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Au nom de tous ceux qui la cultivent

Temps de lecture : 4 min

Sorti le 9 octobre, l’épilogue du film « Au nom de la terre » est le suivant : « Un agriculteur par jour se suicide en France. » Les statistiques le disent, le prouvent, le montrent. Et nous tous, que faisons-nous face à cet atroce constat, face à cette souffrance quotidienne, face à ces appels au secours ? Pourquoi diverses mesures humaines ne sont-elles pas prises ? On constate mais on ne fait rien.

Ce jeudi 24 octobre, un fermier de Grandmetz se donnait la mort. Les faits relatés dans les journaux locaux titrent – je cite : « Décès d’un fermier, ses bovins transférés », « triste décès d’un fermier », « triste constat », « drame », « mis fin à ses jours »… Jamais n’est mentionné le mot « suicide ». Pourquoi ? Peur de ce terme ? Ou plus exactement, à juste titre, peur de la remise en question de tout à chacun… Un seul paragraphe expliquant le fait (même pas nommer le geste et le terme de l’acte) et quatre autres paragraphes parlant de la détresse animale, de sa peur, du manque d’eau et de lumière du bétail.

« Les animaux étaient quand même bien soignés : statut sanitaire en ordre, bétail correctement bouclés… » Mais quel était l’état sanitaire et physique de ce pauvre homme ? Quel devait être sa détresse psychologique ?

Trois jours que sa maman hospitalisée s’inquiétait de ne pas recevoir le coup de fil quotidien de son fils. Trois jours que, finalement, probablement lassés d’entendre les bêtes beugler, l’entourage s’est enfin décidé à aller voir sur place ce qui se passait. Force est de reconnaître la détresse animale ! Mais où en était la détresse humaine, la solitude, le désarroi, les non-dits, le mal-être de cet être humain pour s’infliger ce geste ultime ?

Certains diront, beaucoup penseront : « Il était fou ! », « Il faut l’être pour se suicider. », « Il ne faut plus avoir toute sa tête pour poser un tel geste ». Je vous répondrais catégoriquement, en tant que soignante, qu’il faut bien au contraire un courage titanesque pour s’infliger une telle sanction.

Jusqu’au dernier instant, nous avons toujours le choix de reculer, la faculté de descendre de l’escabeau, de retourner en arrière… Cependant, dans ce cas-ci, on ne joue pas au jeu de l’oie. Pas de retour à la case départ. On ne passe pas son tour, non plus. On tombe dans le puits et on y reste. On assume son destin. On est d’ailleurs l’unique acteur de son propre sort ! Une fin que l’on a analysée, décryptée en profondeur mais dans laquelle toutes les portes se sont irrémédiablement fermées. Aucune échappatoire. Aucune alternative possible, sauf celle d’en finir avec cette vie de galère. Cette survie de misère.

Ne pas évoquer le terme suicide revient purement et simplement à se déculpabiliser. En effet, en chacun de nous ce terme évoque une remise en question : « Que n’avons-nous pas vu, pas entendu, pas écouté ? »

La politique des trois petits singes, que l’on connaît tous, est synonyme d’un crime, punissable par la loi, s’appelant : non-assistance en personne en danger. Arrêtons dès lors de nous voiler la face !

Ces fermiers, souvent seuls, ayant repris la ferme parentale en héritage, ou bien par amour de leur patrimoine, sont tributaires de la météo, des crises sanitaires, des normes européennes, des phytolicences, de l’impact de leurs actes sur la biodiversité et nouvelles normes écologiques, et se retrouvent à la tête d’emprunts colossaux qu’ils ont peine à honorer.

Trop souvent seuls, sans épouse ou, s’il y a, devant travailler à l’extérieur pour boucler les fins de mois. Travaillant comme des forçats pour payer, la tête haute, les différentes traites. Mentionnons néanmoins que bien qu’étant de simples paysans, ces censiers ont un sens de l’honneur du respect de la terre et de leur patrimoine. Une noblesse de cœur et de principes qui leur fera rarement plier l’échine et s’incliner, se plaindre. Ils ont une fierté qui suscite respect.

Arrêtons de dire que les fermiers maltraitent leur bétail.

Arrêtons de dire qu’ils polluent à outrance la planète.

Arrêtons de croire que la ferme est une corrida et un dépotoir.

Ils inséminent, mettent au monde, élèvent leurs veaux au pis ou au biberon, bien souvent, les nomment, et finalement, le cœur gros, les mettent à l’abattoir. S’il y a de la maltraitance et des failles, elles sont à d’autres niveaux de la chaîne alimentaire et ce sont eux qui en paient le prix et la médisance.

Ils remplissent nos frigos et nos congélateurs, notre table et garde-manger. Ils ensemencent la terre, la cultivent en excellents pères de famille, la récoltent et remplissent nos magasins, nos boucheries, nos boulangeries.

Ayons une reconnaissance de cette noble vocation ! Humons la terre retournée en mars ; humons les foins séchés en juin et bénissons les fermiers de notre nourriture quotidienne !

Fleuriza66

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