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... Au service de nos élevages

et... de la société !

Le Centre wallon de Recherches agronomiques (Cra-w) a organisé le 7 octobre à Libramont, une journée d’étude mettant en avant les forces et faiblesses de la prairie pour répondre aux attentes de nos systèmes d’élevage de ruminants et de la société. Voici quelques enseignements à tirer de cette journée.

Temps de lecture : 7 min

En ouverture de la journée, Thomas Claessens, du Gal Nov’Ardenne, et Annick Melchior, du Cra-w, ont mis à contribution la quarantaine d’agriculteurs, techniciens et chercheurs présents afin de réaliser un relevé des besoins du secteur pour améliorer l’utilisation des ressources en herbe. Ce qu’il en ressort? Des attentes fortes en termes d’encadrement (accompagnements neutres et objectifs) et de vulgarisation (démonstrations en exploitations pilotes, remontée plus rapide des résultats des recherches).

Ces recherches devraient plus spécifiquement objectiver l’impact des évolutions de notre climat sur la ressource prairiale (observatoire de la pousse de l’herbe), mais surtout explorer les pratiques et stratégies qui permettraient d’assurer la productivité de nos prairies dans ce contexte (choix des espèces et précocités adaptées à l’évolution des saisons, périodes et rythme de fauche et pâturage, …) tout en prenant en compte la nécessité de réduire l’utilisation des engrais et produits phytosanitaires (gestion des rumex, place des légumineuses).

Si produire la ressource est en enjeu fort, l’optimisation de sa valorisation n’est pas en reste. Des références demeurent nécessaires en termes de conservation de l’herbe récoltée (10% des votes) et de conduite du pâturage en fonction des conditions locales de sol, de parcellaire et du type d’animaux mobilisé, surtout si l’on vise un engraissement de ces derniers.

Finalement, des questions relatives à la différentiation et valorisation des productions à l’herbe, au sein des filières , et à leur soutien par les institutions et la société en général, vu les nombreux services rendus par les prairies, ont soulevé un certain intérêt. Certaines de ces questions ont partiellement trouvé réponse dans les présentations réalisées lors de cette journée.

Le ruminant producteurs nets de protéines

Ensuite, Caroline Battheu-Noirfalise a souligné la plus-value de l’herbe dans l’alimentation de nos bovins avec un focus sur les exploitations laitières situées dans les provinces de Liège et du Luxembourg, étudiées dans le cadre du projet Interreg V Grande Région - Autoprot. En effet, bien que présentant une faible efficience brute pour la transformation de leur alimentation en énergie ou protéine – seulement 17% des protéines ingérées par la vache laitière se retrouvent dans les tissus ou la production de lait – les bovins présentent l’avantage de pouvoir valoriser des ressources riches en fibres non-utilisables dans l’alimentation humaine (herbe et co-produits des industries agroalimentaires). Ceci est vrai pour tous les ruminants.

Dès lors, si l’on réfléchit non plus en terme d’efficience brute, sur la ration totale ingérée par l’animale, mais en terme d’efficience nette, à savoir la fraction de la ration ingérée qui aurait pu être directement valorisée par l’Homme (exemple : les céréales en ce y compris les grains de maïs, les protéagineux comme les graines de pois,…), les vaches laitières de nos systèmes herbagers sont productrices nettes de protéines. En effet, elles produisent, en moyenne, 1,7 fois plus de protéines valorisables par l’Homme qu’elles n’en consomment. Ainsi, 92 % des exploitations analysées assurent une production nette de protéines valorisables par l’Homme. L’exposé soulignait également l’intérêt d’étendre cette réflexion à l’ensemble des régions agricoles wallonnes mais également de prendre en compte, dans cette réflexion, le caractère obligé ou pas de nos prairies permanentes.

Prairies & changement climatique

Mais comment les prairies réagissent-elles à l’évolution de nos conditions climatiques marquées, ces dernières années, par plusieurs épisodes de sécheresse successifs ? Quelles pratiques promouvoir afin de faire face à ces évolutions ? C’est ce qu’ont exploré Alexandre Mertens, du CRA-W, et David Knoden, de l’asbl Fourrages-Mieux, pour des prairies exploitées via du pâturage et de la fauche, respectivement.

Ainsi, dans les conditions favorables du Centre Ardenne, une prairie permanente de longue durée, à base de ray-grass anglais, fléole et trèfle blanc, soumise à une fauche tous les 28 jours (simulation d’un pâturage tournant dynamique) montre une plus grande résistance, face aux épisodes de sécheresse qu’une prairie fauchée toutes les semaines, simulant, à l’extrême, un pâturage ras continu. Cette dernière voyait sa production chuter dès que le différentiel entre les besoins en eau de la plante et l’eau disponible dans le sol était négatif.

Globalement, au travers des 5 années de suivi, l’exploitation «continue» de l’herbe a conduit à une réduction de plus d’un tiers de la productivité de la prairie en comparaison à une exploitation en coupe mensuelle. Dans les deux cas, la qualité nutritive de l’herbe permettait, théoriquement, d’atteindre des performances de 1,2 kg par jour de gain de poids dans le cas de jeunes mâles au pâturage. La nécessité de posséder de telles références mais surtout de pouvoir anticiper la pousse de l’herbe et son exploitation ont été soulignées à plusieurs reprises.

David Knoden souligne, quant à lui, l’impact de l’évolution du climat sur l’allongement de la saison de pousse de l’herbe, mais également, suite aux différentes périodes chaudes et sèches, sur l’évolution de la répartition de la production des couverts fourragers dans le temps, ce principalement pour des espèces sensibles telles que le ray-grass.

Pour ce dernier, en l’absence de stress hydrique, 40 % du rendement est réalisé au printemps. Cette proportion passe à 70% en année sèche ! Ces observations remettent en cause les choix des variétés classiquement préconisés : des variétés plus précoces, qui développent leur biomasse plus tôt dans l’année, ne seraient-elles pas à envisager même dans des conditions plus froides telles qu’en Ardenne ?

Par ailleurs, l’orateur met en avant l’intérêt d’espèces ayant développé différentes stratégies (développement racinaire, dormance estivale, …) afin de faire face à des épisodes de sécheresse. Sur base de leur tolérance au stress hydrique, un classement des espèces fourragères peut être établi : Luzerne >>Trèfle violet, Dactyle> Fétuque élevée et des prés, Trèfle Blanc >>Ray-grass anglais, Fléole. David Knoden a conclu son exposé par 3 conseils:

– il y a lieu de réaliser ses stocks dès qu’il y a de l’herbe, il ne faut pas « attendre » même pour les troupeaux allaitants. L’herbe non valorisée est « perdue » et la peur de ne pas avoir assez conduit toujours à de mauvaises décisions;

– assurer ses stocks sur base de la pousse de printemps;

– ne pas hésiter à se faire aider par des conseillers ou des outils de gestion.

Un soutien spécifique pour la production de bœufs à l’herbe

Assurer la production d’une herbe de qualité en quantité est une chose, mais quelle place réserver à cet aliment de choix pour la production de viande bovine ? Virginie Decruyenaere, du Cra-w s’est emparée de la question, au départ de suivis réalisés sur des animaux Blanc-Bleu Mixte conduits en agriculture biologique en valorisant un maximum de ressources locales. Les résultats confirment les plus faibles performances zootechniques des bœufs par rapport aux taurillons. Mais ces derniers sont moins en compétition avec l’Homme au niveau de leur alimentation qui peut être moins riche (2,4 kg d’aliments concentrés par kg carcasse pour les bœufs contre 3,0 kg pour les taurillons). Les plus faibles performances enregistrées conduisent dès lors, pour cette race et sous les conditions de l’essai, à une réduction de la marge brute par animal de plus de 60%.

Sur base de premiers résultats, le différentiel enregistré en race Limousine semble moins marqué. La production de bœufs ne pourrait dès lors être envisagée qu’avec un soutien spécifique qui rétribuerait les services associés : plus forte valorisation des prairies avec un stockage de carbone potentiel, mais qui ne compense pas les émissions de méthane supplémentaires enregistrées pour les bœufs suite à une vie plus longue et à une alimentation plus fibreuse, moindre compétition avec l’Homme pour l’alimentation... Une troisième alternative prometteuse, consistant en la production de veaux rosés, abattus avant 8 mois, est en cours d’exploration.

L’engraissement au foin en grange est en exploration

Dans la seconde partie de la journée, trois ateliers se sont intéressés:

– aux outils disponibles pour suivre la pousse de l’herbe et la qualité des ressources conservées;

– à la manière de quantifier les émissions de méthane par les bovins et d’intégrer l’impact des différents modes de production de viande bovine (taurillon, bœuf, veau rosé, vache de réforme) sur le réchauffement climatique comme indicateur de performance, au même titre que le gain de croit;

– une démonstration, par le Centre de Michamps, quant à la manière de caractériser et gérer ses engrais de ferme afin de limiter les pertes et d’en optimiser la valorisation sur ses prairies et cultures au bénéfice de l’environnement et de son porte-monnaie.

Dans le cadre du projet Leader « Agriculture en transition » du GAL Haute-Sûre-Forêt d’Anlier, un essai sur les possibilités d’engraisser des femelles BBB avec du foin séché en grange, intégré en plus ou moins grande quantité dans la ration, a également été présenté. Les premiers résultats ne seront connus qu’en janvier 2020.

D’après Didier Stilmant

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