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Élevage et bien-être animal: «Ce que l’éleveur donne à l’animal, il le lui rend généralement!»

Depuis plus de 20 ans, le thème du bien-être animal et celui de l’éleveur est régulièrement abordé au Space, par le biais de l’Espace pour demain. Si des solutions concrètes sont régulièrement proposées aux visiteurs, ledit espace se veut être un endroit d’échanges et de débat. Nous y avons rencontré Philippe Briand, chargé d’études et de conseils à la Chambre d’agriculture de Bretagne. Il nous livre sa vision sur l’évolution de la thématique.

Temps de lecture : 8 min

« Le bien-être animal n’est pas une thématique nouvelle. Déjà en 2001, nous l’abordions au Space. À l’époque, nous étions plus sur des aspects réglementaires, car la législation européenne venait d’être traduite en droit français, notamment sur le veau de boucherie. Nous étions donc à l’époque sur des notions de surfaces (m²/animal), d’accès à une certaine alimentation… Aujourd’hui, la façon de l’aborder a changé. L’évolution de la réglementation continue mais le regard sociétal, celui du consommateur, a évolué. Aujourd’hui, la réglementation est un socle minimum. Toutefois, il est clair que les attentes des citoyens vont au-delà du minimum requis, de ces règles. Et finalement celles-ci sont relayées par la grande distribution et, de ce fait, obligent les filières à s’organiser pour y répondre. À tel point que le regard sociétal fait bouger davantage les lignes que le cadre réglementaire », analyse Philippe Briand.

« Parallèlement à cela, certains éleveurs sont plus sensibles eux-mêmes à la question du bien-être animal. Et même si par le passé les éleveurs ont toujours été proches de leurs animaux, il existait une certaine distance, un certain tabou à exprimer ses sentiments vis-à-vis du bétail. Aujourd’hui, nombreux sont les jeunes éleveur.euse.s à se former autour du bien-être animal et à avoir une approche différente (plus empathique, empreinte de plus de sensibilité) sans occulter le fait qu’ils élèvent des animaux de rente, qui doivent leur permettre de vivre de leur métier. Deux aspects parfaitement conciliables ! », sourit-il.

La notion de la mort prépondérante en élevage

« La question de la mort en élevage est centrale et pourtant compliquée à aborder. D’abord pour le citoyen qui n’a pas une grande connaissance du milieu, compliquée ensuite pour les éleveurs qui sont attachés à leurs animaux et qui, sans parfois l’exprimer, versent une larme au départ de leurs animaux vers l’abattoir ou lors d’un décès inopiné. Ce sont de vraies émotions, de vrais sentiments, souvent cachés derrière une certaine pudeur à les exprimer. De plus en plus d’éleveurs s’expriment d’ailleurs à travers les réseaux sociaux notamment autour de ces émotions qui sont légitimes. »

La question de l’abattage est aussi fortement décriée et l’éleveur est souvent attaqué sur cette étape qu’il ne maîtrise au final pas. « C’est vrai et, pour autant, l’abattage est une réalité qu’on ne peut nier. La finalité des animaux de rente : être abattu et fournir de la viande, en ce compris l’élevage laitier. Du fait des précautions d’hygiène, de la rationalisation de l’abattage… Aujourd’hui, les consommateurs ne voient plus l’acte de tuer l’animal. Ils sont donc éloignés de cette réalité. Une réalité d’élevage, de proximité auprès des animaux peut ainsi être fantasmée et où la mort n’existerait pas. C’est évidemment un leurre puisque la mort existe, que ce soit à des fins marchandes mais aussi dans la vie sauvage. La mort fait partie du cycle de la vie. »

Une stigmatisation de la profession

«La déconnexion entre l’acte de manger et celui de tuer est pour partie responsable des oppositions et des stigmatisations qu’il peut y avoir contre l’élevage. Certains scientifiques, notamment aux USA, diffusent des images d’abattages réalisés dans de bonnes conditions mais qui ne masquent pas cette réalité. Peut-être qu’à force de montrer des images un peu trop édulcorées, on a perdu cet acte qui fait partie du métier. Pour moi, lors de leur mise à mort, on peut être respectueux des animaux, quels que soit l’échelle et le nombre d’animaux abattus. L’inverse est aussi vrai. »

«Il est aussi clair qu’au vu des cadences obligées dans les chaînes d’abattage, l’aspect rapidité peut déshumaniser l’acte en tant que tel. Pour autant l’animal est abattu dans de bonnes conditions. Au moment de mourir, il n’est plus conscient. Si on retourne quelques décennies en arrière, ce n’était pas toujours le cas… »

Autre élément de réponse : le changement de statut des animaux. « Le fait que d’autres animaux, comme chiens et chats – qui étaient avant tout des animaux de fermes et qui ne rentraient pour ainsi dire pas dans la maison –, soient devenus des animaux de compagnie nous a mis en proximité avec des animaux familiers. Nous sommes donc sur des projections totalement différentes, peut-être avec un regard anthropomorphique. Malheureusement pour ces animaux car il faut savoir que la maltraitance auprès de ceux-ci existe et est très forte… »

Il en veut pour preuve : « Des chats obèses mal nourris, des chiens qui ne sortent pas… Les exemples sont nombreux ! On a beau leur apporter toute notre affection, ils ont besoin d’être bien traités, ni trop nourris, ni trop peu, d’avoir accès à l’extérieur… C’est d’ailleurs ce que demande le citoyen pour les bovins : l’accès à la prairie afin qu’ils puissent s’ébattre, se déplacer. Au final, chacun doit balayer devant sa porte et les efforts à faire sont à tous les niveaux ! »

Comment concevoir le bien-être animal ?

La première chose a été de définir ce que qu’est le bien-être animal (BEA). La seconde ? Pouvoir l’évaluer.

« C’est donc avoir des indicateurs qui permettent de mesurer si les objectifs de BEA sont atteints. Cela peut aller de l’observation de certains comportements ou des mesures plus objectives, comme la production laitière, la perte d’appétit ou de poids… Ce sont de signes évocateurs d’une certaine souffrance. Toutefois, en amont de ces signaux, l’éleveur peut s’en rendre compte en observant leur changement de comportement (s’il est plus faible, moins actif…) et il peut agir ou se poser la question quant à ce qu’il faut faire pour résoudre le problème. »

Pour M. Briand, on ne peut pas prétendre s’attaquer à la question du BEA sans avoir une connaissance fine des besoins des animaux. Ceux-ci ne sont pas forcément ceux que nous avons en tant qu’humain. Typiquement, la température de confort d’une vache n’est pas à 20-25ºC comme pour nous. Un bovin supporte très bien des basses températures et au contraire souffre sur des hautes températures.

« Assurer le bien-être animal, c’est se prémunir de problèmes futurs. « Dans un cadre d’élevage, certains exploitants sont toujours dans l’anticipation, à apporter des solutions pour respecter le bien-être animal pour respecter leur bien-être d’éleveurs en ayant des bonnes conditions de travail. Le fait d’anticiper les problèmes liés au BEA leur permet d’éviter les problèmes futurs, d’alimentation, de santé animale globale… »

Bien être animal doit rimer avec celui de l’éleveur

Pour notre interviewé, un éleveur ne peut bien s’occuper de ses animaux que si lui-même exerce son métier dans les bonnes conditions. Et l’inverse est aussi vrai : des animaux dont le bien-être est respecté donnent satisfaction à l’éleveur, ce qui peut lui conférer un bien-être psychologique voire économique puisque les facteurs de production sont au rendez-vous. Raison pour laquelle on entend de plus en plus parler de la notion de « One Welfare » : un seul bien-être. « D’autant que ce que tu donnes à l’animal, il te le rend généralement ! »

En élevage, ce que tu donnes à l’animal, il te le rend. Bien-être animal et celui de l’éleveur vont donc de pair.
En élevage, ce que tu donnes à l’animal, il te le rend. Bien-être animal et celui de l’éleveur vont donc de pair. - P-Y L.
Le respect du BEA peut aussi passer par un certain nombre d’équipements qui peuvent représenter un coût. « Sur l’Espace pour Demain (espace dédié à l’innovation au Space), nous proposons d’ailleurs des solutions qui apportent des réponses en termes de bien-être à la fois réglementaire, à la fois de confort. L’équipement peut évidemment apporter des solutions mais je crois aussi beaucoup au professionnalisme et aux compétences des éleveurs qui sont en contact permanent avec leurs animaux et qui sont capables de leur apporter, par le biais d’une relation positive avec eux, un certain bien-être quand bien même ils seraient sur des installations relativement modestes. »

Le BEA, un élément positif à communiquer

Philippe Briand assiste depuis quelques années à la reprise en main salutaire de la communication, notamment sur les réseaux sociaux, par un certain nombre d’éleveurs. « Des éleveurs parlent de leur vie, de leur quotidien, loin des images d’Épinal, loin des communications marketing mais centrée sur de la réalité de terrain. Ces agriculteurs savent nous parler du BEA, comment et pourquoi les choses se passent chez eux, dans quelles conditions et dans quel respect des animaux et de leur propre métier. »

« Cette réappropriation de la communication est importante ! Ils touchent ainsi directement les citoyens et les consommateurs. Dans la grande majorité des cas, les élevages sont très respectueux du BEA, et ce malgré le nombre de contraintes économiques qu’ils ont. Ils arrivent généralement à bien faire cette synthèse. »

Un manque de confiance dû à l’agribashing ?

Pour Philippe Briand, les éleveurs n’ont pas perdu la confiance des consommateurs. « On est plutôt face à une puissance forte d’un certain lobby antispéciste qui occupe beaucoup l’espace médiatique mais qui n’est pas du tout proportionnelle avec l’avis de la majorité silencieuse qui a globalement une bonne image de nos éleveurs. Il n’y a qu’à voir le succès de certaines émissions comme l’« Amour est dans le pré »… L’image des agriculteurs y est positive, les spectateurs sont touchés par la sincérité, l’authenticité des personnes que l’on voit dans ces programmes. Les agriculteurs ont une image positive et ils doivent en être vraiment persuadés. Souvent, ils sont atteints, et je les comprends, par les attaques qui peuvent être lancées, mais elles ne sont pas des attaques majoritaires. Elles témoignent d’une grande méconnaissance et de profondes incompréhensions du grand public, que la communication directe va, à mon sens, pouvoir lever. »

Propos recueillis par P-Y L.

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