À
sa sortie de Gembloux Agro-bio Tech, en septembre 2011, Raphaël Dupriez est sans cesse à la recherche de nouvelles idées, porté par l’envie d’innover et par un intérêt pour l’agriculture urbaine. Un jour, il découvre les possibilités qu’offrent les insectes en alimentation humaine et en parle à une amie bioingénieure et passionnée d’alimentation, Maïté Mercier. Les bases de Little food sont posées…
Le projet se précise
À cette époque, les jeunes diplômés ont l’opportunité de participer à une formation/concours du BEP (bureau d’économie de la province) de Namur visant à aider et éduquer des jeunes à la réalisation de projets entrepreneuriaux. Les deux compères y participent et raflent même le premier prix en avril 2012. « Cette formation nous a permis de préciser notre projet : élever des insectes, les préparer et les proposer aux consommateurs comme aliment », explique Raphaël.
Ce succès leur donne envie d’aller un peu plus loin. Ayant tous deux un travail à l’extérieur, ils décident de s’essayer à l’élevage de grillons au sein de leur colocation. « Nous avions d’office exclu les larves lors du choix de l’insecte. Il est déjà compliqué de faire accepter l’insecte en tant qu’aliment, les larves ajoutaient un frein supplémentaire. Nous nous sommes donc décidés pour le grillon, un insecte productif au goût de crevette », dit-il.
La Future Farm Experience
Fin 2013, Raphaël abandonne son travail extérieur qui ne le satisfait plus vraiment et décide de se lancer à 100 % dans les activités de Little Food. « Pour commencer, nous nous sommes concentrés sur l’organisation d’animations et de dégustations autour des insectes car notre production n’était pas importante et nous pensions que c’était de cette façon que nous la valoriserions au mieux. Mais, ça n’a pas vraiment été à la hauteur de nos espérances et j’ai alors appris, d’expérience en expérience, ce que signifiait être entrepreneur et éleveur de grillons », dit le jeune entrepreneur.
Afin d’augmenter la production de grillons, Raphaël décide donc, début 2014, de se consacrer à la construction de cages d’élevage. Durant cette période, l’élevage est accueilli dans divers endroits pour finalement se fixer dans une cave rénovée du Centre d’entreprises Village Partenaire à Bruxelles en septembre 2014. C’est à cette période que Little Food développe la Future Farm Experience, un concept mêlant visite de l’élevage de grillons, dégustations et cours de cuisine à destination des écoles, groupes et particuliers, pour lequel l’entreprise reçoit une bourse de 15.000 euros.
L’électrochoc
Nikolaas Viaene, jeune bioingénieur de la KUL, rejoint Little Food en octobre 2014 et se consacre entièrement à son développement. Début 2015, un crowdfunding est organisé avec succès et la somme de 11.000 euros est récoltée. « Malgré cela, notre société restait très idéaliste et nous consacrions énormément de temps à l’élevage de nos insectes, que nous alimentons exclusivement avec des coproduits agricoles urbains (drèche à sécher, pain à broyer), mais avec des rendements faibles à la clé. En juin 2015, nous avons raté de prêt une bourse pour un projet en co-création autour de l’agriculture urbaine et de l’économie circulaire. Cela nous fait l’effet d’un électrochoc et nous avons pris conscience de notre nature entrepreneuriale et de la nécessité de développer un business qui tourne », explique Raphaël. L’équipe prend alors un nouveau cap et sort son premier produit en magasin en août 2015. Dans le même temps, elle augmente sa production, notamment grâce à une alimentation des insectes basée sur des coproduits agricoles déjà préparés.
Les relations humaines, un plus pour une entreprise
Fin 2015, Maïté vient renforcer l’équipe à mi-temps. « Nos produits se vendent alors correctement et nous pensons à nous agrandir mais, pour cela nous avons besoin de financement », dit le jeune homme. C’est à ce moment qu’intervient David Mellet, un business man expérimenté qui avait déjà aidé Little Food lors du crowdfunding. « Au fil du temps, nous nous sommes rendu compte que le projet avait besoin d’un profil différent de celui des trois bioingénieurs qui le chapeautaient. Notre association avec David a été très bénéfique. Il nous a permis de nous organiser de manière plus professionnelle. Il a une vision beaucoup plus globale des choses contrairement à nous, qui sommes un peu plus le nez dans le guidon. En tant que bioingénieurs, nous sommes des purs techniciens, David nous a appris que la gestion et les relations humaines professionnelles étaient également essentielles au développement d’une entreprise », dit-il.
Aujourd’hui, Little Food propose une série de produits à base de grillons, aromatisés ou non, sous forme entière ou transformée, dans une quarantaine de magasins bio et d’épiceries fines : « Nous estimons que ce sont les lieux de vente les plus adaptés à nos produits car les commerçants prennent le temps d’échanger sur la philosophie de nos produits et de conseiller le client. Ça ne serait pas le cas dans un supermarché ».
Transparence et collaborations
Dans leurs échanges commerciaux, les jeunes entrepreneurs souhaitent privilégier la transparence : « Nous voulons travailler dans le sens du client et pour ce qui est bon pour lui afin de créer des relations solides. Ce qui peut nous paraître une très bonne chose à court terme, ne l’est pas toujours à long terme. Par exemple, si j’ai une énorme commande, je préfère conseiller au client de la réduire quelque peu afin qu’il n’y ait pas de casse et qu’il revienne vers nous par après ».
Pour la transformation et les domaines plus pointus, les jeunes gens misent sur les collaborations avec des professionnels : « L’entreprenariat nous permet de découvrir constamment de nouveaux secteurs et, même si notre formation de bioingénieur nous permet d’appréhender beaucoup de choses, il est important de comprendre qu’on ne peut pas tout gérer du jour au lendemain. Il faut avoir l’intelligence de se reposer sur des personnes spécialisées », dit Raphaël.
« Même si notre formation de bioingénieur nous permet d’appréhender beaucoup de choses, il est important de comprendre qu’on ne peut pas tout gérer du jour au lendemain ».
Déménagement et agrandissement en préparation
Prochainement, l’entreprise déménagera dans un atelier du centre Greenbizz à Laeken. « Pour l’instant, nous produisons 100 kg de grillons par mois, ces nouvelles infrastructures nous permettrons de passer à 3 tonnes. C’est une énorme progression et du travail en plus, cependant, nous réaliserons énormément d’économie d’échelle », explique-t-il.
Et quand on leur demande si leur implantation à Bruxelles est voulue, ils répondent : « Tout à fait ! Nous faisons de l’agriculture urbaine et souhaitons avant tout récréer le lien entre consommateur et producteur. De plus, cela s’avère avantageux pour les visites des écoles et la venue de stagiaires. Nous sommes également beaucoup plus proches de nos collaborateurs. Le seul bémol est le manque d’espace ».
DJ