Chaud devant,

ou derrière nous ?

Peut-être quelqu’un a-t-il engagé un chaman amérindien, cheyenne ou sioux, et s’est-il trémoussé avec lui sous la lune pour appeler le retour des précipitations ? A-t-il invoqué Chaak, divinité maya de la pluie, ou sacrifié à Taranis, dieu celtique du Ciel et grand fontainier ? En tout cas, dieu merci, les nuages ont daigné ces jours-ci passer l’arrosoir au-dessus de nos contrées altérées.

Météo brûlante et terres desséchées, le spectre de 1976 avait ressurgi dans sa cuisante torpeur et laissé planer sa menace sur nos campagnes. Cette année-là, désastreuse pour l’agriculture, a réellement marqué les mémoires au fer rouge ! Grand ado dadais à l’époque, je n’ai gardé qu’un souvenir de bronzage californien, gagné à dégager des jeunes sapinières à la faucille, et qui fit l’admiration de mes condisciples à la rentrée des classes en septembre. Insouciante jeunesse !

En 1976, deux problèmes sérieux se sont posés : la nourriture du bétail, et l’approvisionnement en eau. Les prairies étaient rasées, tondues, quasi dégazonnées ; les habituels points d’eau, puits et ruisseaux, étaient pour la plupart taris sur les hauts-plateaux ardennais, et ce, dès la fin mai. La distribution publique était beaucoup moins performante qu’aujourd’hui, avec de fréquentes coupures. Ce fut le règne de la débrouille : ballet incessant de tonneaux à eau vers les meilleurs puits, sources nettoyées et recreusées, barrages -parfois sauvages, bagarres entre fermiers à la clef !!- sur les rares rivières qui « donnaient » encore…

En 2017, la SWDE fait bien son boulot et les robinets coulent sans faiblir, jusqu’à présent… De plus, les grandes exploitations se sont équipées de puits très profonds (jusque 60 mètres), pratiquement intarissables. Le gros problème vient de l’affouragement. Les premières coupes d’herbes et de foin ont été ridiculement faibles, et les prairies pâturées se tondent à vue d’œil sous la dent des troupeaux. Heureusement, l’année dernière fut particulièrement généreuse, et les plus prévoyants ont conservé des stocks conséquents, à utiliser en réserve stratégique, comme Napoléon, quand il faisait « donner » sa Garde et renversait in extremis la situation à son avantage. Question fourrages, ceux qui travaillent « en flux tendu », en « just in time », auraient pu connaître leur Waterloo, si les nuées célestes (water-l’eau) n’étaient venues arroser nos champs à temps, et sauver ce qui peut l’être.

Déjà, pas mal d’agriculteurs, relayés entre autres par la FWA, avaient demandé l’activation du fonds des Calamités, l’octroi de primes ou de crédits de soudure. Jetez-moi des cailloux s’il vous plaira, mais ce genre de réaction me met plutôt mal à l’aise : sans cesse aller mendier des aides publiques, quand se pose un problème un peu trop grave, climatique ou autre… Gardons un peu de dignité, que diable ! J’entends de plus en plus souvent une réflexion peu amène, voire carrément insultante, de la part de personnes proches de notre profession, banquiers et donneurs de leçons de tous poils : « Les agriculteurs ont attrapé une mentalité d’assistés ! ». « Attrapé », disent-ils, comme on « attrape » une MST, une mycose ou des poux…

Nous aider ? De toute façon, nos hommes politiques wallons ont d’autres chats à fouetter entre eux, avec toutes leurs magouilles, leurs bidouillages, leurs margailles de cours de récréation. Le soleil a tapé trop fort sur leurs têtes, et certains ont carrément disjoncté. Un jour on s’embrasse ; le lendemain, on se tabasse ! C’est du « n’importe quoi ». Avons-nous encore un ministre de l’agriculture suffisamment motivé et appliqué pour remplir sa tâche de manière professionnelle, et faire face avec nous aux problèmes du jour ?

Ceci dit, lors de l’été légendaire de 1976, si je ne m’abuse, des crédits de soudure furent en effet accordés aux fermiers sinistrés. À l’époque, nos parents évoquaient une autre sécheresse absolument calamiteuse, celle de 1947, au sortir de la guerre, alors que la plupart des habitations détruites par l’Offensive des Ardennes n’étaient pas encore reconstruites. Cette année-là, la situation fut infiniment plus grave, avec trois vagues de chaleur intense, en mai, en juin, et surtout en août, nous ont raconté les Anciens. Ils sortaient d’une période effroyablement sinistre, et se demandaient quand le destin allait enfin leur accorder quelque répit.

À l’heure où vous lirez ces lignes, la pluie aura-t-elle tombé en suffisance pour réparer les dégâts causés par la sécheresse du printemps ? Le soleil nous prépare-t-il une nouvelle offensive, plus terrible encore ? Va-t-il à nouveau passer nos prairies et cultures au lance-flammes, en juillet et août ? Qui vivra, verra…

Le direct

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