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« Tuer 4.000 porcs sains ?

Attaquons-nous plutôt

aux sangliers ! »

Face à la menace, André Magerotte s’organise afin de protéger aux mieux ses porcs plein air de la peste porcine africaine.

Mais l’éleveur s’interroge également quant à l’efficacité

des mesures prises en vue d’éviter la propagation du virus.

Temps de lecture : 7 min

Véritable institution, la boucherie Magerotte, installée à Nassogne depuis le début des années 1900, se transmet de génération en génération. À sa tête, on retrouve aujourd’hui André, petit-fils du fondateur et éleveur de porcs plein air.

Accompagné de son frère, il s’est lancé dans l’élevage porcin en 1998, car la qualité des carcasses disponibles sur le marché ne le satisfaisait plus, lui qui s’attelle à proposer la meilleure qualité au sein de sa boucherie. Immédiatement, les deux hommes se sont tournés vers l’engraissement en plein air, devenant par la même occasion les premiers à relancer cette activité en Belgique.

Actuellement, la ferme compte environ 380 individus croisés Duroc et Landrace, tous issus de chez Luc Lefèvre, naisseur à Dorinne (Yvoir). La sélection s’est toujours faite sur deux critères : la qualité de la viande et la résistance des porcelets, car ceux-ci vivent en prairie dès leur naissance. Une fois sevrés, ils sont répartis en groupes de 25. Chaque cohorte dispose d’une cabane, dont les porcs entrent et sortent à leur guise, et d’une prairie d’environ 1 ha.

Au terme de leur engraissement, les animaux sont abattus chez Porc Qualité Ardennes, à Malmedy, puis découpés et transformés dans les ateliers de la maison Magerotte. L’entièreté de la production est ensuite écoulée via la boucherie familiale.

Mais l’entreprise pourrait bien faire les frais de la peste porcine africaine (PPA) qui sévit à une petite cinquantaine de kilomètres de Nassogne…

Le Sillon Belge : André, comment protégez-vous vos porcs face au risque que représente la PPA ?

Dans les trois jours qui ont suivi la découverte du foyer, j’ai renforcé toutes les clôtures entourant la prairie où sont élevés les porcs. Ainsi, au lieu de la double clôture déjà installée, c’est désormais une triple ceinture qui entoure la parcelle. Et comme la prairie jouxte une forêt, une quatrième clôture a été placée tout le long de celle-ci.

En outre, l’installation est électrifiée en vue de tenir éloignés les intrus comme les sangliers. Les porcs ne s’approchent que très peu des clôtures, ce qui réduit aussi les contacts avec les animaux sauvages.

Jusqu’ici hebdomadaire, le contrôle de l’enceinte est devenu quotidien. Les barrières, qui restaient parfois ouvertes le temps d’un passage, sont systématiquement refermées. Quant aux visites, je les ai purement et simplement supprimées et des panneaux rappellent aux promeneurs que l’accès à la prairie est interdit.

Toutefois, cela n’apaise que partiellement vos craintes… Pourquoi ne pas isoler vos animaux ?

Un cervidé porteur du virus, après avoir marché dans une déjection de sanglier par exemple, pourrait sauter par-dessus les clôtures et contaminer les cochons… Mais cela, je ne peux que le craindre, et non le contrôler !

Isoler les porcs du monde extérieur n’est pas envisageable. D’une part, ce n’est pas dans ma philosophie. D’autre part, je ne dispose pas des infrastructures nécessaires.

Pour éviter toute propagation du virus, les autorités ont ordonné la mise à mort de 4.000 porcs sains. Une nécessité ?

Non seulement cette mesure est inefficace, mais elle est aussi absurde. Tuer 4.000 animaux sains n’a aucun sens si on ne s’attaque par la source du problème, c’est-à-dire la surpopulation de sanglier. Cela fait plusieurs années que nous soulevons ce problème, mais les actions prises par le Gouvernement wallon sont largement insuffisantes.

Dès lors, pourquoi procéder à un tel abattage ?

Il ne fait aucun doute que le ministre Ducarme a cédé aux pressions de l’industrie porcine flamande qui détient 95 % du cheptel national et souhaite rassurer ses partenaires commerciaux. Dont certains, comme la Chine, sont particulièrement hypocrites… Ils refusent d’acheter nos porcs sains alors que les leurs sont contaminés.

Mais cela suffira-t-il ? J’en doute fortement et nous ferions mieux de chercher de nouveaux clients. Pourquoi ne pas essayer de renouer nos liens avec la Russie ?

Vous dénoncez également une certaine lenteur dans la mise en place des mesures de protection…

Dans cette affaire, le temps joue contre nous. Soyons donc logiques : si les sangliers sont porteurs du virus, éradiquons-les au plus vite de la zone contaminée et évitons qu’ils se dispersent.

La République Tchèque, qui a également fait face à une épidémie de PPA, est fréquemment citée en exemple. C’est pourquoi la Belgique s’inspire, en partie, des mesures qui y ont été prises et ont permis d’éradiquer le virus. Mais les Tchèques ont été beaucoup plus rapides !

Chez nous, le premier sanglier contaminé a été découvert à la mi-septembre et la zone n’a toujours pas été clôturée. Chaque semaine qui passe augmente les risques de déplacement des animaux. Que fera-t-on s’ils quittent la zone par manque de nourriture ou traversent la frontière ? Je ne pense pas que nos ministres mesurent la gravité de la situation.

Clôturer la zone représente une importante dépense.

Qui reste inférieure à ce que coûterait l’abattage de plusieurs autres milliers de porcs si la maladie venait à se propager. Abattage auquel s’ajoute encore l’indemnisation des éleveurs concernés.

En outre, nous ne demandons pas de clôturer les 63.000 ha qui constituent la zone de protection mais au minimum le territoire où ont été retrouvés les cadavres contaminés.

Les chasseurs sont-ils responsables de la situation ?

Toutes les chasses atteignent actuellement leur quota de sangliers. Mais il faudrait en tuer beaucoup plus. La saison dernière, la chasse a été prolongée de deux mois, en janvier et février, mais sans grand résultat. Pour les chasseurs, la campagne cynégétique était déjà terminée.

De plus, les laies sont particulièrement prolifiques. Chaque portée compte facilement 7 ou 8 marcassins. Et tous survivent, car les hivers que nous connaissons actuellement sont peu rigoureux. Je ne vois donc qu’une seule solution : l’administration wallonne doit augmenter les quotas de chasse.

En revanche, certaines pratiques de chasse augmentent les risques sanitaires. Le nourrissage favorise le rapprochement des suidés et, par conséquent, la dissémination des maladies, que ce soit la peste porcine africaine ou d’autres.

Et que dire des importations illégales de sangliers ?

Que voulez-vous dire ?

Il est de notoriété publique que des chasseurs ont importé illégalement des animaux des pays de l’est afin d’augmenter leurs tableaux. Malheureusement, personne n’ose témoigner ou n’a de preuves tangibles.

À ce titre, des analyses ADN sont en cours en vue de déterminer précisément l’origine des sangliers contaminés.

Jusqu’il y a peu, la France autorisait l’importation de suidés sauvages depuis les pays de l’est. Si les analyses révèlent que les sangliers ne sont que faiblement porteurs de sang étranger, les chasseurs affirmeront qu’il s’agit d’individus issus de croisements entre sangliers de l’est et français qui ont migré en Wallonie. Ce qui n’est peut-être pas faux.

Mais si les analyses prouvent que les cadavres retrouvés sont très fortement éloignés génétiquement des sangliers wallons, on ne pourra plus nier l’évidence.

Dans la zone contaminée, l’élevage porcin ne reprendra qu’un à deux ans après l’éradication du virus. Que deviendront les éleveurs ?

Psychologiquement, la situation doit être difficile à vivre. Voir partir d’une telle manière des animaux qu’on a sélectionnés et élevés alors qu’ils sont sains, c’est un traumatisme.

Parmi les agriculteurs concernés, beaucoup ne s’intéressaient aux porcs que pour leur consommation personnelle ou pour diversifier leur activité. Ceux-là abandonneront définitivement l’élevage porcin et se tourneront vers une autre activité, je pense.

Mais pour ceux dont il s’agissait de l’activité principale, les mois à venir s’annoncent bien sombres…

Commercialement, c’est tout le secteur qui pourrait en pâtir ?

Je constate qu’en raison de la fermeture de plusieurs marchés, certaines grandes surfaces anticipent la hausse des stocks et proposent déjà d’impressionnantes promotions sur la viande de porc.

De mon côté, j’ai la chance d’écouler les carcasses via ma boucherie et de fixer les prix de vente en fonction de mes coûts de production. Je ne ressens donc pas les remous que crée cette affaire sur les marchés internationaux. Mais si le virus venait à contaminer mes porcs, cela mettrait la boucherie en péril bien que j’y vende également des pièces d’Angus et de Blanc-Bleu Belge.

À l’échelle nationale, je suis très loin d’être rassuré. Le secteur porcin traverse actuellement une phase morose, avec des prix orientés à la baisse. La découverte d’un foyer de PPA, même chez des sangliers, ne peut faire qu’empirer les choses… Je crains malheureusement que de nombreux éleveurs seront confrontés, s’ils ne le sont pas déjà, à des problèmes de rentabilité dans un futur relativement proche.

Propos recueillis par J.V.

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