Attiré par l’agriculture depuis son plus jeune âge, c’est assez naturellement que François Gilbert de Cauwer s’est tourné vers des études supérieures d’agronomie. Après avoir hésité entre différents enseignements, son choix se porta sur la formation de bioingénieur dispensée par l’Université catholique de Louvain (UCL).
En 2011, arrivé au terme de ses trois premières années de bachelier, il opta pour le master en agronomie et plus particulièrement pour l’option « Formation interdisciplinaire en création d’entreprise (CPME) ». Comme son nom l’indique, celle-ci vise à former des étudiants, issus de divers horizons (droit, psychologie, ingénierie, sciences…), à la création d’entreprise et à l’entrepreneuriat au sens large.
Première rencontre avec le quinoa
Au moment de choisir le sujet de son mémoire de fin d’études, réalisé en collaboration avec trois étudiantes en psychologie, droit et management, François entend parler plus en détail du quinoa. « Je savais qu’il y avait une pénurie de quinoa sur les marchés internationaux. En parallèle, lors d’un cours, j’ai découvert que sa culture était très intéressante. En outre, il existe des variétés adaptées à de nombreuses régions du globe », explique-t-il.
L’objectif du mémoire était tout trouvé : étudier la possibilité d’établir une « filière quinoa » en Belgique, de la culture à la commercialisation. Les différentes tâches incombant à la création d’une entreprise, à ce moment-là « fictive », sont alors réparties entre les quatre étudiants. Les aspects législatifs, financiers et marketing sont pris en charge par ses partenaires tandis que François conduit les essais culturaux, au sein de la ferme expérimentale de l’UCL.
Durant près de deux ans, ils s’attellent à développer les différents volets de leur projet, nommé « Quinobel ». Et arrivent, en 2013, à une conclusion très encourageante : il est tout à fait réaliste de créer une filière quinoa en Belgique. En outre, les variétés testées et sélectionnées par l’université de Wageningen (Pays-Bas) sont parfaitement adaptées aux climat et sols belges.
Selon le jeune bioingénieur, l’option « CPME » dans laquelle s’intégrait ce travail a l’avantage de faire se rencontrer des étudiants issus de différentes filières. « Ayant tous les quatre des compétences très différentes, nous nous sommes complétés pour faire avancer le projet dans la bonne direction », se souvient-il.
Quinobel, une réalité !
Une fois son diplôme en poche, François Gilbert de Cauwer se rend au Chili pour le compte d’Abbottagra, une société agricole française cultivant du quinoa depuis 2009. De juillet à décembre 2013, il y découvre comment sont menées les recherches sur le quinoa.
À son retour, Isabelle Coupienne, Eddy Montignies et lui fondent Land, Farm & Men. Un premier partenariat est conclu avec trois agriculteurs et une dizaine d’hectares de quinoa bio sont implantés au printemps 2014, à Rhisnes. L’itinéraire technique mis en place repose alors sur l’expérience acquise durant le mémoire de François et l’expérience de terrain d’Eddy Montignies. La production est ensuite écoulée sous la marque « Graines de Curieux ».
« Être indépendant est réellement exaltant. Chaque journée de travail est différente ! »
2015 est le théâtre de nouveaux partenariats. François crée la société Gilbel et collabore avec des agriculteurs du Nord et du Sud du pays. Ceux-ci produisent du quinoa « conventionnel », vendu sous le label « Quinobel ». La marque, créée durant le mémoire, devient ainsi réalité.
Dans le même temps, le jeune entrepreneur prend la décision de quitter Land, Farm & Men. « Les deux sociétés sont en croissance, s’y consacrer pleinement devenait impossible. » C’est donc seul qu’il a abordé la saison 2016.
Des partenaires, tout le long de la filière
Au moment de créer sa société, François a entamé un long travail de prospection. Premièrement, il a dû trouver des agriculteurs prêts à se lancer dans cette culture, inhabituelle dans nos régions. « Je travaille en contacts étroits avec un groupe de cultivateurs intégrés à la filière. Je ne m’approvisionne pas sur le marché libre », explique-t-il. Il a ensuite démarché de potentiels clients, en Wallonie et à Bruxelles, dans l’objectif d’étoffer au maximum son réseau de vente. « Il ne s’agit pas uniquement de cultiver le quinoa, il faut pouvoir le commercialiser ! »
D’importants efforts ont également été déployés pour trouver les sous-traitants opérant entre la récolte et la vente. En effet, une fois le quinoa acheté aux agriculteurs en fin de saison, il convient encore de le sécher, de le trier, de le stocker, de l’emballer et de le distribuer vers les différents points de vente.
Le séchage des grains est réalisé, au besoin, en Belgique, dans les 24h suivants la récolte afin de préserver la qualité du produit. Si le tri était jusqu’ici effectué en France, il devrait prochainement avoir lieu à la frontière belgo-hollandaise, côté néerlandais. En effet, aucun prestataire ne peut actuellement effectuer cette tâche en Wallonie. Le produit trié est ensuite stocké dans un dépôt agricole wallon.
Vient ensuite l’étape d’emballage pour laquelle Gilbel fait appel à une entreprise de travail adapté basée à Waremme. « L’entièreté, ou presque, du travail s’y fait à la main. Celle-ci s’adapte plus facilement à mes demandes et à mes quantités qu’une ligne industrielle d’emballage. »
Enfin, la distribution des produits dans les points de vente se fait par l’intermédiaire de centrales d’achat, de plateformes logistiques provinciales ou encore en direct.
Dans le respect de ses valeurs
À travers sa société, François Gilbert de Cauwer souhaite que certaines de ses valeurs soient respectées. « Afin que l’agriculture ne soit plus pointée négativement du doigt », précise-il. Ainsi, chaque agriculteur partenaire signe une charte de production Quinobel. Discutée et élaborée avec les cultivateurs, elle a pour objectif de permettre une production durable du quinoa, sur les plans économique, environnemental et social.
De son côté, le bioingénieur assure un rôle de « plaque tournante » des connaissances. Il enseigne la culture du quinoa aux agriculteurs, les conseille et les oriente selon les attentes des consommateurs. « Mais toujours dans l’optique qu’ils restent indépendants et maîtres de leurs parcelles. »
Minimiser les transports fait également partie des priorités du jeune entrepreneur, tout comme limiter la recherche de sous-traitants à la France et au Benelux. Le but : rester dans une approche la plus locale possible de la filière. « Vu la superficie de la Belgique, il est plus difficile de travailler uniquement avec des partenaires nationaux. Un Français ou un Allemand trouvera plus facilement le sous-traitant idéal sur son territoire, tant celui-ci est grand », déplore-t-il. En outre, certaines infrastructures sont manquantes en Belgique.
Travailler à l’échelle locale lui permet également de s’adapter très facilement aux demandes de ses clients, dans le respect des saisons agricoles.
Des projets pour l’avenir
Cette saison, une dizaine d’ha de quinoa conventionnel seront semés. Une surface en baisse par rapport aux années précédentes, les stocks étant encore suffisants. Néanmoins, ce sera l’occasion de cultiver, pour la première fois, une variété à grains rouges. Ainsi, au quinoa beige déjà commercialisé, viendront se greffer du quinoa rouge et du quinoa duo, rassemblant grains beiges et rouges dans la même boîte. À ceux-ci s’ajoutent, sur demande, de la farine et des flocons de quinoa. Des pâtes pourraient aussi apparaître dans la gamme, dans un futur plus ou moins proche. Les écarts de tri seraient quant à eux être valorisables en alimentation animale.
Si le jeune diplômé travaille actuellement avec des sous-traitants, il n’exclut pas d’internaliser un jour certaines tâches. « Si les résultats économiques de l’entreprise s’y prêtent, j’investirai dans le matériel et le personnel nécessaires au moment voulu », dit-il.
Enfin, Gilbel va poursuivre son développement, notamment en étudiant les possibilités d’implanter d’autres nouvelles cultures sur le sol belge. Et François de conclure : « m’adapter aux besoins des consommateurs est et sera toujours essentiel pour assurer la pérennité de mon entreprise ».
«Entourez-vous et demandez conseil!»
Bien qu’il ait choisi une option formant les étudiants à l’entreprenariat, François ne s’imaginait pas un seul instant fonder sa propre société dès son cursus achevé, en juin 2013.
Cependant, un événement est venu quelque peu chambouler ses plans. « 2013 avait été proclamée « Année internationale du quinoa » par les Nations Unies. Un véritable engouement pour cette culture venait de naître. C’était le moment idéal pour développer une filière belge du quinoa », témoigne-t-il.
Avec quelques années de recul, l’entrepreneur ne regrette aucunement d’avoir franchi si tôt le pas. D’une part, les différentes facettes de son projet ont été étudiées en profondeur durant son mémoire de fin d’études. D’autre part, n’ayant pas encore d’importants frais personnels à assumer, il peut se permettre d’être moins bien rémunéré, au profit de son projet. « Ce qui n’aurait probablement pas été possible en créant Gilbel quelques années plus tard », insiste-t-il.
Être soutenu
Depuis ses débuts professionnels, François peut compter sur le soutien sans faille de sa famille, et notamment de son père. « Collaborer avec un membre de sa famille proche est toujours plus facile. Généralement, nous connaissons parfaitement, ou presque, nos modes de fonctionnement », estime-t-il. L’important esprit d’entraide et de collaboration qui règne dans le monde agricole est également primordial à ses yeux. Il lui a permis d’avancer dans la concrétisation de son projet. Il souligne encore le niveau de compétence et de connaissances particulièrement élevé des agriculteurs belges. « Ce qui me permet de commercialiser un produit de qualité. »
Pour la commercialisation à proprement parler justement, profiter des compétences de plateformes de commercialisation constitue, pour lui, un sérieux atout, tant il est difficile d’accéder aux grandes surfaces (lire ci-après).
Côté budget, bénéficier d’un soutien financier est toujours le bienvenu lors de la création d’une entreprise. Pour sa part, François a obtenu une bourse de pré-activité de la Région wallonne.
Enfin, le jeune diplômé est affilié à l’European Quinoa Group. Il bénéficie ainsi de conseils de confrères européens mais aussi des résultats des recherches et essais menés à l’Université de Wageningen avec laquelle collabore ce réseau.
Attention, obstacles !
Choix du statut professionnel, établissement du business plan, respect de la législation… constituent généralement les premières difficultés rencontrées par un jeune entrepreneur. « Se faire conseiller est indispensable ! », poursuit François. Lui a cependant eu la chance d’aborder une grande partie de ces aspects durant ses études.
Autre défi : trouver les partenaires et sous-traitants adéquats et, dans le cas de Gilbel, accéder aux grandes surfaces. « Les grandes enseignes sont souvent plus méfiantes. Elles attendent plusieurs années avant de conclure un accord avec leur futur fournisseur, afin que sa situation soit stable », constate-t-il.
À cela s’ajoutent encore les importants coûts auxquels doit faire face une entreprise dans ses premiers mois d’existence, notamment en matière de fournitures. « Pour l’emballage du quinoa, j’ai dû commander 15.000 boîtes en carton en une seule fois. Or, avec une telle quantité, j’en ai pour quelques années… »
Oser et communiquer
Enfin, le jeune entrepreneur délivre quelques conseils aux étudiants et jeunes diplômés tentés de suivre le même parcours professionnel. « Avant tout, il faut oser se lancer, ne pas hésiter ! Mais aussi s’assurer de disposer des garanties suffisantes. Si ce n’est pas le cas, il vaut peut-être mieux revoir ses ambitions à la baisse. » Il recommande également d’étudier en détail le meilleur scénario financier possible mais aussi le pire. « Afin d’être sûr de pouvoir se relever au cas où ce dernier deviendrait réalité. »
Avoir des partenaires solides, ayant une vision à long terme du projet, est également essentiel. « Néanmoins, je ne m’associerais pas trop rapidement avec quelqu’un. Débuter par une collaboration d’un ou deux ans permet d’apprendre à se connaître mutuellement. »
Dernier conseil : communiquer. « Lorsque l’on élabore son projet, on a tendance à vouloir le garder secret. Ce n’est pourtant pas le bon choix », livre François qui conseille donc de partager ses idées. « Ainsi, vous obtiendrez des réponses à vos questions, des solutions à vos problèmes et un précieux feedback sur votre future carrière professionnelle. »