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Rencontre avec Johan De Saegher,

le nouveau dirigeant de l’entreprise

Le décès soudain de son fondateur et propriétaire Dirk Putteman n’a nullement éteint les ambitions de Belchim Crop Protection. Son nouveau CEO, Johan De Saegher, 53 ans, n’hésite pas à dire : « La volonté d’entreprendre est ancrée dans les gènes de notre société ». La firme s’intéresse, innove et conseille dans le domaine des plus petites cultures où elle se positionne pour de futures croissances. Par ailleurs, les vagues de reprises qu’on note dans les grandes firmes du secteur des semences et des produits phytosanitaires ne semblent pas l’atteindre.

Temps de lecture : 8 min

Le 22 janvier, le monde agricole belge déplorait la disparition soudaine de Dirk Putteman, une figure de proue de la phytopharmacie dans notre pays. En 1987, à l’âge de 30 ans, celui-ci avait fondé Belchim, dont il assurait toujours la direction. À l’époque, l’entreprise se limitait à un hangar de stockage, le travail étant accompli par quelques employés.

Entre-temps, l’activité s’est déployée au point que la société est devenue une multinationale ayant une position de leader sur le marché belge des produits phytopharmaceutiques, une part de marché intéressante aux Pays-Bas, en France, en Allemagne ainsi que dans d’autres pays européens.

L’ambition que Dirk Putteman avait insufflée dans son entreprise sera approfondie, aux dires de son nouveau dirigeant Johan De Saegher.

Multinationale

La société Belchim a été fondée en 1987 pour distribuer des produits phytopharmaceutiques. Elle démarra avec 3 collaborateurs dans un petit lieu de stockage à Zemst, au nord de Bruxelles. En 2011, l’entreprise a déménagé dans un bâtiment aux allures futuristes, à Londerzeel, non loin de Bruxelles. Ce bâtiment avait été occupé auparavant par la multinationale Sony. Y travaillent aujourd’hui environ 100 personnes sur les 500 employés de Belchim.

Ces quelques chiffres montrent la progression rapide de la société. En voici encore quelques-uns : en 2010, le chiffre d’affaires fut de 220 millions d’euros ; en 2017, il s’élevait à quelque 500 millions d’euros. Belchim estime être à présent le septième fournisseur de produits phytopharmaceutiques, à l’échelle de l’Union européenne.

Comme annoncé plus haut, l’ambition ne s’est pas du tout éteinte, la direction a un objectif de 700 millions d’euros pour l’année 2020. Selon Johan De Saegher, si cela peut paraître téméraire, c’est pourtant très possible, vu les agréations en cours. Le nouveau patron connaissait Dirk Putteman depuis 10 ans, et il travaillait chez Belchim depuis 3 ans en tant que responsable de son expansion au niveau mondial et du développement de la gamme biologique. Auparavant, il occupait des fonctions dirigeantes chez Taminco, une entreprise chimique spécialisée.

Pour Johan De Saegher, Dirk Putteman était un visionnaire. « Il a réussi à s’imposer comme le grand patron qui donne la direction à suivre, tout en restant proche de son personnel. L’esprit d’entreprise qui le caractérisait s’est ancré dans les gènes de notre entreprise. C’est une façon de penser qui reste bien vivante, même après son décès. Mon prédécesseur avait la volonté de toujours innover, d’allier la vente de produits et le partage de conseils, et la réalisation de collaborations stratégiques. Et cette direction sera poursuivie ». Et d’ajouter que « Ce n’est pas pour rien que cette vision a fait grandir Belchim. »

La connection japonaise

« Belchim est avant tout une entreprise de développement », intervient Jan Vermaelen, responsable du marketing et du développement dans le Benelux. Outre la gamme des produits propres à la société, Belchim entretient une étroite collaboration avec ses actionnaires et des fournisseurs de nouveaux produits à développer. L’entreprise ne réalise pas de recherche de nouvelles molécules, comme le font d’autres grands acteurs de la phytopharmacie.

Elle n’est pas non plus un pur fournisseur de produits génériques, c’est-à-dire de produits hors brevet, comme le font Adama ou Nufarm. Les matières actives qui sont utilisées proviennent principalement de deux sociétés japonaises, peu connues en Europe, à savoir ISK Biosciences et Mitsui Chemicals Agro. La gamme est cependant complétée par des produits génériques, de façon à pouvoir proposer un large paquet de produits.

La collaboration avec des firmes japonaises n’est pas propre à Belchim. Jan Vermaelen : « Les matières actives présentes dans nos produits sont le plus souvent déjà brevetées, mais pas développées par nous. Les entreprises chimiques japonaises sont gigantesque et ont une grande expérience interne. Un grand nombre de matières actives applicables en agriculture ont été découvertes au Japon. Mais elles ne pas tellement connues hors Asie. Ces sociétés ne cherchent pas tellement à les développer à l’étranger, elles préfèrent conclure des partenariats stratégiques.

Dans le bureau de Johan De Saegher, on trouve un équipement miniature pour samouraï, ainsi qu’un tableau du Mont Fuji. Cette montagne, qui est aussi un volcan, est un des symboles du Japon.

« La collaboration avec les firmes japonaises n’est pas une oparation occasionnelle. Les rapports avec ISK Biosciences ont commencé dès 1995. ISK Biosciences et Mitsui ont voulu consolider les relations en devenant actionnaires, à raison, respectivement, de 28 et 10 %. Une petite participation croisée a été faite dans ISK Biosciences. Les Japonais font volontiers des affaires dans une perspective de relation à long terme. Belchim reste une affaire familiale, mais avec une vision à long terme. Nous ne fonctionnons pas au trimestre. C’est pourquoi nous nous correspondons bien. »

Plusieurs acquisitions récentes

L’augmentation du chiffre d’affaires est réalisée par une progression en interne mais également par des reprises. Trois sociétés ont été achetées en peu de temps. La société française Jade a été reprise pour le développement de produits propres. Jade a développé des divers herbicides naturels à base d’acide pélargonique, un marché en croissance rapide, selon Belchim.

La deuxième grande reprise concerne également ce marché. Comme Jade, la firme allemande Engage Pro Agro n’est pas une société de grande taille : le chiffre d’affaires est de l’ordre de 10 millions d’euros, mais Dirk Putteman jugeait important sur le plan stratégique d’entrer dans ce créneau. En 2016, Belchim avait pris une participation de 60 % dans cette société canadienne, puis les 40 % restants en 2017. Forte de cette reprise, l’entreprise belge s’est solidement ancrée parmi les 20 plus grandes firmes phytopharmaceutiques mondiales.

L’Amérique du Nord est un grand marché. L’entreprise a un œil sur les 36,4 millions d’ha de maïs cultivés aux Etats-Unis, mais aussi les 220.000 ha de cultures de pommes, poires, cerises, et de myrtilles, fruits que les Québécois appellent « bleuet ». La branche américaine d’Engage Pro s’intéresse à des cultures à haute valeur ajoutée comme les fruits et les légumes. Johan De Saegher s’attend à une forte progression du chiffre d’affaires sur le marché américain, et cela dans un avenir proche.

Une gamme en croissance

La gamme complète compte environ 100 produits et le réseau de vente couvre toute l’Europe et une partie des Etats-Unis et du Canada. Les ventes se font via les canaux traditionnels, il n’y a pas de vente directe. L’entreprise approvisionne, entre autres, les céréaliers, les planteurs de pommes de terre et de légumes, les producteurs de fruits, en herbicides, fongicides et insecticides.

«Belchim s’intéresse particulièrement à la pomme de terre et à la vigne, ainsi qu’aux légumes. Le marché des grandes cultures n’est pas la priorité pour le moment, mais cela devrait changer dans les prochaines années», poursuit Johan De Saegher.

Depuis 2013, cinq matières actives propres à la société sont arrivées sur le marché, dont un herbicide naturel à large spectre. Celui-ci se profile comme une alternative aux produits commerciaux à base de glyphosate, aussi bien pour les particuliers que pour les agriculteurs. Il y a là des possibilités car le glyphosate est sous pression, même si l’Efsa, l’autorité européenne de sécurité alimentaire, a conclu qu’il était sûr.

En proposant des moyens de protection biologique des cultures, l’entreprise veut apporter aux agriculteurs un outil supplémentaire à côté ou en remplacement des produits chimiques. Partiellement parce que le nombre d’agréations diminue, et en partie aussi parce que le marché du bio est en croissance.

Le passage à des produits dont la firme est propriétaire peut être risqué. La législation, toujours plus sévère et restrictive, diminue le pourcentage de réussite à l’examen d’agréation de nouvelles matières actives potentiellement intéressantes, avec des coûts toujours plus élevés pour l’obtention de ladite agréation. Il devient de plus en plus important d’utiliser correctement les produits agréés, de façon à préserver la disponibilité des matières actives concernées le plus longtemps possible.

L’acquisition de matières actives propres permet de limiter les coûts.

Mondialisation

Le défi le plus important auquel Belchim se trouve à présent confronté, c’est la mondialisation de l’entreprise. Johan De Saegher : « Nous devons jouer les opportunités au niveau mondial. Il faut se rendre à l’évidence, l’Union européenne ne représente que 20 à 25 % du marché mondial de la phytopharmacie. Cela signifie qu’il y a encore beaucoup de marchés à explorer, comme, par exemple, le Brésil qui doit faire aussi 20 %, ou encore la Chine ou l’Inde qui entendent évoluer d’une agriculture artisanale vers des modes de production agricoles plus performants. »

« Mais cette vision concerne surtout du long terme. Nous y sommes actifs et avançons lentement sur ces marchés, qui ne sont pas faciles. En premier lieu, nous voulons développer nos activités du côté du sud-est asiatique, où la culture de légumes est très ancrée et développée. »

Notre interlocuteur pense que l’entreprise pourrait créer des partenariats stratégiques avec encore d’autres fournisseurs japonais de matières actives : « Notre succès de Belchim fait également ceux de ISK Biosciences et de Mitsui, et cela ne passe pas inaperçu au Japon. »

Il n’exclut pas non plus des reprises, mais en dehors des très grandes opérations qui ont lieu au sommet de l’agrochimie mondiale. Bayer reprend Monsanto, DuPont s’allie avec Dow, Syngenta et Adam sont devenus propriété de ChemChina. C’est une évolution qui n’inquiète pas directement le CEO de Belchim : « Ces sociétés s’orientent vers les grandes cultures, comme le maïs et le soja. L’Europe et l’Asie sont d’autres mondes. Naturellement, nous faisons attention à ces évolutions. D’une part, ces firmes deviennent plus grandes et plus puissantes, d’autre part, nous sommes aussi en croissance.

D’après JCB.

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