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Autonomie protéique en Europe : l’exemple français pour accompagner les transitions agricoles et énergétiques

La dépendance de l’Europe aux protéines végétales la rend vulnérable aux soubresauts des marchés. Elle altère aussi son bilan environnemental du fait d’une déforestation importée. Des leviers existent pourtant pour améliorer l’autonomie protéique en Europe. L’exemple français pourrait faire école chez nous.

Temps de lecture : 8 min

À l’occasion du séminaire organisé par la Fédération wallonne de l’Agriculture, Claude Soudé, directeur adjoint de la Fop (fédération française des oléo-protéagineux), un syndicat de producteurs adhérent de la Fnsea qu’il représente dans les institutions communautaires, a évoqué quelques pistes calquées sur l’exemple français.

Car la Fop a pour particularité de s’être engagée très tôt dans le développement de filières.

La Fop, une démarche de filière gagnante

Alors que les montants compensatoires fixés par la communauté européenne s’avèrent de plus en plus défavorables à la France, elle crée en 1983 la Sofiprotéol, devenue « Groupe Avril » en 2015, l’acteur industriel et financier des filières des huiles et des proteines.

La Fop a essayé de développer la production de colza en prenant en compte l’ensemble des acteurs du secteur. Cela s’est traduit par la mise en place d’une interprofession très largement financée par les producteurs avec une cotisation prélevée sur chaque tonne commercialisée permettant le développement d’un institut technique.

La filière a également investi dans son aval et dans les débouchés, notamment dans les années 90 au moment des Accords de « Blair House » et de la réforme de la PAC qui crée la jachère industrielle. Une époque qui voit par ailleurs le développement des biocarburants.

« Notre rôle est d’offrir aux producteurs les conditions optimales pour exercer leurs activités, notamment pour le secteur des oléagineux et protéagineux » résume M Soudé.

Évolution du marché des protéines végétales

L’évolution du marché des protéines végétales est fortement corrélée à celle de la démographie, des systèmes alimentaires et de leur transition avec un accroissement mondial de leur consommation attendu d’au moins 40 % à partir des années 2030 et une hausse de la demande en tourteaux d’oléagineux d’environ 1,5 % par an.

Le tout s’inscrit dans un contexte marqué par une résurgence des famines depuis 2020 dont l’ampleur a été accrue par la crise sanitaire et le conflit russo-ukrainien.

La commission a tenté de classifier l’autonomie protéinique de l’UE pour la nutrition animale, en fonction de la teneur en protéines : avec moins de 15 %, on trouve ainsi les fourrages à base d’herbe et de céréales, entre 15 % et 30 % les légumineuses à graines, les légumineuses fourragères, de 30 % à 50 % les tourteaux de soja, colza, tournesol (qui répondent seulement au quart de ses besoins en concentrés) et au-delà de 50 %, on retrouve des matières très riches nécessaires à la complémentation de certains régimes alimentaires des animaux.

« On constate un important déficit en matière de tourteaux » précise M. Soudé qui évoque plusieurs défis pour ces catégories de produits, en commençant par le changement climatique qui impacte la stratégie fourragère des élevages, les itinéraires techniques et les aléas complexifiant le développement de cultures hi-pro pour l’élevage et, enfin, la dépendance sur les légumes secs et l’alimentation humaine, malgré un marché dynamique.

L’approche de la filière française

La filière a décidé de se prendre en main et de conduire une étude globale afin d’améliorer l’autonomie française en associant à la fois des producteurs et les utilisateurs (filières de l’élevage) afin de rencontrer leurs besoins de manière satisfaisante au niveau de la rentabilité.

Un plan de filière a été établi qui tendait à se projeter à dix ans (2018-2028). Il vise à répondre aux attentes des consommateurs et de la société en matière d’OGM, tout en épousant les dimensions environnementale et climatique, notamment au niveau du bouclage du cycle de l’azote et du carbone, tout en préservant l’emploi dans les territoires français.

L’ambition était d’améliorer de 10 % la souveraineté protéinique en matières riches en protéines végétales (MRP) sachant que le plan de filière porte aussi sur l’amélioration de l’autonomie fourragère des élevages.

Elle était également de produire 100 % des besoins nationaux en protéines végétales pour l’alimentation humaine, de sécuriser la rémunération des producteurs et des éleveurs et, enfin, de disposer de filières pérennes de la production à la mise sur le marché pour les productions végétales et animales.

Deux clefs pour une ambition

Atteindre cette ambition repose sur deux clefs majeures. La première consiste à valoriser la qualité durable des protéines végétales françaises à leur juste prix auprès des consommateurs dans le cadre de la Loi Egalim (Agriculture et Alimentation) tenant compte de la multi-performance attendue lors de leur production.

La seconde s’articule autour du succès des évolutions « structurelles » majeures des modèles de production, de collecte et de transformation : d’une part réussir une diversification des assolements par l’innovation avec l’introduction massive de légumineuses en améliorant leur qualité génétique, ce qui suppose d’avoir davantage de références agronomiques sur la manière de conduire les cultures et les rotations.

L’approche comprend également la préservation des oléagineux, l’amélioration du taux protéique des céréales, complexifie les pratiques de production et impose un accompagnement de la prise de risque par les producteurs.

Elle suppose d’autre part une approche plus systémique au niveau de la conduite des exploitations et envisage une contractualisation pour sécuriser à la fois le producteur et le transformateur quant à l’approvisionnement.

Un Plan protéines français à 100 millions €

Dans le cadre du Plan protéines, l’État, la filière huiles et protéines végétales et les filières d’élevages ont formellement signé, le 1er décembre 2020, une Charte d’engagement qui vise à réduire la dépendance aux importations et améliorer la situation économique des exploitations en matière d’autonomie protéinique tout en répondant aux attentes de la société, dont celle de la lutte contre la déforestation importée.

L’Etat s’est engagé à accompagner les acteurs à hauteur de 100 millions € dans le cadre du plan de relance post-Covid avec une partie des fonds dédiée à la structuration des filières, une autre consacrée à la recherche en ce compris la génétique et au développement et enfin, une autre pour aider à l’investissement en matériel spécialisé pour accroître la production de protéines végétales.

Les pois protéagineux sont cultivés surtout pour l'alimentation animale et possèdent  une teneur élevée en protéines de leur graines.
Les pois protéagineux sont cultivés surtout pour l'alimentation animale et possèdent une teneur élevée en protéines de leur graines. - happyculteur - stock.adobe.com

Quant à la filière des huiles et protéines, elle s’engage à accroître de 40 % la surface cultivée avec des espèces légumineuses, et à préserver les surfaces de colza et tournesol à hauteur de 2 millions d’hectares. Le Plan ambitionne de doubler les surfaces de légumineuses et de protéagineux en dix ans.

Le secteur de l’élevage s’engage de son côté à doubler ses surfaces en légumineuses fourragères à l’horizon 2030 et à favoriser la consommation de protéines locales.

« C’est cette approche locale qui permettra d’avoir les meilleurs résultats en termes d’efficacité économique » a précisé M Soudé.

De la Charte au Plan stratégique national de la PAC

Cette démarche trouve son prolongement dans le Plan stratégique national de la France pour répondre à ses ambitieux objectifs (réduire l’utilisation de l’azote minéral, augmenter l’autonomie protéique des élevages, développer les légumes secs pour l’alimentation humaine, diversifier les assolements).

La France propose de poursuivre les efforts engagés sur le développement de la filière protéines végétales en augmentant le volume des aides couplées qui vont passer de 2,3 % du budget du premier pilier en 2023 à 3,5 % en 2027 pour accompagner le développement des surfaces.

Au-delà de ce volet, il est question de la création d’un programme opérationnel dédié, à l’instar de ce qui existe dans le secteur des fruits et légumes. Ce dernier ne se mettrait en place qu’à partir de 2024 et se verrait alloué un budget minimum de 24 millions € par an.

D’ici là, il s’agira pour la filière de mettre en œuvre les outils nécessaires tels que la possibilité d’avoir des organisations de producteurs pour les protéines, la création d’organisations de producteurs, voire des associations d’organisations de producteurs.

Il y aura en outre la prise en compte des légumineuses dans la diversification des cultures pour les éco-régimes.

« Il faut accompagner les producteurs dans la prise de risque »

Le succès de cette ambitieuse démarche suppose une cohérence entre les différents axes qui l’articule, à commencer par la coordination des investissements. « Il faut par exemple qu’il y ait transfert de savoir et un renforcement des capacités des différents opérateurs pour être en mesure de valoriser les innovations » précise Claude Soudé.

Cela nécessite aussi un soutien à la recherche à long terme, un accompagnement progressif des producteurs à la prise de risques lors des transitions vers les modèles plus diversifiés et durables.

L’approche de la démarche française comprend la préservation des oléagineux,  l’amélioration du taux protéique des céréales, complexifie les pratiques de production  et impose un accompagnement de la prise de risque par les producteurs.
L’approche de la démarche française comprend la préservation des oléagineux, l’amélioration du taux protéique des céréales, complexifie les pratiques de production et impose un accompagnement de la prise de risque par les producteurs.

« Changer de système n’est pas simple, surtout quand le climat vient jouer les trouble-fêtes et que s’y greffe en plus la multiplication des différents types de réglementations » prévient par ailleurs M. Soudé.

Enfin, il ne faut pas sous-estimer certaines conditions, comme la capacité d’accès à l’eau et la possibilité de faire appel aux nouvelles techniques d’amélioration des plantes (NBT), un élément qualifié d’essentiel par directeur adjoint de la Fop.

Ce programme français en faveur des protéines bénéficie de l’accompagnement de partenaires techniques pour encadrer les éleveurs et les cultivateurs.

Les protéines végétales, un sujet fondamental qui permet de répondre à la transition alimentaire et sensibiliser le citoyen quant à l’impact de sa consommation. Il permet d’accompagner les transitions agricoles et énergétiques.

Marie-France Vienne

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