Où et comment se présente la floraison de nos espèces fruitières ? Telle est la question fondamentale de la production de fruits qui sera abordée ici.
En se promenant dans le jardin, outre le plaisir d’admirer et d’observer les différentes floraisons, le jardinier amateur visualisera ce mois-ci des notions dont il devra tenir compte par exemple lors de la taille hivernale ou estivale.
Un peu de vocabulaire
Il peut être nécessaire de définir au préalable une série de termes qui seront utilisés par la suite.
Un œil est un bourgeon végétatif protégé par une série d’écailles. Il contient des ébauches de feuilles et donnera naissance à une pousse feuillée. Son point végétatif situé à l’extrémité est appelé méristème.
Un bouton est un bourgeon génératif, qui contient toujours les ébauches d’une inflorescence, mais aussi parfois des ébauches de feuilles (chez les pommes et les poires par exemple) ; dans ce cas, on parle de bourgeon mixte puisqu’il est à la fois végétatif et génératif.
L’induction florale est la première étape de formation d’un bouton, lorsqu’un méristème végétatif devient génératif ; à ce stade, aucune modification de forme n’est observable à l’œil nu.
L’initiation florale correspond à la formation, dans le bourgeon, des premiers organes floraux.
La différenciation florale désigne le stade où les fleurs sont observables individuellement en disséquant le bourgeon.
La formation des boutons
Une énigme non complètement résolue
Dans le passé, les botanistes ont accordé beaucoup plus d’attention à la floraison des plantes annuelles ou bisannuelles qu’à celle des espèces ligneuses pérennes. Nous passerons en revue les connaissances les plus actuelles à ce sujet.
L’époque de formation des boutons floraux peut varier considérablement selon l’espèce fruitière, le cultivar, le climat local et les conditions climatiques particulières de l’année, ainsi que la position du bourgeon dans la plante. Chez le pommier, il est admis que l’induction florale débute très tôt pendant l’année précédente : de fin mai à mi-juin, et que la différenciation des boutons est observable au microscope dès juillet. Il peut y avoir des différences de 4 à 6 semaines entre ce qui se produit dans un bourgeon terminal (= apical) de rameau ou dans les bourgeons latéraux (= axillaires).
Les causes exactes du phénomène, à savoir la nature du stimulus initial, font encore l’objet de discussions. On invoque plusieurs facteurs internes, environnementaux ou culturaux.
Parmi les causes internes, dès 1910, le physiologiste allemand Klebs évoque le rapport C/N, c’est-à-dire entre la nutrition minérale de l’arbre et la production d’hydrates de carbone par le feuillage : la présence d’un nombre suffisant de feuilles est nécessaire à la formation de boutons floraux. Ceci peut être démontré en effeuillant des arbres à différents moments de la saison : plus l’effeuillage est précoce (mai et juin), plus il réduit le nombre de boutons à fleurir l’année suivante.
À partir du milieu du XXème siècle, le progrès des connaissances à-propos des hormones végétales a permis de compléter les explications du phénomène, par le rôle des hormones produites par les feuilles ou par les fruits. Vers 1970, le physiologiste anglais Luckwill a émis l’idée que si les gibbérellines produites par les feuilles et surtout par les graines des jeunes fruits en développement inhibent la formation des fleurs, cet effet négatif est contrebalancé par les cytokinines provenant des racines.
Les facteurs environnementaux comme la lumière, la température et l’alimentation en eau interviennent aussi dans la formation des boutons. Les plantes fruitières n’ont pas comme d’autres une réaction à la photopériode (= rapport entre la longueur du jour et de la nuit), mais bien à la quantité totale d’énergie solaire qu’elles reçoivent dans les deux mois qui suivent la floraison. Les effets de la température sont variables et pas encore très clairs. L’alimentation en eau a un effet indirect : pendant les deux mois qui suivent la floraison, une restriction favorise la formation des boutons, mais s’il y a irrigation fertilisante N +P + K, celle-ci a un effet stimulant ; on confirme ici le rôle très important de la nutrition minérale.
La taille hivernale n’a pas d’effet direct, puisqu’à ce moment la formation des boutons est terminée depuis longtemps ; selon sa sévérité, elle influence le nombre de boutons restants. L’arcure et l’inclinaison des rameaux, en modérant la vigueur, favorisent la transformation des boutons.
Rameaux fructifères et bourgeons floraux
Selon les espèces fruitières, les boutons floraux peuvent être portés par des rameaux d’âge différent : bois de l’année-même, bois de l’année précédente et bois plus âgé ; leur forme est variable et il existe une terminologie particulière pour les désigner.
Les vignes, les kiwis et les framboisiers d’automne fleurissent et fructifient sur des rameaux qui se sont développés l’année-même : chez les vignes, les grappes apparaissent en face de la 4e ou 5e feuille du rameau, puis une seconde grappe quelques feuilles plus haut ; chez les kiwis, les fleurs apparaissent en position latérale sur des pousses de faible vigueur, elles-mêmes portées par des rameaux d’un an de faible vigueur (figure 1) ; ces fleurs sont unisexuées et portées sur des plantes distinctes, sauf rares exceptions ; chez les framboisiers d’automne, on peut observer une inflorescence à l’extrémité des rameaux, qui ont alors 1 à 1,5 m de hauteur.
Les fruits à noyau présentent des boutons floraux uniquement sur différents types de rameaux qui se sont formés l’année précédente : rameaux mixtes, rameaux-chiffons ou bouquets de mai (figure 2) ; ces boutons ne contiennent que des fleurs. Les framboisiers d’été et les ronces fruitières fructifient également sur des « cannes » qui se sont développées l’année précédente ; les bourgeons axillaires émettent des pousses portant quelques feuilles, puis une inflorescence terminale ; après avoir fructifié, ces tiges dépérissent. Les myrtilles fleurissent à l’extrémité des rameaux d’un an, puis cette portion des tiges se dessèche.
Chez les pommiers et les poiriers, le processus est un peu plus lent : en deuxième année, les rameaux qui ont poussé l’année précédente, s’ils sont de vigueur moyenne ou modérée, portent des feuilles disposées en courte rosette ; au centre des rosettes, le bourgeon terminal qui apparaît peut être un œil, ou plus souvent un bouton, qui fleurira et fructifiera en troisième année (figure 3) ; les boutons contiennent des ébauches de feuilles qui formeront une rosette basale, puis plusieurs fleurs ; le rameau (brindille, dard ou lambourde, figure 4) continuera à fructifier les années suivantes. Il en va de même pour les groseilliers à grappes.
Mais dans la réalité, les choses sont un peu plus compliquées : certains cultivars de pommiers portent des boutons en position latérale ou terminale sur le bois de l’année précédente ; ils sont de ce fait plus florifères.
Les cassissiers et casseilles, ainsi que les groseilliers à maquereaux produisent les plus beaux fruits sur les rameaux de l’année précédente de vigueur moyenne ; les années suivantes, ils continuent à fructifier sur les ramifications plus faibles apparues sur ce bois, mais en donnant des fruits nettement plus petits.
Les cognassiers et les néfliers portent des grandes fleurs solitaires à l’extrémité de courtes pousses de l’année-même.
Chez les noisetiers, noyers et châtaigniers, des fleurs unisexuées (fleurs mâles groupées en chatons et fleurs femelles rudimentaires, sans pétales) sont présentes sur la même plante (figure 5). On parle dans ce cas de plantes « monoïques ».
Chronologie de la floraison
Dans le prochain article, nous évoquerons le mécanisme de fécondation des fleurs, aboutissant à la formation des fruits. Mais avant cela, il faut considérer la chronologie des floraisons. Chez certaines espèces comme le pommier, le poirier, les fruits à noyau, le noisetier et les groseilliers, le premier signe d’activité printanière est la floraison. D’autres espèces ont d’abord une courte phase végétative : les ronces et les framboisiers, les cognassiers et les néfliers, la vigne, le kiwi, le noyer et le châtaignier.
La description, la codification et l’étude des stades de développement de la floraison et des phases ultérieures s’appelle la « phénologie ». On utilise un code international à deux chiffres, qui remplace l’ancien code comportant une lettre et un chiffre. Des observations régulières de bourgeons permettent une évaluation de l’état phénologique d’une parcelle.
L’époque de floraison des plants fruitiers dépend de différents facteurs internes et externes :
– l’espèce : sous notre climat, la première espèce qui fleurit est le noisetier, suivi des différents fruits à noyau, du noyer, puis du poirier, du pommier, des petits fruits, et enfin de la vigne, du kiwi et du châtaignier ;
– le cultivar : dans une même espèce, il existe de nettes différences de la date moyenne de floraison : chez les pommiers, le début de floraison peut différer de 12 jours et la pleine floraison de 8 jours chez les variétés courantes, mais quelques variétés anciennes ont des floraisons beaucoup plus tardives. La durée moyenne de la floraison dépend aussi du cultivar : chez le pommier, elle va de 13 à 20 jours ;
– le climat général de l’année (2015 sera assez tardive) et le microclimat de la parcelle déterminé par l’altitude et l’exposition.
Il faut savoir qu’il n’y a pas nécessairement de relation entre la précocité de la floraison d’un cultivar et sa date de récolte à maturité : par exemple chez le pommier, Belle de boskoop et Transparente blanche fleurissent très tôt, alors que la première se récolte en octobre, et la seconde fin juillet.
Il n’y a pas toujours synchronisation de maturité des organes mâles et des organes femelles d’une fleur, ni entre fleurs mâles et femelles d’une plante monoïque. Nous y reviendrons dans le prochain article.
Wépion