Dans ce contexte, on peut bien évidemment parler du projet de la sucrerie de Seneffe. Un projet qui ne se résume pas à un choix entre la peste et le choléra (pour citer un autre dicton) ou à la question de savoir si les betteraves seront payées quelques euros/tonnes de plus qu’ailleurs. Ça va beaucoup plus loin que ça, c’est une opportunité d’offrir à notre descendance une alternative au système actuel et un réel avenir dans le métier, une profession qu’ils seront encore heureux d’exercer.
Aujourd’hui, l’union fait l’industrie
Pour vivre de notre métier, nous devons vendre nos produits agricoles. Pour ce faire, nous nous adressons à des interlocuteurs – souvent des industriels, parfois des transformateurs à taille plus humaine – qui se sont rendus indispensables. L’industrie est cloisonnée par secteur d’activité et les différents interlocuteurs que nous rencontrons pour chacun d’entre-eux sont tous regroupés (fédérés) au sein d’une seule structure.
En vrac, les quelques structures qui nous concernent en tant qu’agriculteurs ont pour noms FEGRA (qui regroupe depuis peu Synagra et Imexgra, pour l’industrie de la céréale), Belgapom (pour l’industrie de la pomme de terre), la Confédération des Betteraviers Belges (CBB) pour l’industrie sucrière, VEGEBE (pour l’industrie des légumes), la Confédération belge de l’industrie laitière (CBL) pour le secteur du lait, la Fédération belge de la Viande (FEBEV) pour le secteur de la viande, etc. Je vous invite à consulter les sites internet de ces différentes structures car ils sont instructifs à plus d’un titre : on peut notamment y apprendre qui elles représentent et quelles sont leurs missions, sans oublier les liens qu’elles entretiennent avec d’autres structures régionales, nationales, voire internationales.
La plupart des structures citées renvoient à la Fédération de l’industrie alimentaire belge (FEVIA), qui représente 700 entreprises belges réparties dans 26 secteurs et travaille en étroite collaboration avec 27 fédérations qui représentent chacune un secteur spécifique de l’industrie alimentaire (plus de 50 milliards d’euros de chiffre d’affaires, plus de 90.000 emplois directs et plus de 140.000 emplois indirects). Pour l’anecdote, le président de Fevia Wallonie n’est autre que monsieur Guy Paternoster. Ceci dit, un tel regroupement permet à toutes ces entreprises de mieux travailler et aucun reproche ne peut leur être adressé pour cela. Il faut rester objectif et avoir l’humilité de reconnaître que l’union fait leur force ! Néanmoins, avez-vous bien conscience que cette union fait aussi leur force auprès du monde politique lorsque celui-ci doit choisir entre la défense des intérêts unifiés de l’industrie ou des intérêts dispersés des agriculteurs ?
Et la réalité agricole ? En tout premier, les céréales…
Betteraves : qu’y a-t-il encore à perdre ?
En dépit de cette évolution négative,
Pomme de terre : après le cheval de trait, le cheval de Troie
En légumes ? Un plafond quand ça va bien !
Les légumes, une autre culture à haute valeur ajoutée, sauf quand ça ne va pas… Alors là, les pertes aussi peuvent être à haute valeur ajoutée et, a contrario, lorsque ça va bien ou même très bien, un plafond limite le revenu !
L’agriculteur détermine le type de légumes, enfin si l’industrie le veut bien (aujourd’hui, elle impose de mettre des pois pour avoir accès à des haricots…). L’industrie détermine non seulement la variété, mais aussi et surtout les dates de plantations et de récoltes avec son propre entrepreneur, en fonction du passage dans la région.
À noter que le site de VEGEBE et INAGRO stipule noir sur blanc que s’il y a un litige dans un contrat, les deux parties s’engagent à ne pas aller au tribunal civil parce qu’une cour d’arbitrage est mise en place. Il en est de même dans Belgapom pour les pommes de terre.
Cependant, l’agriculteur est toujours libre de ne pas en mettre, sauf s’il a trop investi et que ses charges ont dépassé le seuil de rentabilité de la céréale, ce qui est souvent le cas !
Et le bétail et le lait ?
N’étant pas dans ces 2 secteurs d’activités, je m’abstiendrai de les développer pour ne pas dire des choses inexactes. Je fais cependant confiance aux éleveurs concernés pour réaliser leur propre analyse des contraintes et opportunités qui leur sont offertes au quotidien.
Individualistes et amorphes
Devenons acteurs responsables !
Pour ce qui est de l’industrie, il me semble évident que le projet fait peur. Il va bien au-delà de la question d’un paiement plus cher de la betterave. Il vise à ramener une marge bénéficiaire dans nos fermes et pourrait être le début d’une transformation du paysage agricole.
L’étincelle qui met le feu aux poudres…
Les agriculteurs pourraient prendre leur destin en mains dans d’autres secteurs de leur activité, en faisant preuve d’une solidarité qui n’existe pas aujourd’hui. Le projet fait grincer des dents parce qu’il va dans le bon sens et pourrait être source d’inspiration pour d’autres spéculations. Si le projet aboutit, il montrerait à toute l’industrie qu’il est possible de mieux nous payer pour nos produits, qu’il y a une alternative à leurs contrats inacceptables et que nous sommes capables de faire ce qu’elle n’est pas capable ou ne veut pas nous offrir. À ce titre, l’initiative sert seulement les intérêts des agriculteurs tandis qu’elle pourrait nuire aux intérêts d’un système en place s’enrichissant sur le dos des agriculteurs ! Qui d’autre(s) que les agriculteurs voudrait (ent) voir le projet aboutir ?
Cette peur explique-t-elle par exemple que nous recevions depuis deux ans une carte de voeux de la RT ou que ses agronomes sont aux petits soins pour les doléances des agriculteurs ? Posez-vous la question, vous aurez la réponse…
Aux inquiétudes des agriculteurs, je répondrais…
Pour ce qui est des critiques des agriculteurs, elles sont de différents types.
Il y a ceux qui reculent devant la longueur de l’engagement, 10 ans. Mais alors, que dire de ceux qui ont contracté un emprunt sur 15 ans pour construire un bâtiment de stockage ou un frigo à légumes sans savoir combien ils toucheraient pour leurs produits durant toutes ces années, ou des éleveurs laitiers qui ont investi dans une étable et un robot de traite sans aucune certitude quant au prix du lait, ou encore de ceux qui font de l’entreprise et achètent une intégrale ou une ensileuse sans aucune garantie de travailler un nombre d’hectares suffisants ?
Apporter sa pierre à l’édifice, selon ses moyens
Nous sommes aujourd’hui 1.293 agriculteurs à avoir souscrit à l’offre publique en parts sociales pour la sucrerie de Seneffe. Cela a permis de rassembler plus de 39 millions d’euros pour plus d’1 million de tonnes de betteraves en contrat. C’est du jamais vu dans le monde agricole et cela représente déjà près de 70 % de l’objectif fixé pour que le rêve un peu fou se concrétise.
Une nouvelle période de souscription est ouverte pour réunir au moins les 30 % manquants. Cet appel s’adresse aux 30.000 agriculteurs -betteraviers ou non- que nous sommes encore aujourd’hui, sans exception et aux mêmes conditions pour tous, ce qui n’est pas toujours le cas.
Ce qui nous est demandé, ce n’est certainement pas d’investir dans la nouvelle sucrerie de façon irréfléchie au point de mettre notre exploitation en danger. Non, ce qui est demandé aux nombreux indécis désormais bien informés, c’est de mettre leur petite pierre à l’édifice selon leurs moyens. J’espère en tout cas les avoir convaincus de le faire. Même si le projet n’est pas exempt de tous risques (mais c’est tout simplement le propre de notre métier), le jeu en vaut certainement la chandelle.
Nous sommes dans la dernière ligne droite. Encore un dernier coup de rein pour franchir la ligne. Ayez confiance en vous. Ayez conscience que si individuellement, nous ne sommes pas grand-chose, votre engagement, aussi petit soit-il, dans ce projet commun permettra de réaliser de grandes choses pour notre agriculture d’aujourd’hui et de demain, parce que l’union fait NOTRE force !