C’est un constat auquel les transformateurs et vendeurs de viande d’agneau sont confrontés tous les jours : les consommateurs ne semblent pas suffisamment attirés par son goût caractéristique. En Belgique, la consommation d’agneau ne représente, dans les faits, que quelques pourcents de la consommation totale de viande. Ceux qui tentent de développer cette filière le ressentent lourdement…
Électricien et… éleveur de moutons
À Mellaar, dans la commune de Lumen (Limbourg), Guido Steegmans a grandi dans une famille d’agriculteurs. Martine, sa femme, est quant à elle issue d’une famille d’entrepreneurs. Il aura cependant fallu attendre leur mariage pour que le couple se lance dans l’élevage ovin, une activité exercée à temps partiel.
Guido n’a toutefois pas appris le métier d’éleveur lorsqu’il était plus jeune. Il est, en effet, électricien indépendant. De plus, la ferme de ses parents n’accueillait que des porcs et des bovins ; aucun mouton. « À l’automne 1981, suivant les conseils de notre vétérinaire, Martine et moi avons acheté Wolleke, notre premier mouton Hampshire Dow. Un an plus tard, notre fille Lissy est née », se souvient-il.
Âgée de 37 ans, cette dernière se souvient très bien de son enfance. « Avec un neveu, nous étions perplexes lorsqu’assis à la fenêtre, nous voyions les porcs quitter la ferme. Mon amour pour le secteur agricole s’est pourtant développé et n’a eu de cesse de grandir. »
Lissy et ses parents élèvent aujourd’hui quatre races ovines : Hampshire Down, Texel, Swifter et Charollais. « Notre cheptel compte 8 béliers et 100 brebis. Avec quatre races, nous étalons les agnelages et pouvons allonger la période de commercialisation des agneaux dans notre magasin. »
Deux diplômes de boucher
Afin de commercialiser leur propre production, père et fille ont effectué une formation et obtenu leur diplôme de boucher. « Suivre la formation ensemble était plus facile. Nous nous motivions l’un l’autre », sourit Guido.
« Les carcasses de mouton sont plus faciles à manipuler que celles, par exemple, de bovins. La carcasse d’un agneau pèse un tout autre poids que le quartier arrière d’une vache… D’ailleurs, je ne me vois pas me diriger dans cette direction », poursuit Lissy qui, en plus de l’élevage, cumule un emploi à temps partiel de comptable et est mère de deux enfants. Et d’ajouter : « Il est aussi plus facile de prendre soin des ovins que d’engraisser des bovins ou des porcs. De plus, l’espace requis est moindre ».

À l’heure actuelle, les revenus tirés de l’élevage sont insuffisants pour faire vivre deux familles, bien que l’ouverture d’un magasin à la ferme, l’été dernier, soit venue renforcer les ventes. « Je suis active à la découpe, à la préparation et à la vente dans le magasin. J’aime le contact social avec les clients et prendre le temps de répondre à leurs questions sur notre activité. Mais en tant que comptable, je dois aussi examiner les chiffres de près. L’élevage ovin ne doit pas être un prétexte pour « jouer au magasin », bien que j’aimais ça étant plus petite », ajoute-t-elle, non sans humour.
Montrer l’élevage tel qu’il est
« Mon père et moi rattrapons quelque peu le temps perdu. Du point de vue des loisirs, il s’est toujours tourné vers l’agriculture. Je n’ai jamais rien connu d’autres non plus, surtout quand mes grands-parents étaient à la tête de leur élevage de porcs et bovins. »
Lissy tente également d’impliquer les enfants dans l’élevage « Nous estimons qu’il est important de leur montrer que les moutons se portent bien, ici, dans nos étables et sur nos prairies. Et oui, l’abattage fait également partie de leur vie. Nous souhaitons faire prendre conscience aux enfants qu’il faut élever et abattre les animaux si l’on souhaite manger de la viande de qualité. »
Toujours avec les enfants, l’éleveuse tâche de montrer l’intérêt de son activité ovine et de l’agriculture en général pour la société. « La crise du coronavirus démontre une fois encore l’importance de ne pas être trop dépendants des pays étrangers pour son alimentation », ajoute-t-elle.
Trouver de nouveaux clients
Vu le jeune âge de sa ferme, la famille Steegmans est très fière que certains des meilleurs chefs du Limbourg choisissent ses produits. « Lorsqu’ils louent les qualités de notre viande d’agneau, c’est un véritable bonheur ! » Outre les cuisiniers professionnels, Lissy et son père consacrent beaucoup de temps et d’efforts aux visites d’exploitation. « Nous cherchons à exploiter de nouveaux marchés, par différents canaux. »
L’année dernière, la ferme Sint-Annahof figurait pour la première fois au programme du « Dag van de Landbouw » (l’équivalent des Journées fermes ouvertes en Wallonie) ; une expérience fortement appréciée. « C’était une excellente occasion de faire connaître notre exploitation. Les visiteurs peuvent voir comment nous y travaillons et découvrir notre activité. De notre côté, nous espérions qu’une partie de ces personnes reviendrait plus tard, en tant qu’acheteurs. Sur ce point-là, nous avons été déçus… »

« Nous sommes cependant très heureux de compter sur une clientèle régulière, qui apprécie ce que nous faisons et comment nous le faisons. Ces consommateurs accordent énormément d’importance à la qualité et aux services que nous souhaitons atteindre au quotidien. C’est une des raisons pour lesquelles ils reviennent. Mais il devrait y en avoir plus… » Les éleveurs constatent, comme d’autres, que les ménages estiment plus aisé de faire leurs courses en supermarché. « Un seul endroit à fréquenter pour remplir le caddy… »
Avenir de l’agriculture
Lissy porte encore un regard en demi-teinte sur son quotidien. « Je m’occupe de toute la paperasse, et il y a en a beaucoup lorsqu’on est agricultrice. Il y a aussi les nombreux contrôles qui, bien sûr, doivent être effectués mais manquent parfois d’humanité. »
« Nous sommes heureux de voir les efforts déployés par divers organismes pour assurer un meilleur respect des agriculteurs. N’oublions pas que face aux défis climatiques et environnementaux, les agriculteurs font également leur part. Et rappelons à nos concitoyens que la consommation de viande, ovine notamment, est importante dans le cadre d’une alimentation saine. »
À l’heure actuelle, l’activité d’élevage ne permet pas à la famille Steegmans de vivre. Ce n’est pourtant pas faute d’efforts !
Après leur formation de boucher, Guido et Lissy ont ouvert, avec Martine, un magasin à la ferme voici environ un an pour y commercialiser la viande de leurs agneaux. « La qualité est excellente, le prix est au top, nous disent nos clients restaurateurs. Et pourtant, nous ne réalisons pas un chiffre d’affaires suffisant. Nous ne pourrons pas continuer ainsi durant 15 ans… », constate Lissy.
Un travail de longue haleine
La crise du coronavirus a toutefois permis d’augmenter quelque peu les ventes. La famille Steegmans espère que la reprise de la saison des barbecues aura également une influence positive sur son chiffre d’affaires. « La viande d’agneau souffre… Elle est trop méconnue et mal aimée. Nous aimerions rencontrer d’autres éleveurs ovins et consulter plus étroitement les organisations agricoles afin de commercialiser nos produits de manière plus structurée. »
Les efforts pour commercialiser en circuits courts sont souvent sous-estimés. « Circuit court ? Des journées longues et des nuits courtes, oui ! C’est amusant et agréable à faire, mais cela ne suffit pas… Nous avons beaucoup investi mais cela reste difficile aujourd’hui. Nous faisons de la publicité, y compris par le biais des médias sociaux. C’est un travail de longue haleine et nous sommes persévérants. Mais nous ne savons pas comment inverser la tendance. Nous pourrions nous rendre sur les marchés, avec un camion frigorifique. Mais nous ne pouvons nous permettre ce genre d’investissement pour le moment. »
Les éleveurs fournissent également les boucheries et restaurant de la région. « Les gens apprécient d’aller de temps en temps au restaurant mais, en parallèle, achètent de la viande moins chère en supermarché le reste du temps. Et sans savoir d’où elle vient ! Que dire de l’agneau de Nouvelle-Zélande ? Quelle est son empreinte écologique ? Et son impact sur le climat ? Il n’arrive pas en Belgique à vélo ! Je préfère savoir ce que je mange et d’où vient ce que je mange. »
Le citoyen n’est pas le consommateur
« Le citoyen n’est pas le consommateur », ajoute Lissy. Le citoyen dit prendre beaucoup de chose en compte, jusqu’à ce qu’il se retrouve devant les rayons du magasin, où il redevient consommateur. « Il en oublie ses beaux principes et veille à la sécurité de son portefeuille. Il choisit le moins cher ou se tourne vers les promotions. Et qui en bénéficie ? Pas l’agriculteur, mais le supermarché. L’agriculteur, lui, se voit contraint d’élever davantage de bétail tout en réduisant ses marges. Il s’industrialise peu à peu et a besoin de nouvelles terres, si coûteuses… On dit que les agriculteurs se plaignent, mais ils ne le font pas sans raison ! On le remarque maintenant, il faut une crise pour que l’on nous considère à notre juste valeur. Ce n’est pas réjouissant ! »








