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Libra-non, Libra-oui

Temps de lecture : 4 min

« Il n’est un si grand mal qui n’ait de petits biens. ». Ce genre de proverbe est censé mettre du baume au cœur, quand le destin vous envoie une épreuve. Et question crise, nous avons été servis cette année ! Le Covid-19 est venu tester nos capacités à surmonter un péril sanitaire de premier ordre, mal que le Ciel en sa fureur envoya pour nous aider à mériter notre paradis. Parmi les multiples punitions, on nous a supprimé la Foire de Libramont, le rendez-vous incontournable de l’été, la grand-messe commerciale et folklorique de l’agriculture, où le monde paysan communie avec un large public, lors d’une vaste et amicale réconciliation, un peu surannée et convenue sous certains aspects. Hélas…

Libramont 2020 n’aura pas lieu ! Ce si grand « malheur » n’aurait-il pas, lui aussi, quelques bons côtés ?

Ainsi, songeons à l’empreinte écologique de la Foire. Sa grosse semelle écrase la pédale des gaz à effet de serre, des milliers de tonnes d’équivalent CO2 ! Quelque deux cent mille visiteurs rejoignent Liramont en voiture, disons cent mille véhicules, qui parcourent chacun 100 km aller-retour, ce qui représente, pour une consommation moyenne de 7 litres/100 km, sept cent mille litres brûlés. Si on prend une moyenne entre diesel et essence, un litre de carburant produit environ 2,5 kg de CO2, ce qui nous donne 1.750.000 kg ou 1.750 tonnes de CO2 envoyés dans l’atmosphère par les visiteurs de la Foire, chaque année ! Ce chiffre doit probablement être multiplié par deux, voire par trois, si on ajoute le CO2 émis par les véhicules des exposants et ceux des monteurs, si on comptabilise les énergies fossiles utilisées pour le fonctionnement général des infrastructures. Sans exagérer, la Foire de Libramont envoie chaque année dans l’atmosphère l’équivalent de cinq mille tonnes de CO2. Un hectare de forêt capte environ 10 tonnes de gaz carbonique chaque année. 500 hectares de bois sont donc nécessaires pour épurer l’air vicié par la Foire, et je n’ai pas tenu compte des particules fines émises par les moteurs diesel, du NO2 et des composés organiques volatiles…

Libra-non va donc éviter l’émission d’une bonne dose de GES et autres polluants : de ce côté-là, réjouissons-nous ! OK, mais songeons tout de même aux conséquences économiques ! Toutes ces ventes de matériel qui ne se feront pas ; tous ces emprunts post-posés et le manque à gagner pour les banques (voilà qui m’émeut, dirait la vache) ; tout cet argent qui ne changera pas de mains à toute vitesse, dans ce grand temple du veau d’or. Une maman agricultrice, proche de la retraite, m’a avoué être soulagée, car son mari et son garçon ne seront pas tentés cette année de s’endetter encore davantage par un investissement compulsif, par un achat impulsif consenti sous l’effet de boissons euphorisantes distribuées « généreusement » par les concessionnaires. C’est le point de vue personnel de cette dame, bien différent de celui de l’ouvrier de montage d’une usine de tracteurs ou de matériels agricoles, qui risque d’être mis au chômage économique si sa firme n’écoule pas sa production.

Songeons également aux nombreux jobistes, aux jeunes gens qui attendent la Foire pour trouver un petit travail et gagner quelques sous. Aïe, aïe ! Ceux-ci vont leur passer sous le nez, cet été-ci ! Une amie de ma fille y est allée lors de deux éditions, une première fois pour un job d’hôtesse, un boulot « pince-fesses » dit-elle, puis l’année suivante comme serveuse pour « donner à boire aux cochons » (sic), à l’Ardenne Joyeuse. Dur dur d’être jeune et jolie, harcelée à l’heure de Balancetonporc et de MeToo, car Libramont n’attire pas que des anges, qu’ils soient ministres, agriculteurs, ou simples citoyens. En ce qui la concerne, l’absence de Foire cette année ne la plonge nullement dans le désespoir, au contraire ! Les autres jobistes ne sont pas tous de son avis, bien entendu, et beaucoup regrettent amèrement ces petites rentrées d’argent, l’ambiance festive de Libramont, les rencontres amicales engendrées par ce genre d’événement.

Libra-oui, Libra-non. Rien n’est jamais ni tout moche, ni tout beau, cela se saurait ! À quelque chose, malheur et bon… La non-Foire de Libramont va faire une fleur à l’environnement, épargner beaucoup de frais aux services publics, à la gendarmerie, aux administrations. Elle va soulager pas mal de gens, leur éviter des désagréments bien réels, des angoisses, des migraines, des crises de foie et des indigestions. Hélas, elle va dans le même temps priver beaucoup de personnes d’un rendez-vous convivial, d’un moment de détente bien mérité, dans un lieu où les fermiers se sentent encore chez eux.

Ce n’est que partie remise… À l’an prochain pour de nouvelles aventures !

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