Quand la passion des fromages vous colle au corps

Peter Boonen sourit lorsqu’on lui parle de ce titre acquis à Lyon : « Je ne connaissais rien de ce concours, c’est un ami chef-coq qui m’a demandé s’il pouvait inscrire mon fromage à un concours en France. J’ai accepté en me disant que, de toute manière, j’apprendrais toujours quelque chose. Mais cela a été une véritable surprise. »

La modestie du fromager est frappante, car l’International Caseus Award peut être considéré comme le championnat mondial des fromagers.

Fromagerie et magasins à la ferme

Cette distinction honorifique n’a pas bouleversé la famille. Le magasin à la ferme, situé dans le village de Hamont-Achel, à l’extrême nord de la province du Limbourg, attire du monde depuis des années. C’est Peter et son épouse Riet qui se trouvent derrière le comptoir, en contact direct avec la clientèle. « Je ne vais pas aller chercher du fromage au supermarché. Quand on a goûté de ceux-ci, on ne veut plus de l’ordinaire » nous confie un client qui attendait son tour pour être servi.

Peter ne fabrique pas que du fromage Grevenbroecker. Au total, il prépare environ 200 produits différents à partir de lait : du yoghourt, du beurre, des desserts, comme la mousse au chocolat, de la crème glacée fermière, et évidemment des fromages.

Et il ne fait pas dans la facilité. Il fabrique aussi du fromage de brebis à partir de lait de moutons laitiers belges, du fromage de chèvre à partir de chèvres chamoisées belges. Le fromager : « Ce n’est pas fini. À Lummen, deux agriculteurs sont en train de constituer un nouveau troupeau.

Race bovine Meuse-Rhin-Yssel

C’est le frère, Bert, qui livre le lait cru de ses vaches. Il a opté pour la race Meuse-Rhin-Yssel ou MRY, une race pie-rouge qui était autrefois dominante dans la région délimitée par les trois fleuves que sont la Meuse, le Rhin et l’Yssel. « Aujourd’hui, on n’en trouve presque plus », explique l’éleveur.

La race n’a pas de grandes références en matière de production laitière, comme la Holstein, par exemple. La moyenne de la ferme se situe vers les 7.000 litres par vache et par an. Moins de lait, avec des frais fixes identiques, et plus de terrains pour l’épandage des effluents d’élevage, cela se traduit par un coût de production plus élevé. Cependant, les teneurs sont élevées : plus de 4,6 % en matière grasse et certainement 3,8 % en protéine, voilà un lait qui est vraiment adapté à la production fromagère.

L’alimentation et le goût

La raison principale de la conversion de la Holstein vers la MRY est venue du fait que Bert voulait diminuer le recours au concentré : « Cela influence le goût du fromage. Croyez-moi, la différence est nette. C’est pourquoi nous cultivons toute l’alimentation de nos animaux : herbe, maïs, triticale, orge et betteraves fourragères. Les vaches pâturent durant la journée, de mai à novembre. Les vaches Holstein ne parvenaient pas à manger suffisamment de fourrages pour assurer leurs performances laitières. Elles maigrissaient et finissaient par mettre en péril leur résistance. Nous avions des coûts vétérinaires élevés, et nos vaches mouraient jeunes. En changeant de race, nous avons diminué de moitié les frais vétérinaires. »

Une relation très fraternelle

Sans le faire exprès, Bert parle de « nous », alors qu’un agriculteur parle généralement de lui et de ce qu’il fait. Les frères sont très impliqués dans les deux exploitations, et une décision n’est prise que si l’autre est d’accord. L’accord de départ, c’est que l’éleveur et son épouse Carine se préoccupent du bétail tandis que Peter et sa femme Riet tiennent la fromagerie et le magasin à la ferme. Mais, dans la réalité, ils font ensemble du fromage, car cela va de la fourche au comptoir. Ils maîtrisent leur filière

Peter raconte que, comme il était l’aîné, il comptait bien reprendre la ferme. Mais Bert entrevoyait l’avenir de façon différente. Les parents avaient décidé qu’ils devaient étudier la chimie, mais Bert s’était inscrit en agriculture. Peter: « Cela a « pété des flammes » lorsqu’il est revenu avec son premier bulletin, mais j’ai bien compris alors que c’était lui qui devait devenir fermier. »

Automatisation à la ferme

Bert est un fermier dans l’âme. Il y a quelques mois, il a trouvé, en occasion, un système d’alimentation automatique. Le système d’alimentation automatique récupère le mélange à partir de la station de mélange et il le distribue grâce à un monorail placé au-dessus de la crèche. Il l’a installé seul et il en est satisfait : « Les vaches mangent à peu près 20 % en plus, et c’est de la nourriture que nous avons produite nous-mêmes. Un autre achat, effectué il y a un peu plus d’un an, c’était un robot de traite GEA. La salle de traite était usée, et il fallait la changer. Nous n’avons pas eu le permis pour une nouvelle salle de traite. Ce qui nous a obligés à transformer l’ancienne. Le manque de place nous a fait opter pour un robot de traite. Un robot de traite, cela a quelques avantages. Avant, je trayais environ 5 heures par jour. Maintenant, je ne suis plus lié à des heures de traite fixes. En plus, j’ai l’impression que les vaches apprécient la nouvelle situation. La production laitière a diminué, mais j’espère bien qu’elle va remonter au cours de la deuxième année. Il y a des vaches qui ne parviennent pas à s’habituer au robot. Je dois encore en traire quelques-unes. »

La question économique

Vu la production moindre de ses vaches par rapport à une production de Holstein, Bert estime que les coûts de production sont de l’ordre de 0,34 € par litre : « Mais c’est du lait spécial, car je peux le vendre à mon frère et je réalise ainsi une plus-value. Nous vivons comme dans une symbiose. Les fromages de mon frère ont du goût parce que tout dans l’exploitation est pensé pour faire du bon fromage.

Les génisses vêlent vers 26 mois, et ont en moyenne 4 lactations. Trois pourcents des primipares sont délivrées par césarienne. L’insémination artificielle se fait avec de la semence MRY. Les vaches ont plus de viande, ce qui donne un meilleur prix à l’abattoir.

La vente

Tout le lait part vers la fromagerie. Il est transformé principalement en fromages, environ 80 % sont vendus dans le magasin à la ferme. Près de 10 % sont écoulés via des magasins et supérettes des environs, et les derniers autres 10 % partent vers les groupements d’achat alimentaires.

Peter : « En collaboration avec ces groupements d’achat, nous avons créé un site internet il y a 6 ans avec 13 producteurs. Grâce à ce site, il est possible de vendre des produits venant de la région limbourgeoise. Nous annonçons de la viande porcine, de la viande caprine, des fruits, des légumes, des produits laitiers de chèvre, brebis et vache. Nous disposons d’un atelier spécial pour préparer et emballer les commandes. »

Petit fromager deviendra grand…

Peter : « j’avais 13 ans quand j’ai fabriqué mon premier fromage à l’école, à Bocholt. C’était un gouda. Je trouvais cela formidable qu’on puisse faire quelque chose de dur à partir d’une matière aussi liquide que le lait. Mon père avait déjà des ferments pour faire du fromage, mais nos parents faisaient surtout du beurre. J’ai commencé à en faire de plus en plus. Les parents ont compris, et ils nous donnaient du lait pour le travail à la ferme, ou si nous voulions avoir un peu d’argent pour sortir. Pour aller à la kermesse, je faisais du fromage, et je le vendais. »

Pour le moment, son fromage favori, c’est le « Sint-Antonius ». Il est onctueux et doux. Un autre, le fromage à la bière est également excellent. Peter mêle la bière locale au lait, et puis, il lave la croûte à la bière. Et puis, il y a évidemment le « Grevenbroecker » ou « Achelse Blauwe ». Ce fromage est profondément veiné avec un champignon bleu du genre Geotrichum.

Grevenbroeck, un mini-Etat

L’histoire du fromage appelé « Grevenbroecker » remonte bien plus loin que les cultures pour fromages du père de Peter et de Bert. Et de rappeler cet ancien temps : « Au Moyen-âge, Grevenbroeck était un mini-Etat indépendant s’étendant au-delà de la commune de Hamont-Achel. Au 15e siècle, il y avait un cloître franciscain là où se trouve aujourd’hui le magasin à la ferme. À la révolution française, le cloître a été confisqué et vendu, et c’est le comte d’Achel qui l’a acheté. Le domaine a fonctionné comme ferme pendant plus d’un siècle sous la direction de ses descendants. Mais la famille a été ruinée lors de la crise des années 1930.

Une chronique familiale

C’est alors que la famille Boonen est intervenue. L’arrière-grand-père de Peter et Bert a réussi à acheter le domaine pour son fils qui venait de perdre son emploi durant les années de crises. Il a démarré la fromagerie vers 1935. Les parents de Peter et Bert ont repris l’exploitation en 1964, et la production principale était le beurre. Mais la ferme est un bâtiment classé. Heureusement, les parents ont pu ajouter une nouvelle ferme à leur patrimoine. En 1989, lorsque les deux frères ont repris l’exploitation familiale, les vaches sont parties vers la deuxième ferme. Le troupeau est alors passé de 70 à 90 vaches.

Peter s’est établi dans la ferme classée et c’est là qu’il transforme le lait de son frère en produits laitiers.

L’histoire se poursuit

Bert est satisfait de la taille de son troupeau mais, en pensant à l’avenir : « Nous voulons bien un peu l’agrandir, mais pas le doubler. L’important est de pouvoir continuer à nourrir nos animaux avec nos productions végétales, et assurer l’épandage des effluents d’élevage. »

Bert et Carine ont trois enfants, le deuxième est à l’école d’agriculture. L’eleveur est d’avis que le métier d’agriculteur n’est pas un métier qu’on peut imposer.

Peter a également trois enfants. Aura-t-il un successeur ? Il sourit quand on lui pose la question : « Je ne sais pas, ils aiment bien le fromage, mais moins le travail.

D’après DC

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