Depuis une trentaine d’années, des nichoirs à hyménoptères existent dans mon verger. Premier constat : dès la première année du cycle de développement, seulement 30 % des osmies parviennent au stade adulte…
Des petits et grands ennemis
Les abeilles dites solitaires ont de nombreux ennemis. Les nids d’abeilles solitaires subissent aussi de multiples agressions. Voici quelques exemples pour illustrer ces propos.
Des abeilles « coucous » déposent leurs œufs dans la logette de leur hôte pour que leurs larves consomment les provisions accumulées par l’hôte.
Des ichneumons du groupe des gasteruptions y déposent aussi leurs œufs, et leurs larves dévorent ensuite progressivement la larve de l’abeille hôte. Cacoxenus indagator, une minuscule mouche particulièrement nuisible, peut détruire l’ensemble des hôtes d’un nichoir.
Les bombyles, mouches à la fourrure beige et à la longue trompe, ressemblant au bourdon, pondent aussi leurs œufs dans les nichoirs à osmies.
Les chrysides (guêpes dorées), aux couleurs métallisées, dévorent les larves de l’abeille hôte.
Les forficules (perce-oreilles), les cloportes, voire des araignées, envahissent les nichoirs. Placer des nichoirs favorise les hôtes qui s’y installeront, mais aussi, après un décalage de temps, les parasites ou les prédateurs. Le pic et la mésange veillent déjà.
De minuscules hyménoptères parasites, du groupe de chalcidiens, ont la potentialité de donner plusieurs adultes à partir d’un seul œuf car il se divise plusieurs fois.
Dans « les jets d’eau » de mes fenêtres en bois, six logettes d’osmies peuvent libérer plus de trente chalcidiens d’une belle couleur vert métallisé.
Comment rentabiliser un tel processus ?
On pourrait songer à rentrer les nichoirs. Oui, mais ils seront déjà parasités… Donc, il faudra trier les cocons un par un pour écarter les cocons parasités. Est-ce que cela sera rentable ?
Ici encore, il semble que les abeilles, telles que les osmies nichant dans le vieux bois ou les tiges creuses, les andrènes, halictes ou anthophores nichant au sol, préféreront s’installer dans la nature, elles s’y sentent peut-être mieux en sécurité.
Les hyménoptères… ont la faculté de choisir le sexe de leurs descendants. Les œufs pondus au fond du nichoir donneront des femelles, les derniers pondus donneront des mâles, souvent victimes de la prédation à l’entrée du conduit à logettes d’un bloc de bois perforé, de bambous creux, de tiges de sureau ou de tubes en verre. Les mâles rescapés se livrent une concurrence féroce pour féconder les femelles.
Le travail des abeilles sauvages
Dans le monde, l’élevage d’osmies ou de mégachiles est utilisé pour pas mal de cultures, amandier, fruitiers, myrtilles, framboisiers, ronces, vesces et légumineuses arbustives dans les pays en voie de développement.
Le fraisier
Le plateau d’Oleye (Waremme) recèle une culture de fraisiers s’étendant sur de très nombreux ha. Elle produit en continu toute la bonne saison, et les fruits sont très bien formés. Cette saison, je vais particulièrement observer comment et par qui les fraisiers sont fécondés. Chez moi, mes observations m’amènent à penser que ce sont souvent de minuscules halictes ou des andrènes qui sont à l’œuvre sur les fraisiers.
Arboriculture fruitière
Les arboriculteurs (pommes, poires) préfèrent avoir plutôt moins de fruits, mais de gros calibre. Cela se traduit par moins d’éclaircissage, moins de manutention à la récolte. Les pollinisateurs ne semblent guère les intéresser. Ils tolèrent toutefois l’implantation de ruches à la demande des apiculteurs voisins. Par contre, les producteurs de cerises sont plus sensibles à la venue des pollinisateurs.
Le colza
Les siliques étaient très bien remplies l’été dernier, contrairement à ce que laissaient entrevoir mes rares observations de butinage. Elles sont corroborées par des spécialistes comme Rasmont et Delbrassinne qui déplorent qu’il y ait un petit nombre d’espèces de butineurs sur les colzas : abeilles domestiques, quelques bourdons, quelques diptères. Ils ont remarqué que l’abeille domestique a trois comportements de butinage. Un seul semble efficace : l’abeille passe au-dessus du pistil pour visiter les nectaires plus profonds dans les fleurs, elle saupoudre alors le pollen sur le pistil. Dans deux autres cas, elle contourne les étamines ou passe dessous, ce qui mobilise beaucoup moins le pollen.
Bien qu’en nombre moindre sur la culture, les bourdons semblent avoir un comportement de butinage plus performant. En outre, ils sont actifs par temps plus frais, moins lumineux ou plus venteux. Les ruches perturberaient l’activité des bourdons par la densité d’individus. La Nature faisant bien les choses, au même moment de la journée, abeilles et bourdons butinent des inflorescences différentes.
Les ruches dans les champs de colza, c’est un plus pour l’apiculteur, ce ne serait pas sûr pour la culture…
Selon l’apiculteur français Philippe Lecompte, de l’Association de développement de l’apiculture dans l’est de la France, la rentrée du pollen dans les ruches se situe surtout à la fin de la floraison… Encore des observations à vérifier dans nos régions durant cet été !
Cet apiculteur craint par ailleurs que le pollen de colza perturbe le comportement des abeilles : les Brassinolides (hormone végétale naturelle) produits notamment par le colza, boostent la croissance des tiges et la formation du pollen mais pourraient perturber l’activité des abeilles. La sélection de colza à haut rendement favorise-t-elle la synthèse de Brassinolides ? Cela pourrait expliquer cette faible appétence. Auxines, autres phytohormones de croissance bien connues, et Brassinolides semblent agir de concert…
En 1990, A. Remacle écrivait : « La majorité des variétés de colza actuelles sont autofertiles mais malgré l’autopollinisation, pour qu’un maximum de fleurs soit fécondées, la présence d’insectes est souhaitable. L’action du vent n’est pas négligeable dans la pollinisation. Autre avantage de la pollinisation du colza par les insectes est la réduction de la durée de la floraison et une maturation des siliques plus groupée dans le temps donc moins de pertes à la récolte. »
Les études menées ailleurs
Les études menées dans le monde sur les pollinisateurs, même de celles de nos voisins en France, doivent être nuancées dans nos régions. Deux exemples : le maïs est visité pour son pollen par les abeilles domestiques dans le sud de la France, ce n’est pas le cas en Belgique. Le pois est visité chez nous (Mégachiles ou certains bourdons), des apiculteurs français ne croient pas en l’utilité de ces pollinisateurs pour un meilleur remplissage des gousses.
Bon à retenir
En conclusion, mieux vaut favoriser les capacités d’accueil des milieux adjacents en y pratiquant une gestion différenciée plutôt que d’élever des pollinisateurs avec toutes les incertitudes que cet élevage pourrait nous révéler !
Maintenons les bois morts, les massifs de ronce, les sureaux, les vieux murs, les talus avec plages nues de végétation, les pelouses dégradées ! Dans les plantations fruitières, les bordures fleuries, des entrelignes avec dicotylées attirent les butineurs.
Observez en pâture le sol nu, là où les racines de graminées ont été rongées par les rongeurs souterrains. Vous y verrez des abeilles sauvages creuser leurs nids.