Dessine-moi un mouton

Tout gamin, je n’avais rien du Petit Prince de Saint-Exupéry, avec mes grosses lunettes et mes grandes oreilles, mais je vivais déjà sur ma planète. J’avais trois passions, trois maladies, trois virus : lire des bouquins, aller en forêt, et élever des animaux. Lecture, nature et agriculture ! Et beaucoup de confiture sur mes tartines… L’agriculture a mangé la grosse part de ma vie. J’ai commencé par des lapins et des poules, puis des moutons et enfin des bovins. Les adultes disaient autour de moi : « Tout ce qui fait des petites crottes ne remplit pas la hotte ». J’ai donc abandonné très tôt les moutons, mais ceux-ci ont gardé une place de choix, bien au chaud dans mon cœur.

Comme l’écrivait Saint-Ex : « Toutes les grandes personnes ont été un jour des enfants, mais peu d’entre elles s’en souviennent ». Moi si… Aujourd’hui, au soir de ma carrière active, je m’aperçois que brebis et agneaux regagnent peu à peu du galon, à mon plus grand plaisir. De nombreux articles sont écrits dans les journaux agricoles ; des soirées et des journées d’information sont organisées à gauche et à droite, particulièrement en Ardenne. Notre région au climat exécrable et aux terres légères, il est vrai, ne convient pas du tout aux grandes cultures : seule l’herbe y pousse correctement. Pour valoriser celle-ci, il faut élever des herbivores, aurait dit Lapalisse, et particulièrement des ruminants. Pendant des millénaires, des troupeaux de moutons ont pâturé les landes de ma pauvre Ardenne, jusqu’au 19e siècle, où les scories Thomas et la charrue Mélotte sont venues amender et défricher ses terres arides, pour y cultiver des fourrages destinés aux bovins. Nos ancêtres paysans étaient donc des bergers, et leur bétail, des moutons.

Aujourd’hui, les agriculteurs ardennais élèvent pour la plupart du Blanc-Bleu-Belge et quelques races de vaches françaises pour la viande, tandis que les fermes laitières restent en minorité. Ces dix dernières années, -je suis tombé de ma chaise en l’apprenant –, le cheptel bovin de l’Ardenne est passé de 340.000 têtes environ, à moins de 260.000 ! Il s’agit là d’une chute vertigineuse, due à plusieurs facteurs, et surtout à la mauvaise rentabilité du secteur, bien entendu ! Alors, que faire dans notre région difficile ? Cultiver de l’épeautre, des céréales, des légumes ou des pommes de terre bio ? Se lancer dans l’élevage de lapins, de volailles ? Élever des moutons, comme nos lointains aïeux ? Ce serait là un véritable retour aux sources, mais est-il envisageable ?

Tombé largement en désuétude, l’élevage ovin est surtout pratiqué par des particuliers, des passionnés, mais par très peu de véritables professionnels. Il ne couvre que 15 % de la consommation nationale ! Il y aurait donc une place à prendre, une niche à investir ? Minute, papillon ! Le commerce s’approvisionne à l’étranger, et des filières bien structurées existent, en provenance d’Écosse, Nouvelle Zélande, Australie. Il faudrait créer une filière bien belge, qui offrirait des carcasses de qualité, en quantité suffisante. Notre ministre régional de l’agriculture a promis de se pencher sur le sujet, avec sa « fougue » verbale traditionnelle, mais les promesses politiques valent ce qu’elles valent : paroles, paroles, encore des paroles…

Tout reste à créer, à redécouvrir, à redessiner ! « La fin d’une chose marque le commencement d’une nouvelle. », « Fais de ta vie un rêve, et d’un rêve, une réalité. », disait le Renard au Petit Prince. Alors, pourquoi pas ? L’élevage ovin est bien plus complexe et plus épanouissant qu’il n’y paraît. Il présente ses qualités, et ses défauts. Pour se lancer, pas besoin d’investir des sommes folles, mais il faut réfléchir à deux fois au moment de faire ses choix. Choisir sa race : viandeuse, comme la Texel ; très prolifique comme la Swifter ; intensive, comme la Suffolk ; très « primable », comme l’Ardennais Roux ; l’Île-de-France, pour sa laine et sa capacité à dé-saisonner ses agnelages ; etc. Choisir sa finalité : agneau de Pâques, agneau d’herbes, brebis laitières… Construire sa bergerie de manière optimale ; aménager ses prairies ; réfléchir sa production de fourrages et de concentrés ; commercialiser les produits…

Comment s’y retrouver ? Il suffit d’aimer, de se passionner et de chercher, à l’image du Petit Prince : « On ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux. », « C’est le temps que tu as perdu pour ta rose qui fait ta rose si importante. ».

Alors, pourquoi pas ? Dessinons-nous un mouton…

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