L’agriculture de précision,

pertinente à l’échelle wallonne ?

Exploiter ses parcelles de manière à optimiser ses rendements et ses investissements, en adaptant ses apports d’intrants et ses pratiques culturales et en tenant compte de la variabilité entre mais surtout dans les parcelles… Vaste définition de l’agriculture de précision.

Performante mais méconnue

Pour la pratiquer, de nombreux outils sont aujourd’hui disponibles sur le marché ou en cours de développement. Ils permettent un positionnement précis sur une parcelle, la régulation des densités de semis ou des apports d’engrais, ou encore la collecte de données de rendements en temps réel… « Aujourd’hui, les agriculteurs possèdent des machines performantes et parfaitement équipées. Mais, ils n’en ont pas toujours conscience et ne connaissent pas toutes les possibilités qu’ils pourraient en retirer », explique Quentin Limbourg.

Par le biais du projet « Valorisation en temps réel des Informations génériques et géolocalisées pour le développement de Stratégies Agronomiques de précision » (Visa), mené par le Cra-w mais également en collaboration avec Gembloux Agro-Bio Tech, l’Ucl, des agriculteurs, constructeurs et importateurs, Quentin Limbourg et son équipe souhaitent évaluer les outils d’agriculture de précision mis à la disposition des agriculteurs : « L’un des objectifs du projet est de mettre en évidence ce qui fonctionne ou pas et de permettre à l’agriculteur de s’y retrouver un peu plus ».

Applicable à notre échelle ?

L’idée est également d’avoir une évaluation globale du matériel disponible : « Les outils d’agriculture de précision viennent des Américains qui ont une appréciation de l’agriculture assez différente de la nôtre puisqu’ils ne travaillent pas à la même échelle que nous. Lorsqu’on évolue sur une parcelle immense, il paraît utile et pertinent de pouvoir mettre en évidence les zones hétérogènes mais lorsqu’on se trouve dans de plus petites parcelles telles que les nôtres sur lesquelles on fait, finalement, déjà de l’agriculture de précision, est-ce nécessaire ? Tout n’est pas forcément applicable et rentable à notre échelle. Le but est de faire le tri et d’obtenir une évaluation globale, à la fois technique, économique et environnementale, de ce qui s’offre à nous et de voir si l’agriculture de précision à un sens en Région wallonne et en Belgique », dit Quentin Limbourg.

Collecter l’information

Pour y arriver, le projet Visa s’est fixé quatre tâches. La première est l’identification et la récupération de données produites par l’agriculteur sans qu’il s’en aperçoive et qui ne nécessite pas de passage supplémentaire dans le champ. On parle alors de données génériques. « L’idée est de valoriser les informations générées automatiquement par le tracteur et les machines utilisées par les agriculteurs », dit Quentin Limbourg.

Le groupe de chercheurs teste plusieurs outils et récupère différentes données sur des parcelles de taille et type différents.

Pour l’obtention de données de positionnement ou produites par d’autres outils, le projet Visa utilise un récepteur RTK couplé à un système d’autoguidage électrique et une console. Les données recueillies permettent l’élaboration de carte de positionnement du tracteur ou de la machine. Grâce à elles, on peut aussi avoir une idée de la topographie de la parcelle.

Des capteurs multispectraux tels N-Sensor et Greenseeker permettent, quant à eux, de caractériser l’état de la végétation, ses besoins en amendements et de réaliser des cartes de préconisation.

L’information collectée est également propre au tracteur : « De nos jours, les tracteurs sont bourrés d’électronique et de capteurs inconnus du propriétaire mais qui sont une source d’information non négligeable. On peut ainsi connaître le couple moteur, le patinage du tracteur, la force de traction ou encore la hauteur du relevage, à un moment et endroit précis lors du travail d’une parcelle. Sur base de ces données, nous réalisons des cartes d’hétérogénéité du sol. Ainsi on peut par exemple voir qu’un tracteur patine davantage dans certaines zones de la parcelle. Il s’agit d’informations produites de manière précise par l’agriculteur, facile à extraire et qui peuvent venir compléter son diagnostic », explique le chercheur.

Les données recueillies peuvent aussi être détournées : « Pour que sa position soit toujours constante, la rampe d’un pulvérisateur possède des capteurs mesurant sa hauteur par rapport au sol et à la culture. Par ce biais, il est donc possible de connaître la hauteur de la végétation », explique Quentin Limbourg.

Enfin, les machines de récolte fournissent également de l’information précise via leurs capteurs de rendement, d’humidité…

Valider et lier les données obtenues

« Une fois que l’on possède ces données, qu’est ce qu’on en fait ? C’est souvent la question que l’on se pose. On a une carte de rendements, c’est bien, mais comment peut-on l’utiliser ? Les rendements varient d’une année à l’autre et sont fonction du sol, de la météo… Utiliser seule la carte de rendements pour moduler la dose d’amendement à apporter est impossible, il faut aller plus loin », explique Quentin Limbourg.

Dans un premier temps les données génériques collectées sont comparées à des données obtenues de manière plus classique, par analyses ou prélèvements sur le terrain, grâce à des capteurs optiques reliés aux machines agricoles, à des drones ou par satellite. « Cela permet de valider les données obtenues par les outils d’agriculture de précision et de voir s’ils sont réellement performants. Ensuite, on peut lier ces informations les unes aux autres et en faire une interprétation agronomique correcte », dit le chercheur.

Quelle technique appliquer ?

Il continue : « Quand ces données sont considérées comme valides et interprétées agronomiquement, on peut passer à la troisième étape et identifier les leviers agronomiques à activer pour arriver à homogénéiser la parcelle et ainsi faciliter sa récolte et améliorer son rendement. Dans le cadre du projet, nous avons décidé de travailler sur trois leviers : le travail du sol, l’amendement et le semis. On peut envisager un travail, des apports et une densité de semis différente en fonction des « tâches » présentes sur une parcelle par exemple ».

Transmettre à la machine

Les cartes de modulation, c’est-à-dire préconisation, obtenues à partir de ces données sont réintégrées dans les systèmes à disposition des agriculteurs. « Pour cette étape, on se trouve vraiment dans les prémices de l’agriculture de précision. Il existe de réels problèmes de compatibilité entre les machines et les consoles utilisées, mais aussi avec les cartes réalisées par tel ou tel programme. Ce ne sont parfois que des détails de programmation mais les constructeurs y sont régulièrement confrontés car les agriculteurs utilisent encore peu l’agriculture de précision pour de la modulation. Pour l’instant, son utilisation se limite à de la géolocalisation et de la collecte de données. Du coup, les constructeurs apprennent au fur et à mesure. Leur métier a lui aussi évolué, ils ne vendent plus seulement une machine mais toute l’électronique qu’il y a autour », développe Quentin Limbourg.

Il va plus loin : « Nous avons aussi un travail à réaliser sur le transfert de l’information. En effet, ce n’est pas parce qu’on demande à une machine de faire quelque chose qu’elle le fait correctement. Le système Isobus, nous permet d’avoir accès au dialogue entre le tracteur et la machine. On peut ainsi comparer les ordres envoyés au travail en temps réel du pulvérisateur par exemple. Est-ce vraiment nécessaire d’envoyer une demande précise au centimètre près à un pulvérisateur s’il lui faut plusieurs mètres pour se stabiliser ? ».

Permettre aux agriculteurs d’aller plus loin

Après une phase de recueil et de caractérisation des données, l’équipe planche maintenant sur la phase de modulation. Des apports d’engrais ont par exemple été réalisés sur base de carte de préconisation. À l’avenir, il est également prévu d’utiliser un semoir permettant de faire varier la densité de semis : « On pourrait, par exemple, appliquer cela dans le semis de Cipan, en augmentant la densité de plantes pièges à nitrates où il y a un reliquat », explique Quentin Limbourg.

Il conclut : « Pour l’instant, il existe vraiment une volonté des constructeurs et des chercheurs d’accorder les choses pour permettre aux agriculteurs de réaliser facilement de la modulation ».

DJ

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