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WalDigiFarm, aux confins de l’agriculture et du numérique

Créée fin 2019 avec le soutien de Digital Wallonia, l’Asbl WalDigiFarm ambitionne de valoriser et de favoriser l’usage du numérique en production végétale, un secteur qui accuse du retard sur celui de l’élevage, notamment en matière de partage de données. Véritable laboratoire d’idées, cette nouvelle plateforme entend lever les freins techniques, économiques et légaux à l’utilisation des nouvelles technologies en agriculture.

Temps de lecture : 8 min

La numérisation des grandes cultures doit composer avec la multiplicité des systèmes, peu compatibles, qui ne facilite pas l’essor de l’e-agriculture.

Quoi qu’il en soit, la transition numérique est une lame de fond qui touche tous les secteurs, en ce compris l’agriculture dans son ensemble, et recouvre des réalités très diverses.

Les pans de la numérisation en grandes cultures

La première, et la plus répandue, concerne le guidage assisté par satellite, utilisé par environ 50 % des agriculteurs avec une précision RTK (Real Time Kinematic), soit la solution la plus aboutie en matière de précision, de l’ordre de 2cm pour 15 % d’entre eux. Elle concerne ensuite les FMIS (Farm Management and Information System), tel que Geofolia, qui ne sont utilisés que par 20 % des agriculteurs.

La numérisation, ce sont ensuite les stations météo et autres objets connectés. « Seuls 8 % des agriculteurs y ont recours, mais leur utilisation est en plein essor » déroule Sébastien Weyckmans, administrateur délégué de WalDigiFarm.

C’est encore une myriade d’applications, mais surtout un fossé entre leur nombre et celles qui sont réellement utilisées par les agriculteurs. En effet, si l’on en compte 250 destinées à aider les agriculteurs en production végétale, seules 4 (en ce compris une application bancaire) sont en moyenne téléchargées sur leur smartphone.

La numérisation en région wallonne recouvre enfin la fertilisation assistée par satellite ou par drone qui reste extrêmement marginale puisqu’elle concerne moins d’1 % des surfaces cultivées.

Le changement, sa prise de conscience

Cette foison d’outils et technologies mis à disposition du monde agricole ne pourra prendre tout son sens que si les acteurs concernés en comprennent les enjeux, s’en saisissent et deviennent les moteurs de leur propre avenir numérique. Cette prise de conscience s’est matérialisée dans le cadre de l’édition 2018 de la Foire de Libramont, lieu idoine à la réflexion sur l’avenir du secteur agricole s’il en est.

C’est ainsi que des agronomes, agriculteurs, conseillers ou encore informaticiens s’intéressant à l’agro-numérique se sont interrogés sur la disparité existante au niveau de l’utilisation des nouvelles technologies en agriculture. « WalDigiFarm est donc en quelque sorte né d’une discussion de comptoir entre développeurs et utilisateurs de solution d’agriculture connectée sur le stand de Digital Wallonia » rembobine Sébastien Weyckmans.

Au début marginale, l’utilisation des stations météorologiques est en plein essor.
Au début marginale, l’utilisation des stations météorologiques est en plein essor.

La structure en gestation s’appuiera sur les résultats de l’étude publiée par la CBC en 2019 sur la « Transition numérique et durable du monde agricole » menée auprès d’une large palette d’acteurs du secteur afin d’identifier les freins et obstacles à une transformation harmonieuse du secteur agricole vers le numérique. Lesdits freins et obstacles sont au nombre de sept.

59 % des agriculteurs sondés ont ainsi identifié le retour sur investissement comme premier frein à s’équiper de systèmes généralement onéreux.

La protection des données collectées par les applications arrive en seconde position pour 50 % des agriculteurs, suivie par la notion de temps à relier par d’éventuels soucis informatiques ou « bugs » en période de pointe dans les travaux de champs.

40 % des agriculteurs ont mis en exergue la complexité et le manque d’intuitivité des technologies qui peuvent, de ce fait, s’avérer chronophages au niveau de leur prise en main et de leur utilisation. Le cinquième frein a trait au défaut d’interopérabilité des systèmes informatiques.

Déficit d’interopérabilité des systèmes

Aujourd’hui, les 360.000ha de grandes cultures que compte la Wallonie sont en effet repris dans non moins de 40 plateformes informatiques différentes qui ne communiquent pas entre elles. Il convient en plus de rajouter au moins une trentaine d’applications qui contiennent aussi des informations géoréférencées – ou géoréférençables (stations météos, OAD…) tout aussi déconnectées les unes des autres. Pour ne rien arranger, les tractoristes ont développé leurs propres systèmes.

Il en va de même pour l’industrie agroalimentaire, que ce soit par exemple la Raffinerie tirlemontoise ou les conserveries, qui possèdent, elles aussi, leurs systèmes informatiques propres.

Une petite avancée se situe au niveau de l’application PAC-On-Web utilisée par tous les agriculteurs et dont on commence à pouvoir extraire certains contours parcellaires, toutefois de manière assez fastidieuse.

« Nous sommes dans une situation comparable à celle d’un opérateur téléphonique qui s’implanterait avec une nouvelle plateforme ne permettant d’appeler que les seuls clients de son réseau », illustre Sébastien Weyckmans pour qui il est indispensable que tout le monde en arrive à partager des standards.

Il existe encore plusieurs freins à l’usage d’outils connectés : le coût  est le principal obstacle cité par plus de la moitié des agriculteurs interrogés.
Il existe encore plusieurs freins à l’usage d’outils connectés : le coût est le principal obstacle cité par plus de la moitié des agriculteurs interrogés. - photolink - stock.adobe.com

Le sixième frein concerne l’écart entre le secteur agricole et celui de l’informatique dont la méconnaissance des réalités de terrain peut pousser certains acteurs à développer des solutions peu utiles pour les agriculteurs.

Dernier frein cité par le secteur, l’aspect de la formation de base ou continuée très peu intégrée dans les cursus en Fédération Wallonie-Bruxelles.

Les concessionnaires de tracteurs et de machines agricoles manquent cruellement de jeunes techniciens qualifiés alliant maîtrise de la mécanique, de l’électronique et de l’informatique et qui sont capables d’aider leur clientèle. Un déficit qui conduit certains équipementiers à éviter de commercialiser des systèmes pour lesquels ils ne peuvent dépanner leurs clients.

En route pour la mise en œuvre de leviers

Fort de ces enseignements, l’Asbl WalDigiFarm dont le projet est porté par Digital Wallonia, se propose d’explorer la façon de lever ces freins sur base d’une mission, quatre axes et cinq valeurs.

« C’est en utilisant une technologie qu’on l’apprivoise, en l’apprivoisant que l’on en comprend les enjeux et en comprenant ces derniers que l’on se les approprie ainsi que la valeur additionnelle apportée par le numérique » explique Sébastien Weyckmans en détaillant les quatre axes stratégiques de l’Asbl.

Elle s’attache dans un premier temps à fédérer les acteurs en constituant un Conseil d’Administration mixte associant des acteurs agricoles traditionnels et du numérique.

Actuellement composé de 90 membres parmi lesquels un peu plus d’un tiers d’entrepreneurs agricoles, WalDigiFarm compte dans ses rangs des membres issus de l’agrofourniture, de l’agroalimentaire, du para-agricole, des consultants, des spécialistes en informatique, géomatique, imagerie, ingénierie, et même en intelligence artificielle.

Sébastien Weyckmans : « WalDigiFarm est né d’une discussion de comptoir entre développeurs et utilisateurs de solution d’agriculture connectée sur le stand de Digital Wallonia ».
Sébastien Weyckmans : « WalDigiFarm est né d’une discussion de comptoir entre développeurs et utilisateurs de solution d’agriculture connectée sur le stand de Digital Wallonia ».

Le deuxième axe de l’association s’attache à stimuler et renforcer l’usage du numérique par le biais de formations techniques à destination des agriculteurs, par exemple au niveau du potentiel des quelque 400 stations météo connectées que comptent les terres de grandes cultures en région wallonne.

WalDigiFarm a déjà consacré voici deux ans une formation à la modulation intraparcellaire des intrants en grandes cultures et s’apprête à lancer un cycle de formation consacré à la fertilisation assistée par satellite.

L’Asbl fait en outre partie du réseau Naexus (Numérique Agricole pour le développement de l’Enseignement, l’eXpérimentation et les Usages) visant à mettre en relation des enseignants français qui ont déjà mis en place des modules numériques dans leur cursus avec leurs collègues wallons qui souhaiteraient en intégrer dans leurs cours traditionnels sur les machines agricoles.

Un cercle de réflexion sur l’e-agriculture

L’Asbl joue par ailleurs un rôle de think-tank, ou laboratoire d’idées, pour la transition numérique du secteur agricole wallon. Une dimension qui fait partie du troisième axe de l’Asbl.

Dans ce cadre, elle anime des groupes de travail amenés à réfléchir aux enjeux liés à la transition numérique agricole, propose des recommandations imaginatives et pratiques et sollicite les décideurs et acteurs du secteur afin de faire bouger les lignes.

WalDigiFarm a ainsi organisé une conférence suivie d’une table ronde sur les enjeux et perspectives de la robotique en productions végétales à l’occasion de l’Agr-e-Sommet de 2020 à Libramont.

Données agricoles : WalDigiFarm rejoint OpEnAgro4.1

La structure mène un travail de fond sur le statut juridique des données agricoles en Wallonie. Elle a intégré le projet OpEnAgro4.1, une association d’acteurs wallons soucieux de définir un cadre de protection et de valorisation des données propres au secteur agricole.

Ces acteurs se penchent, par exemple, sur la question de savoir si la géolocalisation rendue possible par la télématique d’un tracteur constitue une donnée à caractère personnelle soumise au RGPD ou encore si une application satellitaire a le droit de détecter des cultures et de suivre leur évolution sans consentement de l’agriculteur. Les travaux bénéficient de l’expertise de juristes du Centre de Recherche Information, Droit et Société (CRIDS) de l’Université de Namur. Leurs résultats seront dévoilés le 2 décembre prochain à Libramont dans le cadre du 2ème Agr-e-Sommet.

Le quatrième et dernier axe développé par WalDigiFarm s’articule autour de la conception des outils et des structures de demain. « Les données n’ont de la valeur que si elles sont partagées » insiste M. Weyckmans en prenant l’exemple des stations météo dont les informations sont de plus en plus partagées par les agriculteurs et entrepreneurs agricoles.

Vers une coopérative « agro-numérique »… et ses défis

L’idée de WalDigiFarm serait de mettre sur pied une sorte de « coopérative agro-numérique », un projet qui nécessitera toutefois de répondre à un quadruple défi : économique, technique, juridique et sociologique et son corollaire de questions ouvertes.

Ce sont des interrogations autour du financement, mais aussi des infrastructures, de l’interopérabilité, des standards ou encore de la sécurité en termes informatiques.

Devra être en outre abordée, la question de la forme juridique que revêtirait la plateforme, ou la coopérative, qui serait mise sur pied ainsi que la question relative à la gestion des consentements.

Enfin, le débat pourrait s’inviter sur les plans sociologique et éthique, des dimensions qui relèvent de la confiance, de la transparence et de l’adhésion au projet.

Marie-France Vienne

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