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Une station de biométhanisation à Taverneux pour produire électricité, chaleur, Bio CNG et boucler la boucle!

Nouveau type de station de biométhanisation, réseau de chaleur, pompe de Bio CNG… La famille Jonkeau, de Taverneux, peaufine les derniers réglages de sa nouvelle installation avant leurs portes ouvertes qui se tiendront les 5 et 6 octobre prochains. Rencontre avec Éric et son fils, Pierre-Olivier, qui nous présentent toutes les étapes de la réflexion d’un projet dimensionné à l’échelle de leur exploitation.

Temps de lecture : 9 min

Infatigables bosseurs, Éric Jonkeau et son fils sont à la tête d’un cheptel de près de 1.000 têtes. « Nous trayons annuellement 150 vaches laitières, nous «vêlons» 200 vaches Blanc-bleu, avec engraissement de tous les taureaux. » Par ailleurs, depuis 2012, Éric a repris une ferme bio dans laquelle il élève, tous deux en bio, un troupeau salers ainsi que des porcs qu’il écoule dans la filière PQA.

Une stabulation à double étage

La première étable a été construite sur caillebotis en 1999 afin qu’une seule personne puisse s’occuper du troupeau laitier. « À l’époque, on avait déjà une très bonne génétique. Nous remplissions notre quota de 400.000 l avec seulement 50 vaches. » Le troupeau a grandi, les quotas sont tombés. « Nous sommes montés jusqu’à 60 vaches avant de passer à 100 en 2015-2016. Nous voulions miser à cette époque sur les petites stations de biométhanisation mais pour ce faire, il nous fallait le lisier d’au moins 120 vaches. D’où l’agrandissement de l’étable avec une attention particulière au confort des laitières, par le biais de bons matelas, d’une ventilation ainsi que d’une luminosité optimales. »

La prolongation de l’ancienne étable a permis à l’éleveur de repenser totalement le bien-être de ses laitières. Espace, ventilation, luminosité, confort des logettes... Tout est mis en oeuvre pour améliorer la production laitière.
La prolongation de l’ancienne étable a permis à l’éleveur de repenser totalement le bien-être de ses laitières. Espace, ventilation, luminosité, confort des logettes... Tout est mis en oeuvre pour améliorer la production laitière. - P-Y L.

Depuis que l’étable est finie, les vaches ne sortent plus car l’éleveur a besoin d’un maximum de lisier. Avec un tel cheptel, les superficies pâturables derrière l’étable sont clairement insuffisantes. L’éleveur préfère donc ensiler et leur préparer une bonne ration complète toute l’année.

Aujourd’hui, les 150 productrices ont tout ce qu’il faut pour que la production reprenne au mieux, que ce soit en termes de bien-être animal ou d’alimentation. En effet, la nouvelle extension de l’étable est opérationnelle depuis seulement 10 mois. « Le chantier n’a pas aidé à maintenir la production laitière à son plus haut niveau. On tourne aujourd’hui autour de 9.000 l grâce à une ration économique et des vaches qui tiennent la route. Nous nous attendons à voir notre production dépasser le 1,35 million de litres annuels quand tout sera revenu à la normale. »

En agrandissant l’étable des laitières, le dénivelé leur a permis de réaliser deux étages. Si les laitières sont au +1, au niveau du sol, c’est une stabulation sur paille qui accueillera les Blanc-bleu en hiver. « Nous avions trop de volume pour la fosse à lisier, nous avons donc décidé de construire une cave qui pourrait accueillir des machines, mais l’espace nous a semblé adéquat pour y mettre des bêtes. » Toutefois, si le commerce pour cette spéculation continue d’aller de mal en pis, la structure pourrait accueillir un robot de traite et 60 laitières supplémentaires.

En prolongeant l’étable, les Jonkeau se sont rendus-compte que l’espace en «sous-sol» pourrait accueillir des bêtes.  S’il est prévu d’y détenir des blanc-bleu sur pailles, il n’est pas impossible d’y voir un jour des laitières ainsi qu’un robot de traite.
En prolongeant l’étable, les Jonkeau se sont rendus-compte que l’espace en «sous-sol» pourrait accueillir des bêtes. S’il est prévu d’y détenir des blanc-bleu sur pailles, il n’est pas impossible d’y voir un jour des laitières ainsi qu’un robot de traite. - P-Y L.

Viser l’autonomie fourragère

« Avoir une étable sur caillebotis et des laitières haute productrices « soignées en limite acidose » nous a poussé à faire nos recherches sur la biométhanisation, d’où de voyages nombreux vers l’Allemagne, la France et le Grand-Duché de Luxembourg », nous confie Éric. Il se dit déçu par les systèmes en maïs et céréales car ne correspondent pas à ses valeurs. « Avec le nombre d’animaux que l’on a, on est toujours à la recherche d’aliments, ce n’est pas pour les valoriser en biogaz », explique l’éleveur, qui vise l’autarcie alimentaire depuis quelques années.

« Nous produisons toutes les céréales et le maïs pour nos animaux. Nous avons une centaine d’ha de prairies permanentes et nous réalisons des rotations pour optimiser les semis de ray-grass. On alterne maïs-céréales (épeautre, triticale et avoine) car bien adaptées à l’Ardenne et nous permettent d’être quasi autonomes en pailles. »

Et de poursuivre : « Supprimer les intermédiaires et fabriquer nos aliments nous-mêmes nous demande une sacrée gestion. Toutefois, cela permet surtout de nous y retrouver d’un point de vue financier. Nous estimons être à 90 % autonomes dans la ration. Ce que l’on achète encore ? Un peu de soja et des pulpes sèches. On complémente les laitières à partir de 28l/jour. »

Un système sans incorporateur mécanique, une première en Belgique !

« Une fois l’autonomie fourragère atteinte, nous avons voulus être autonomes d’un point de vue énergétique », sourit-il. «Je penchais d’abord pour une petite unité de biométhanisation mais impossible alors de valoriser la quantité de fumier obtenu avec le cheptel viandeux, une matière particulièrement méthanogène. »

Il continue donc ses recherches et se rend en 2014 au Grand-Duché de Luxembourg où il rencontre un éleveur démoralisé par la dégradation rapide des pièces mécaniques qui approvisionnent le digesteur en aliments sont inutilisables. Des machines usées, des vis pliées, voire cassées… L’investissement pour les remplacer est conséquent. Éric est démotivé et prêt à abandonner son projet.

C’est sans compter la tenue du salon du biogaz à Strasbourg, où il rencontre une firme allemande qui venait d’obtenir un nouveau brevet pour ses méthaniseurs. Le concept ? Arroser le digestat au lieu de le brasser, ce qui réduit fortement la mécanique dans la structure (serpentin d’eau chaude, mixeurs à pales, mélangeuses, tapis, vis sans fin…).

Le lisier y est injecté et dosé dans le digesteur par le biais d’une pompe volumétrique. Les matières solides sont, quant à elles, déversées sur un plan incliné et poussées dans le digesteur à l’aide d’un bulldozer, ce qui évite nombre de pièces métalliques. L’apport journalier de cet effluent permet d’obstruer l’entrée du digesteur pour éviter toute fuite de gaz. La seule mécanique présente ? Une pompe qui aspire la phase liquide du digestat et qui la fait passer dans un échangeur de chaleur. Elle la redisperse ensuite sur les matières solides par le biais de deux buses orientables. C’est cette pression de 600 m³/h qui fait tourner la cuve, mélange le digestat et démêle la phase solide flottante.

Un investissement lourd amorti sur 15 ans

« Avec nos animaux, nous pouvons produire 170 kWh, le restant le sera par le biais d’autres matières : lactosérum, déchets de cuisine… plus on avance dans le projet plus on constate que nombreux sont ceux veulent nous fournir en déchets méthanisables », poursuit M. Jonkeau.

« Au départ, je prévoyais ce projet pour moi mais j’ai la chance de voir mon fils, Pierre-Olivier, reprendre une partie de la ferme. »

Après près d’un an de négociation avec les banques et la Région wal lonne, le projet peut démarrer. « Cela a été long et énergivore pour avoir les différentes autorisations, mais tout s’est bien passé. Nous avons commencé à terrasser le projet biogaz en novembre 2018 : un site de 55 ares, bétonné sur 3.700m²», nous confie Éric.

Les fosses étaient coulées en février 2019, les 3 cuves (digesteur, post-digesteur et stockage final) étaient sur pied en mai. Le chantier a très bien suivi.

Le moteur de cogénération produit eau chaude (270 kWh) et électricité (250 kWh).

Côté thermique, les Jonkeau ont besoin d’énormément d’eau chaude pour maintenir les 2.000 m³ de lisier à 40ºC en permanence dans le digesteur. « C’était complètement insensé de laisser s’évaporer la chaleur. Nous avons donc opté pour un réseau de chaleur qui chauffe toute l’eau utilisée pour la salle de traite, le hall de réparation des machines, le gîte de 15 personnes, ainsi que les habitations familiales. On estime économiser 30.000 l de mazout par an », explique le porteur de projet.

Le moteur de cogénéeration et sa torchère. En cas de pépin au niveau du moteur,  Eric et son fils sont obligés de brûler le gaz.
Le moteur de cogénéeration et sa torchère. En cas de pépin au niveau du moteur, Eric et son fils sont obligés de brûler le gaz. - P-Y L.

« Nous allons également être autonomes en électricité », se réjouit Éric dont les factures d’électricité pour faire tourner l’ensemble de ses installations dépassent allègrement les 2.700 euros/mois. « Nous avions bien une production de 10 kW en panneaux photovoltaïques mais c’est insuffisant par rapport à notre consommation. »

Le reste de l’électricité produite sera réinjecté sur le réseau et nous recevrons des certificats verts durant 15 ans pour garantir la rentabilité du projet. Selon les estimations de l’éleveur, le projet devrait être amorti sur 15 ans.

Les 1ers producteurs de Bio CNG en Belgique

Autre diversification, la valorisation du biogaz en Bio CNG, un gaz entièrement vert et renouvelable puisqu’uniquement produit à l’aide d’effluents d’élevages et de « déchets ». Éric Jonkeau : « A l’entrée de la cogénération, une pompe va prélever une partie du biogaz brut pour le purifier, le comprimer et l’odoriser. C’est un investissement très conséquent qui nous permet d’être les premiers producteurs de Bio CNG en Belgique ». Notons que ce gaz se différencie du CNG classique, un carburant fossile puisqu’équivalent au gaz de ville comprimé.

Avec la pompe achetée, il sera possible de faire le plein de 27 voitures par jour, en sachant qu’un camion équivaut dans ce cadre à 4 voitures.

Les Jonkeau ont d’ailleurs déjà pris contact avec un ingénieur qui pourrait faire passer les deux tracteurs de la ferme en « bifuel » pour les alimenter en grosse partie avec leur biogaz. Ils sont d’ailleurs sur le point d’acheter prochainement une voiture roulant avec ledit carburant.

Une activité qui attire l’attention de nombreux acteurs de la circulation puisque les pompes pour un tel carburant sont peu nombreuses.

« Nous sommes idéalement placés : au bord de l’E25, entre Liège et Neufchâteau. L’intercommunale Idelux, notamment, est très intéressée par le projet et va nous répertorier sur leurs cartes. »

Un projet qui n’a pas effrayé les voisins

Le projet étant très ambitieux, la famille Jonkeau a joué cartes sur table avec ses voisins. « Nous avons demandé à la commune de présenter notre projet au collège communal, ce qui a été très vite accepté et envoyé au conseil communal afin que les citoyens puissent s’exprimer par rapport au projet. Nous n’avons rencontré aucun gros frein.»

Pierre-Olivier : « Nous n’avons eu aucun problème avec les voisins car nous avons toujours été respectueux vis-à-vis des bruits et des odeurs. Tout ce qu’on sait faire, on le fait pour un mieux entre voisins ! »

Eric Jonkeau et son fils Pierre-Olivier devant le moteur de cogénération.
Eric Jonkeau et son fils Pierre-Olivier devant le moteur de cogénération. - P-Y L.

« Et vu l’innovation apportée par un tel projet, ils sont aussi intéressés par l’achat d’un véhicule au CNG » sourit-il.

Eric poursuit: «Au départ, nous avions pensé étendre le réseau de chaleur aux maisons avoisinantes mais les nouvelles constructions basse énergie réalisées ne s’y prêtaient pas.»

Toutefois, si la production d’eau chaude est suffisante, l’éleveur a par ailleurs un projet avec le CPAS d’Houffalize : un home pour personnes âgées pourrait être relié au réseau de chaleur de la ferme. Le seul problème: le coût de la canalisation. À voir si la commune veut être partenaire… Diverses réflexions sont en tout cas en cours.

« On est dans un cercle vertueux »

La force du projet réside dans une installation dimensionnée par rapport à la superficie de la ferme et par rapport aux bêtes ! Avoir la ferme et le biogaz permet non seulement des économies en termes d’électricité et d’eau chaude mais aussi en termes de fertilisation et de carburant. Le digestat équivaut à un bon compost riche en azote minéral et au pH neutre, ce qui permet de lutter non seulement contre l’acidification des sols mais aussi à ne plus acheter d’engrais pour leurs terres.

«Outre la production d’une viande et de produits laitiers de qualité, avec la valorisation du gaz, nous réduirons notre empreinte carbone, puisque la presque totalité du méthane est captée. Une fois le projet bien lancé, nous serons dans une économie circulaire totale, un cercle vertueux !», explique M. Jonkeau, satisfait.

P-Y L.

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