Développer les protéines végétales en Wallonie, une opportunité d’avenir pour ancrer davantage localement notre alimentation

S i l’on s’intéresse au contexte mondial et européen, on constate une augmentation de la consommation de protéines globales depuis les années 60 jusqu’à aujourd’hui. « L’augmentation de la consommation de protéines à destination humaine n’a pas cessé d’augmenter depuis des décennies avec une consommation de protéines végétales largement majoritaire, ce qui s’explique notamment par l’augmentation de la population mondiale qui doit encore croître de 2 milliards d’humains d’ici 2050 », explique Jorge Ercoli.

Et de préciser : « A en croire le rapport de la Commission Européenne sur le développement de ces filières, les protéines végétales sont les plantes riches en protéines dont la teneur en protéines brutes dépasse 15 % (oléagineux : colza, graines de tournesol et graines de soja ; légumes secs : haricots, pois, lentilles, lupins, etc. ; légumineuses fourragères : luzerne et trèfle, principalement) »

Le Graph. 1 montre la progression de la production mondiale des légumineuses de 1960 à 2020 avec et sans soja. La culture du soja étant proéminente sur les autres. Sans le soja, la progression des autres légumineuses est nette. Il faut toutefois diviser par un facteur 5 le tonnage du soja pour arriver à celui des autres pois secs par exemple.

Autre observation, les légumineuses récoltées en grains secs, et qui globalement sont des cultures traditionnellement importantes, ont stagné jusqu’aux années 2000. La raison ? La difficulté pour les agriculteurs d’avoir accès aux bonnes variétés. Ce n’est qu’à partir du début 2000 qu’une redynamisation de la productivité et des productions de ces légumineuses s’est fait sentir. On estime à +3 % l’augmentation de ladite production chaque année.

Et d’en venir à l’évolution des rendements moyens des principales légumineuses dans le monde entre 1961 et 2020. Si les rendements sont variables, trois légumineuses à grains se distinguent en termes d’importance : le soja, la féverole et le pois sec. La progression de leurs rendements est en augmentation depuis 60 ans, là où pour les autres l’évolution des rendements est moins notable.

Une dépendance

protéique européenne

La production et les surfaces de soja dans le monde ne cessent d’augmenter depuis des décennies. Et 87 % de cette production en 2020 se situe sur le continent américain que l’on soit au nord ou au sud de celui-ci. Quelque 9 % de celle-ci se situent en Asie, 3 % en Europe et 1 % en Afrique.

Et si 86 % de la production mondiale de ladite plante provient des 5 grands pays producteurs. Si les États-Unis et le Brésil tirent particulièrement leur épingle du jeu, l’Argentine est troisième suivie de l’Inde et de la Chine.

Quand on évoque la dépendance européenne aux importations de protéines, c’est surtout vis-à-vis du soja. Comme le Graph. 2 le montre, les légumineuses fourragères sèches sont autoproduites chez nous, les légumes secs et les complexes de colza consommés chez nous le sont majoritairement aussi.

Jorge Ercoli : « En 2017, il était estimé que sur les 27 Mt consommées, 17 MT sont importées, dont 13MT de soja (venant principalement, du Brésil, des Etats-Unis et de l’Argentine). La dépendance protéique européenne était donc évaluée à l’époque à 63 %. »

Pour François Héroufosse, il existe aussi une compétition grandissante avec des continents comme l’Asie. Comme la consommation de viande augmente dans d’autres régions du monde, le besoin de protéines augmente à destination du feed (alimentation animale). Et si la situation était jusqu’à présent confortable, elle risque de le devenir moins si on est davantage en concurrence.

Au niveau européen, l’un des objectifs du Green Deal est de réduire les amendements azotés de 20 %. C’est là que les légumineuses ont aussi un rôle à jouer. En Europe, les surfaces dédiées à la production de protéines végétales ne cessent d’augmenter malgré un effet yoyo. Le potentiel de développement de ces cultures est donc grand. Et les pays voisins comme la France l’ont bien compris. Selon lui, l’ambition wallonne se limiterait à terme à 15.000 ha.

Si l’augmentation de la production des protéines végétales en Wallonie est liée  à la culture de légumineuses en association, la production de féveroles et de pois  protéagineux est restée stable avec une moyenne de 500 ha plantés annuellement.
Si l’augmentation de la production des protéines végétales en Wallonie est liée à la culture de légumineuses en association, la production de féveroles et de pois protéagineux est restée stable avec une moyenne de 500 ha plantés annuellement. - J.V.

Des régimes alternatifs émergents

Si l’on s’intéresse à l’évolution des comportements alimentaires, l’émergence de régimes alternatifs comme le flexitarisme est notable. Ce dernier est davantage un mode de vie qui consiste à consommer moins de viande, sans y renoncer totalement, plus de végétal et plus d’alternatives aux protéines animales.

La proportion de flexitariens dans la population de certains pays européens est en augmentation. En 2018, une étude indiquait qu’11 % des Suédois et des Hollandais se disaient flexitariens (9 % en Allemagne, 5 % en Angleterre). Les principaux moteurs qui ont à l’origine de ces comportements alimentaires : le bien-être animal et l’environnement sont les raisons les plus déterminantes en Europe alors que l’aspect santé l’est davantage aux USA.

« Toutes ces évolutions sont bien évidemment suivies par les industriels depuis des années et qui se positionnent sur le marché de la protéine végétale. En Europe, c’est un marché qui se développe depuis une quinzaine d’années. On estime que 90 % des substituts de viande sont consommés par des flexitariens », explique M. Ercoli.

François Héroufosse abonde dans ce sens : « C’est un marché au niveau alimentaire en forte croissance, de l’ordre de 7 à 10 % par an. On parle d’un marché mondial de 40 milliards d’euros pour 2023. Le marché des aliments basés sur la protéine végétale devrait atteindre 162 milliards de dollars en 2030. Les tendances de consommation évoluent de façon très importante. En France, par ex, on constate une augmentation de 15 % de consommation sur 1 an ces dernières années. »

« Aujourd’hui, 24 % des Français se disent flexitariens, c’est un quart de la population. Peut-être ne le sont-ils pas, mais ils l’affirment. C’est déjà un signe ! » Et pour le directeur de Wagralim, l’enjeu à l’avenir est aussi de passer pour ces produits de l’imitation de produits carnés à la cuisine végétale à part entière.

Il prend pour exemple une tendance mondiale qui estime que sur les 872 millions de tonnes de protéines consommées globalement de par le monde en 2035, 97 millions t seront d’origine alternative sur seulement 13 millions t en 2020. C’est un pourcentage de l’ordre de 11 % (contre 2 % actuellement). Et si on détaille cette protéine alternative, qui couvre différentes possibilités, c’est la protéine végétale qui est la plus importante. »

« Nous avons en Europe une chaîne de valeur qui implique de gros joueurs dont certains chez nous en Wallonie », ce qui signifie pour le directeur du pôle de compétitivité qu’il existe de réelles opportunités de développement. » Nous reviendrons sur celles-ci dans un prochain article.

P-Y L.

La Wallonie tire la production de protéines végétales belges depuis 2015

En Belgique, la région qui produit la majorité des légumineuses n’est autre que la Wallonie (77 % contre 22 % en Flandre et 1 % à Bruxelles)

Jorge Ercoli, alors chargé de projet à la Fwa, voit autre chose : 23 % des légumineuses produites chez nous sont récoltées en grains secs (20 % pour les légumineuses fourragères, 57 % légumes frais (petits pois + haricots verts).

Depuis 2015 c’est principalement la Wallonie qui tire la production de ces légumineuses récoltées en grains secs. On est en effet passé de près de 2.000 ha plantés en 2015 à près de 6.000 ha en 2021.

L’augmentation observable chez nous est liée à la production de légumineuses en association, des mélanges de protéagineux (d’hiver, +270ha, et de printemps, + 440ha) et de céréales.

À noter que la production de féveroles et de pois protéagineux est restée stable avec une moyenne de 500 ha plantés annuellement. « Les autres légumineuses et non légumineuses comme le lin oléagineux, le quinoa et le sarrasin ne représentent finalement pas grand-chose encore en termes de surface en Wallonie », analyse-t-il.

À 80 % d’autonomie protéique

En estimant les rendements théoriques des cultures sur base des superficies plantées, voici l’estimation de production brute de protéines végétales en Wallonie. En 2020, 643.366 tonnes ont été produites.

Plus de 60 % des protéines végétales wallonnes proviennent des prairies permanentes et temporaires et 35 % des céréales (+maïs).

Moins de 1 % provient de légumineuses grains. Pour M. Ercoli, cela est dû à la limitation des surfaces emblavées dans notre région.

Si on met ces chiffres de production en lien avec les besoins en protéines théoriques de l’élevage wallon, à savoir 767.678 t, nous ne sommes finalement pas si loin d’atteindre une autonomie protéique théorique (80 %). C’est essentiellement dû à l’importance de l’élevage bovin et son lien au sol.

Quid de notre consommation ?

À en croire un rapport de l’Apaq-W dans le cadre de son observatoire sur la consommation :

– 32 % des sondés pensent que leur consommation de produits d’origine animale va diminuer(66 % rester identique et 2 % augmenter) ;

– 32 % pensent que leur consommation de produits d’origine végétale va augmenter (64 % rester identique – 4 % diminuer).

Les profils davantage orientés vers ce changement de mode de consommation à l’avenir sont les consommateurs de produits d’origine végétale, les femmes, les 18-34 ans, les consommateurs du bio, les habitants des grands centres, les ménages de 3 personnes et +…

Près d’¼ de la population de personnes interrogées se dit très fortement intéressée par les alternatives végétales et d’origine wallonne. Des tendances qui confirment les opportunités de développement pour l’Agro-industrie mais aussi pour les producteurs qui pourront bientôt se voir aidés par la nouvelle Pac s’ils choisissent de s’orienter dans la production desdites protéines.

Des nouveautés dans la future Pac

Il n’existe pas de mesure spécifique à la promotion des cultures riches en protéines dans la Pac telle qu’elle est configurée et appliquée actuellement en Wallonie. Toutefois, il existe deux outils à travers lesquels ce type de production peut être favorisé :

– dans la MAEC « Cultures favorables à l’environnement », deux variantes sont possibles, à savoir mélanges céréales-légumineuses (PPP Interdits, fertilisants limités) et légumineuses fourragères (insecticides interdits).

– dans les Surfaces d’Intérêt Ecologique – SIE, deux solutions possibles, à savoir les surfaces portant des plantes fixant l’azote (légumineuses) et les couvertures hivernales (cultures

dérobées) avec des mélanges comprenant des légumineuses.

Dans la nouvelle pac 2023-2027, on note également :

– une nouvelle aide couplée spécifique au secteur des protéines végétales (première aide couplée en productions végétales) ;

– un système d’éco-régimes pour des cultures favorables à l’environnement. Le principe est identique à celui des MAEC sauf que l’engagement est ici annuel, issu du 1er pilier.

P-Y L.

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