IA) -qui devrait passer à 100 l’année prochaine- est volontairement limité car la technique est onéreuse. Le prix des doses, provenant de chez Cap gène en France, varie de 10 à 40 euros à l’Awé. L’éleveur y a malgré tout recours car l’insémination permet d’avoir des chèvres plus grosses, plus longues et plus lourdes (entre 36 et 38 kg à 5,5 mois). Cela permet aussi d’améliorer rapidement les performances et la génétique du troupeau.

Comme l’explique Jean-Michel Moureaux de For Farmers, le fournisseur d’aliments concentrés de l’exploitation, «en chèvres, on raisonne en performance de troupeau et non en performance individuelle comme dans l’élevage laitier. En pratiquant l’IA sur 25 % des mères reproductrices, on tire les performances de tout le troupeau vers le haut. En outre, comme François Lallemant conserve ses boucs d’insémination, cela permettra d’amortir le coût de cette technique par la vente de boucs reproducteurs».

Les chevrettes sont mises au bouc lorsqu’elles pèsent 36 à 38 kg. Celles qui n’atteignent pas ce poids sont transférées dans le lot qui sera mis au bouc 2-3 semaines plus tard.

L’IA en pratique

L’insémination des chèvres est effectuée 11 jours après la synchronisation des chaleurs au moyen d’éponges et d’injections hormonales. L’insémination est faite à partir de sperme congelé. Quinze jours après l’IA, un bouc est placé dans le lot de mères inséminées durant une semaine. Comme il y a un cycle de 21 jours entre l’IA et la monte naturelle, l’éleveur sait parfaitement identifier les jeunes issus de l’IA. Les femelles vides repassent quant à elles dans le groupe des chèvres en lactation longue. Le taux de réussite en IA varie de 40 à 60%, les résultats de fécondation étant meilleurs en monte naturelle.

Gestation et mise-bas

L’éleveur effectue un suivi de fécondité par échographie à 8 semaines pour contrôler si les femelles sont gestantes. Un mois avant la mise-bas, les gestantes reçoivent un aliment de transition. Il est distribué durant 2 mois. L’éleveur ne force pas le tarissement: les gestantes se tarissent d’elle-même, parfois 2 mois avant la mise-bas, parfois la veille. Après 5 mois de gestation, la mise-bas a lieu de la fin janvier à la fin mars. Elle est naturelle et se fait toujours durant la journée car la chèvre a besoin de lumière pour mettre bas. La surveillance démarre dès 6 heures du matin, le pic ayant lieu de 10h à 16h. Quelques 30 à 35 mères peuvent mettre bas le même jour ce qui donne une centaine de jeunes mâles et femelles par jour. La période de mise-bas et de soins est très intense. Pour faire face à tout ce travail, l’éleveur a engagé l’an dernier une aidante durant 4 mois.

Les soins aux chevreaux

Dès leur naissance, les jeunes sont essuyés et le nombril est désinfecté. Après leur identification par des minis boucles, ils sont pesés et enregistrés dans l’inventaire. Pour éviter les coups de froids lors du transfert vers la nurserie, les petits sont protégés dans une remorque fermée. Dans la nurserie, chaque jeune est déposé dans un box individuel paillé et chauffé grâce à une lampe chauffante (18 à 20°), où il reste un jour. Tous les jeunes reçoivent deux biberons de colostrum en poudre dans les 4 premières heures de vie, le premier étant distribué dans l’heure qui suit la naissance. L’éleveur a opté pour du colostrum en poudre pour se faciliter le travail et gagner du temps, le colostrum étant toujours prêt. Après avoir reçu ces 2 biberons de colostrum, le jeune passe en cage collective de 20 chevreaux, chauffée par des chauffe terrasse. Il reçoit encore un biberon de lait en poudre de 300 gr. La prochaine «têtée» se fait ensuite à la louve, sauf s’il a des difficultés pour boire. La louve fournit du lait à volonté, toujours à bonne température. Il suffit que le jeune tête pour être nourri jour et nuit. Un petit apprentissage est cependant nécessaire. En général, un jour de surveillance est suffisant pour vérifier que chacun reçoit sa ration. A une semaine, les jeunes boivent environ un litre de lait par jour. Des travaux de désinfection des box individuels et collectifs sont aussi effectués après chaque passage des chevreaux. A 5 jours, l’éleveur pratique l’écornage des chevrettes en cautérisant le cornillon. Tous les vaisseaux sanguins autour de la corne sont ainsi brûlés avant qu’elle ne pousse.

La nurserie peut accueillir 150 jeunes. Après 2 semaines, les sujets les plus lourds sont transférés dans une autre étable pour laisser la place aux suivants. Les moins lourds sont rassemblés dans un lot et sont déplacés plus tard. A partir de 3 semaines, les jeunes reçoivent du foin et de l’eau fraiche en plus du lait. Le sevrage est réalisé vers 2 mois lorsque les jeunes atteignent 15 kg. Si ce poids n’est pas atteint, le sevrage est retardé d’une ou deux semaines. Pour sevrer les jeunes, le lait est distribué par la louve de manière dégressive, en retirant une des 3 tétines disponible dans chaque box. Les jeunes sont vaccinés à partir de 2-3 semaines contre le clostridium et la pasteurellose et à 3 mois contre la fièvre Q.

Bonnes performances laitières

Après la mise-bas, le colostrum des mères est donné aux boucs. Elles rejoignent ensuite le troupeau des chèvres en lactation longue. La production laitière des chèvres est élevée: 3,5 l en moyenne par jour à 4,2% MG et 3,65% de protéine. Tout le lait est livré chez Chèvres Ardennes, 2 fois par semaine. La traite est effectuée deux fois par jour dans un carrousel de traite de 48 places, avec décrochage automatique. Il faut 1h30 à l’éleveur pour traire toutes ses chèvres. Des caméras de surveillance sont installées sur le parcours à suivre et les images vidéo sont projetées sur un écran près du poste de traite. Les chèvres sont conduites dans la salle d’attente à l’entrée du carrousel. Un «chien électrique» permet de regrouper les animaux. Il s’agit d’une barrière électrifiée qui avance au fur et à mesure de l’avancement de la traite. Les chèvres entrent une à une dans le carrousel et après un tour, quand la traite est finie, elles regagnent leur loge.

Côté alimentation, les chèvres reçoivent matin et soir de l’ensilage d’herbe et 2 fois 800 gr de concentré (18 de protéine) par jour. Le concentré est distribué avec un bac distributeur et le fourrage à l’aide d’une dérouleuse. Des minéraux sont aussi distribués à la main.

Comme la traite a démarré il y a un an et demi à peine, l’éleveur ne dispose encore que des chiffres d’une année de production. Mais ces premiers résultats semblent très encourageants et de bonne augure pour la poursuite de ses activités.

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