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Collaborer pour lutter contre les peurs alimentaires

La vente de produits issus de l’agriculture biologique est en hausse chaque année car le consommateur craint pour sa santé. Pourtant, certaines angoisses sont montées de toutes pièces par intérêt : c’est la fabrique de la peur ! Bio et conventionnel peuvent – et doivent – cohabiter pour lutter contre le gaspillage alimentaire. Au coeur de cette union qui profite à tous semblent se trouver la communication et le partenariat.

Temps de lecture : 10 min

Le nouveau président de Phytofar, Damien Viollet, a mis à profit ses 25 années d’expérience pour analyser l’évolution des marchés. Il observe actuellement 3 tendances, qu’il a présentées en introduction de l’assemblée générale de l’association.

Premièrement, le consommateur d’aujourd’hui désire disposer d’un choix dans le mode de production : pouvoir acheter des légumes low-cost, ou bien si l’envie lui prend, des produits bio, et puis plus tard, peut-être des produits issus d’une agriculture raisonnée. « Nous avons tendance à essayer de donner des leçons au consommateur, mais il faut plutôt l’accompagner et lui apporter les solutions qu’il désire », explique-t-il.

De l’importance de la coopération

Une deuxième nouveauté de ces dernières années est que l’agriculture se complexifie, notamment avec de nouvelles technologies. « Dans notre domaine qu’est la protection des plantes, on observe différents modes de protection voir le jour, et le développement des biocontrôles et de la génétique. Même si nous sommes concurrents, ou bien pas forcément complémentaires, je pense qu’il ne faut pas rester chacun dans son coin, mais que l’heure est au partenariat, pour suivre cette évolution. »

« Enfin, une troisième tendance que j’observe est celle de la traçabilité. À l’avenir, il sera normal pour le consommateur de scanner un produit avec son téléphone, et d’en obtenir toutes les informations. » Une transition digitale est donc en train d’avoir lieu, et une adaptation du secteur doit s’effectuer. Pour Damien Viollet, si l’étape digitale n’est pas infranchissable, il est là encore besoin de faire preuve de collaboration, de travailler ensemble pour répondre à la demande future.

Gil Rivière-Weikstein est l’auteur du livre « Panique dans l’assiette ». En tant que Français, il ne connaît pas très bien les détails de l’agriculture en Belgique, mais son exposé de la situation française semble présenter de nombreuses similitudes avec ce qui se passe chez nous.

Manger = danger ?

« Historiquement, l’agriculteur était un réducteur de risques », entame-t-il, « car la famine représentait un risque conséquent pour la société. » Mais aujourd’hui, l’agriculteur est présenté comme un créateur de risques, puisque le consommateur ne sait plus ce qu’il peut encore manger sans danger : le poisson est plein de mercure, les charcuteries provoquent le cancer, les fruits sont bourrés de pesticides, etc.

En France, 60 % des personnes interrogées sont préoccupées par les risques de l’alimentation sur leur santé. Mais pourquoi ? Certaines craintes sont légitimes. Les guerres que nos parents ou grands-parents ont bien connues ont laissé l’empreinte d’une peur de la pénurie. Redouter une intoxication alimentaire est réaliste : il existe plus de 300.000 végétaux sur notre planète, mais une centaine seulement peut être consommée en l’état sans risque de toxicité. En France toujours, entre 230 et 360 décès par an sont dus à une intoxication alimentaire. Il faut rajouter à ces chiffres entre 16.000 et 21.000 hospitalisations, et entre 1,2 et 2,2 millions d’intoxications en tout, par an.

Pourtant, dans les années 60, le nombre de décès s’élevait à plus de 4.000 cas par an ! Et cette amélioration provient principalement de l’industrialisation des processus. L’histoire de la crise alimentaire des concombres espagnols, qui avait fait une cinquantaine de morts il y a quelques années est parlante : les bactéries provenaient en fait de graines germées allemandes, issues d’une agriculture biologique et locale.

Atmosphère anxiogène

Une nouvelle peur a fait son apparition : manger tue ! « C’est répondre à cette nouvelle angoisse qu’il faut faire quand le monde agricole communique auprès du grand public. », explique Gil Rivière-Weikstein. « C’est une peur tout à fait illégitime, mais elle est entretenue par environ 80 émissions anxiogènes sur le sujet par an. Cela équivaut à une émission tous les 3 jours ! ».

Et si ces émissions fonctionnent, c’est à cause du « syndrome de la boîte de conserve ». « On ne sait plus ce qu’il y a dans notre alimentation. Dans un steak vegan bio, il y a une cinquantaine d’intrants inconnus du consommateur », raconte-t-il. « Les gens n’ont pas envie de cuisiner, alors ils achètent des produits transformés. Mais ils les désirent sans OGM, sans gluten, sans sucre, sans… pesticide ! Alors pour vendre, on propose des produits étiquetés « sans pesticide ». Mais cela fait du mal à la profession, car pour certains ça officialise et vérifie le fait que les produits « avec pesticides » étaient mauvais. »

C’est ainsi que tourne la fabrique de la peur. Et celle-ci est utile à plusieurs groupes. Les altermondialistes en profitent pour faire passer leurs messages politiques. Les politiciens, eux, récupèrent les peurs de leurs concitoyens pour mettre en place des politiques rassurantes mais souvent inutiles afin de gagner des opinions positives, comme l’a fait Emmanuel Macron en envoyant un tweet à propos du glyphosate. Certaines ONG usent de la fabrique de la peur pour collecter des fonds. Et enfin, certaines nouvelles filières alimentaires surfent sur les peurs du consommateur. « Le marché sans gluten a pris son essor récemment, grâce aux nombreuses personnes persuadées d’y être intolérantes, alors que c’est faux. La marque « Biocoop » a réalisé des campagnes publicitaires dans le but de faire craindre au public l’agriculture conventionnelle, et ainsi booster les ventes des produits biologiques. Ils se sont acquittés d’une amende de 30.000€ pour ça, mais les bénéfices récoltés étaient évidemment largement plus élevés. »

Lutter contre la fabrique de la peur

Alors que faire, contre tout ça ? Gil Rivière-Weikstein a des propositions : « Il faut expliquer que ces peurs alimentaires sont fausses et créées de toutes pièces. Les gens ne veulent pas de pesticides car ils ne veulent pas de cancer, mais personne ne veut de cancer ! Il faut donc rassurer le consommateur en lui expliquant que ce n’est pas parce qu’il y a des pesticides qu’il va forcément attraper des maladies. Et pour toucher le plus grand public possible, les réseaux sociaux sont une belle solution. »

« Les réseaux sociaux sont importants aujourd’hui car tout le monde se pense scientifique, donc plus personne ne croit ceux qui le sont véritablement. On ne croit que ce qu’on veut bien, mais on croit aussi ses amis, qu’on soit d’accord avec eux ou non, car ils n’ont aucune raison de mentir. C’est comme ça qu’une petite capsule vidéo ou une image avec une information simple peut très vite se répandre sur internet. »

Pour conclure, Gil Rivière-Weikstein déclare : « Il y a deux dindons de la farce avec la fabrique de la peur : l’agriculteur qui n’arrive plus à vendre ses bons produits, et le consommateur qui paie inutilement plus cher. Ce sont tous les acteurs de la chaîne qui doivent arrêter de nourrir les peurs alimentaires. Comme le disait Damien Viollet, l’heure est au partenariat, il faut faire front tous ensemble. »

Prévenir la perte et le gaspillage alimentaire

Un défi pour le secteur est de prévenir la perte de nourriture dans le secteur primaire, mais aussi le gaspillage alimentaire dans d’autres maillons de la chaîne et jusqu’au consommateur. Cependant, la prévention n’est pas facile à un moment où de nombreux produits de protection sont retirés du marché. Veerle Mommaerts, experte en développement durable chez Bayer, est d’avis que cela nuit au secteur : « Nous perdons des solutions, alors qu’elles jouent un rôle dans la qualité et la quantité de nos aliments. Grâce à ces produits, nous pouvons répondre aux exigences de la chaîne alimentaire. C’est comme les médicaments chez les humains. Si vous les enlevez, la santé de beaucoup de gens se détériorera. »

Du gaspillage alimentaire à l’importance des réseaux sociaux,  de nombreux sujets ont été débattus avec beaucoup d’intérêt pour le public.
Du gaspillage alimentaire à l’importance des réseaux sociaux, de nombreux sujets ont été débattus avec beaucoup d’intérêt pour le public. - J.D.

La question qui se pose est donc de savoir si nous en utilisons trop. Pas d’après Romain Cools, secrétaire de Belgapom. « De nombreuses améliorations ont déjà été apportées dans le secteur. Nous faisons examiner de nombreux échantillons, et ces données sont communiquées en toute transparence avec l’AFSCA. Nous retrouvons très peu de résidus ou même rien du tout. De plus, Vegaplan doit aider à contrôler et gérer les choses », explique-t-il. Et Veerle Mommaerts de rajouter : « La sécurité alimentaire est garantie par l’AFSCA et la législation. Les chiffres ne mentent pas : 98 % de notre nourriture est conforme à cette législation. Nous encourageons également les bonnes pratiques agricoles et suivons les mesures adéquates. »

À d’autres niveaux de la chaîne, des efforts sont déployés pour prévenir le gaspillage alimentaire. Pour le secteur de la pomme de terre et le secteur de la transformation des légumes, par exemple. Une partie de la solution au gaspillage alimentaire réside dans l’utilisation de petits emballages. « À partir du moment où les pommes de terre présentent un germe ou une légère décoloration, les tubercules sont déjà jetés, ce qui n’est pas justifié. C’est moins le cas avec des emballages plus petits qui contiennent moins de pommes de terre », explique Romain Cools.

Cohabitation des spéculations

Pour l’agriculteur Jean-Pierre Van Puymbrouck, même si de plus en plus d’agriculteurs se tournent vers le bio, ce n’est pas une solution unique. « J’ai moi-même tenté le bio puis en suis revenu. », dit-il. « Mais je respecte le voisin qui en fait. Les deux spéculations doivent cohabiter pour que tout le monde, y compris le consommateur, y trouve son bonheur. »

« J’ai arrêté car, de mon expérience personnelle en pommes de terre, seule 60 % de la terre était récoltée à cause du mildiou. C’est du gaspillage alimentaire à mes yeux, puisque cette terre est entièrement cultivée toute l’année. De plus, le nettoyage de la parcelle à la main représente une sorte « d’esclavage » et un retour en arrière. » Pour l’agriculteur, il y aura toujours des pertes, avec les tubercules difformes ou verts, mais si les pommes de terre sont mal conservées, il s’agit bien de gaspillage alimentaire car nous possédons les compétences agronomiques pour éviter ce genre de désagrément.

Jean-Pierre Van Puymbrouck demande aussi aux détracteurs des produits phyto d’être réalistes. Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de mildiou durant une très bonne année avec une belle météo qu’il est possible de travailler sans fongicide chaque année.

Selon lui, pour informer au mieux le grand public, il est important que lui et ses collègues ouvrent les portes de leurs exploitations afin de faire comprendre à chacun le parcours nécessaire pour commercialiser des produits de qualité. De plus, les étudiants qui sont les politiciens de demain, créateurs des futures lois, ont également besoin d’être mieux informés sur l’agriculture.

La nécessité d’informer

Les consommateurs sont plus enclins à acheter du bio parce que cette alimentation est censée être sûre. Les gens veulent savoir ce qu’ils ont dans leur assiette et comment c’est produit. En outre, ils veulent maintenir le luxe d’avoir toute une diversité dans les rayons. « Cependant, les gens doivent se rendre compte que tout cela peut se faire grâce à l’utilisation de produits phytosanitaires », explique Inge Arents de Flanders Food.

Une communication transparente semble être la solution et constitue le fil rouge du débat. Les médias sociaux jouent un rôle important, mais l’industrie veut aussi participer à son niveau dans ce domaine. Même si cela n’est pas toujours facile, selon Veerle Mommaerts : « En tant qu’industrie, nous voulons contribuer, mais en termes de crédibilité envers les gens, c’est difficile : nous parlons du point de vue de l’industrie de la protection des cultures. Nous essayons de participer autant que possible aux discussions et de répondre à de nombreux articles. Bien que les entreprises soient en concurrence, nous désirons un renforcement de la coopération pour travailler sur des systèmes agricoles durables. »

Sami Hemdane de Comeos est d’accord, mais il ajoute qu’il y a un danger dans les médias sociaux : « Tout le monde peut communiquer via les réseaux sociaux. Le consommateur reçoit beaucoup d’informations différentes, ce qui le rend confus. » Il indique également que le commerce de détail devrait avoir son rôle dans la communication. « Le problème est que chaque supermarché veut se diversifier. L’un fait une application, l’autre les calendriers saisonniers. En fait, la solution est également la collaboration, et donc la création de partenariats. »

J.D.

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