Un revenu correct pour

toutes les filières

« 10 ans après les épandages de lait, nous sommes de retour sur le même champ. Un pari un peu fou mais réussi ! Le mouvement est même devenu européen puisque nos collègues allemands, luxembourgeois et français sont également présents », annonce d’emblée Guy Francq, agriculteur et président du MIG.

Pour des prix qui garantissent un revenu

Par cette action, l’association voulait marquer le coup mais aussi appeler à la solidarité et fédérer tous les secteurs. La Fugea (Fédération Unie de Groupements d’Éleveurs et d’Agriculteurs), mais aussi des représentants des filières viande bovine, betteraves sucrières, avicole et biologique étaient présents. « Quel que soit le secteur, il est primordial que nous connaissions nos coûts de production et que nous puissions y ajouter un revenu correct. Notre revendication est simple : on veut bien travailler mais on ne doit pas simplement nous considérer comme des fournisseurs de matières premières », dit Guy Francq. « Après la guerre, on nous a demandé d’être des « producteurs » mais je ne sais pas si ce modèle à encore du sens. Les jeunes agriculteurs patinent et la pression du monde moderne, les charges et les difficultés de notre métier sont clairement méconnues des consommateurs. On doit se mobiliser pour faire bouger tout cela ».

Appel au boycott

Erwin Schöpges, président de l’EMB (European Milk Board, représentant les producteurs laitiers européens), le dit : « On est tous dans le même bateau. Aujourd’hui, ce n’est pas la fin, c’est le début. On va continuer le combat, on veut sortir le monde paysan de son isolation et montrer ce qui se passe chez nous ». En son nom personnel, il appelle également le citoyen à soutenir les agriculteurs et à boycotter les projets de dumping qui les mettent sous pression. « En tant que consommateurs, vous avez également une responsabilité. Seuls, nous n’arriverons pas à faire pression sur la grande distribution. Boycottez les aliments étrangers. L’industrie doit avoir peur de nous car nous sommes capables de nous mobiliser. Nous le ferrons encore car, pour les jeunes et les générations futures, il est de notre devoir de sauvegarder l’agriculture paysanne et nos paysages ».

Non aux accords de libre-échange

« Dix ans plus tard, rien n’a changé », a déploré de son côté Philippe Duvivier, président de la Fugea. « En 2009, nous dénoncions déjà les prix bas et la passivité du monde politique. Aujourd’hui, nous sommes toujours victimes de la volatilité des prix et ce, dans tous les secteurs. À cela s’ajoutent les accords de libre-échange qui mettent les producteurs européens sous pression et laissent entrer sur notre territoire des produits qui ne respectent pas les mêmes normes sociétales et environnementales que nous ».

Pas responsables de tous les maux

En tant que représentant de la Fédération nationale du commerce de bétail, Benoît Cassart a rappelé que les agriculteurs faisaient vivre, en amont et en aval, une série de professions concernées par les enjeux agricoles actuels. Il a fait part de la révolte et la frustration de la filière bovine quant à la crise qu’elle subit : « Les prix sont identiques à ceux des années ‘80 et, si on tient compte de l’inflation, ils peuvent même être divisés par deux ou trois. Le pouvoir d’achat des agriculteurs diminue tous les jours. D’autre part, si le brexit se concrétise, on perdra encore un débouché, il est donc hors de question d’accepter l’importation de viande étrangère en Europe dans ces conditions. Enfin, que ça soit les vaches ou les agriculteurs, nous ne sommes pas responsables de tous les maux du monde. On ne peut accepter de toujours êtres les dindons de la farce lors des négociations politiques. Les ministres doivent nous aider à revaloriser l’agriculture conventionnelle comme biologique ».

Le bio également dans la tourmente

De son côté,Dominique Jacques, président de l’UNAB (l’Union Nationale des Agrobiologistes Belges) a précisé que le secteur bio était dans la même tourmente que le conventionnel. « C’est l’industrie qui prend le dessus et décide de tout. On cherche à nous diviser pour mieux régner ».

Un scénario qui se répète

Le président de l’ABW (l’Association des Betteraviers Wallons), Bernard Mehauden a également pris la parole. « Le scénario de la fin des quotas laitiers se reproduit pour le sucre avec une chute des prix résultant de l’augmentation de production voulue par nos industriels. Le prix des betteraves étant lié au prix du sucre sans filet de sécurité, il en résulte un revenu nul voir négatif pour les betteraviers. Cela a de graves conséquences sur la viabilité des exploitations et les accords du Mercosur viennent aggraver la situation puisqu’ils vont permettre une mise en concurrence au niveau mondiale, une concurrence déloyale qui ne respecte pas les normes européennes plus strictes ». Il ajoute, « Nous subissons une pression sur les prix mais aussi une pression de la société civile. L’agriculteur vit tous les jours avec l’environnement et est conscient de son impact mais le contexte économique ne nous permet pas de nous en passer complètement de certains intrants. L’agriculture revêt toutes sortes de formes et chacune d’elles à sa place. Toutes nos productions doivent être payées à leur juste valeur, à un prix équitable. Pour ce faire, certains se retroussent les manches et abordent le problème sous un autre angle, c’est le cas notamment de Fairebel mais aussi du projet de nouvelle sucrerie à Seneffe ».

De nouveaux projets pour reprendre la main

Un projet que décrit David Jonckheere, administrateur de la Coopérative des Betteraviers Transformateurs dont certains membres s’étaient également mobilisés : « Nous sommes plusieurs agriculteurs à avoir réfléchi à une solution pour améliorer la condition des betteraviers. Nous avons estimé que cela passait par la création d’une nouvelle coopérative et la mise sur pied d’un projet durable et équitable, propriété des agriculteurs. Notre sucrerie se veut durable environnementalement et économiquement, elle incorporera dans le prix de la betterave la marge de transformation en sucre. Les industriels nous considèrent comme de simples fournisseurs et font des économies sur notre dos. C’est fini ce temps-là, nous devons être rémunérés à un prix correct quelle que soit la production ».

Le soutien des consommateurs

Enfin, Oxfam ainsi que des groupements de consommateurs participaient également au mouvement. « Les problèmes soulevés ne concernent plus seulement les producteurs. Dans les villes, nous sommes de plus en plus à combattre les responsables du modèle en place : les multinationales et les politiques qui les écoutent. Les modèles alternatifs qui naissent ne sont pas les ennemis de l’agriculture conventionnelle. On veut travailler ensemble, pour une alimentation solidaire qui recrée des alliances entre nous », dit l’un des membres de Agroecology in action.

Pour clôturer la journée, des agriculteurs ont versé, les uns après les autres, des cruches de lait dans une grande cuve placée au centre d’un bac aux couleurs européennes, le tout symbolisant la surproduction de lait aux niveaux belge et européen. Ensuite, tout aussi symboliquement, une délégation a déposé une gerbe de fleurs devant la stèle érigée le long de la N97 à Ciney, en souvenir de l’action d’épandage du 16 septembre 2009. Le Mig et l’EMB avaient alors décrété une « grève du lait » et des centaines de producteurs s’étaient rassemblés à Ciney pour déverser dans un champ plus de trois millions de litres de lait, une action qui avait marqué les esprits.

Propos recueillis par DJ

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