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Conflit russo-ukrainien : l’UE prend des mesures pour doper sa production agricole

L’Ukraine, son noir destin, sa population charriée sur les routes de l’exil, mais aussi son secteur agricole chahuté ont imprégné les débats du dernier conseil des ministres européens de l’Agriculture, quelques heures avant l’activation du plan d’urgence de la commission dont l’objectif est d’amortir le choc de la guerre sur la sécurité alimentaire mondiale.

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L 'UE cherche à gonfler sa production, autant pour compenser la chute de ses approvisionnements en alimentation animale (plus de la moitié de ses importations de maïs venaient d'Ukraine) que pour pallier de graves crises alimentaires redoutées notamment en Afrique et en Asie.

Le ministre français de l’Agriculture a dit craindre «une crise alimentaire mondiale dans les 12 à 18 mois». Égypte, Libye, Tunisie, Maroc ou encore Algérie importent en effet une grande quantité de blé de Russie et d'Ukraine. Mais l'Afrique du Nord est loin d'être la seule région du monde à surveiller de près la situation à l'est de l'Europe. En Afrique subsaharienne, en Asie du sud-est, au Moyen Orient, ainsi que dans le voisinage direct de la Russie et de l'Ukraine (Biélorussie, Kazakhstan, Géorgie, Lettonie...), on dépend aussi beaucoup du blé russe et ukrainien.

Une aide d’urgence de 330 millions pour l’Ukraine

Placée sous le sceau de la solidarité, la réunion du 21 mars dernier a été marquée par un échange en visioconférence avec le ministre ukrainien de l’agriculture, Roman Leschenko, deux jours avant la présentation du plan de la commission pour la sécurité alimentaire. Le ministre ukrainien a tenu à rendre hommage à deux amis agriculteurs tués sous les bombes alors qu'ils travaillaient dans des champs et a fait état de la farouche détermination des agriculteurs du pays à cultiver leurs terres malgré l'invasion russe.

Avant d’être interrompu par une alerte au bombardement, M. Leschenko a formulé des demandes précises en termes d’aide alimentaire ainsi qu’un soutien à la production agricole, à l’approvisionnement en intrants, que ce soient les engrais ou des semences et à l’accueil et la formation des réfugiés ukrainiens.

« Les entreprises alimentaires ukrainiennes ne seront bientôt plus capables de délivrer de la nourriture aux civils, une fois les réserves épuisées. Ce qui se produira dans un ou deux mois » a-t-il avancé aux ministres.

En réponse, la commission a annoncé deux jours plus tard le déblocage d’un programme d'aide d'urgence de 330 millions € en faveur de l'Ukraine notamment pour garantir que les intrants (carburants et semences surtout) parviennent aux exploitations ukrainiennes.

La commission a aussi indiqué qu’« elle collaborait avec la Fao sur le terrain, dans l’ouest de l’Ukraine, afin de soutenir les petites exploitations et de sécuriser la production agricole ». En outre, à la demande des autorités agricoles ukrainiennes, elle a souligné qu’elle « s’efforcera de préserver l’accès aux marchés de l’UE tant pour les importations que pour les exportations en provenance des marchés ukrainiens ».

Quid de la situation portuaire sur la mer Noire ?

Il faut dire que les ports maritimes ukrainiens, essentiels pour l’exportation de grains, pourraient être à l’arrêt durant une bonne partie de la campagne 2022-2023. Selon un représentant du groupe coopératif agricole français InVivo, le silo de Bunge, dans la ville portuaire et industrielle de Mykolaïv, a été bombardé et les outils de chargement ont explosé.

L’Ukraine, quatrième exportateur mondial de maïs, numéro un en huile de tournesol, disposerait encore de 7 millions de tonnes de blé, 15 millions de tonnes de maïs, 600.000 tonnes d’orge, 1 à 1,5 millions de tonnes d’oléagineux à exporter sur 2021-2022.

La commission dévoile son plan pour la sécurité alimentaire

C’est dans ce momentum politique que la commission a présenté sa feuille de route pour tenter de détendre les tensions inflationnistes sur les prix agricoles. Et, surtout, éviter les risques de pénuries alimentaires dans les pays les plus dépendants de la Russie et de l’Ukraine, qui pèsent 30 % des exportations de blé dans le monde.

Le dispositif se divise en trois grandes parties : des mesures pour soutenir directement l’Ukraine ainsi que pour agir au niveau international, des actions de court terme sur le secteur agricole de l’UE afin de limiter la hausse des prix et enfin des actions de plus long terme notamment pour réduire la dépendance du secteur agricole vis-à-vis des engrais. Dans l’UE, un paquet de mesures est adopté qui devrait être financé en partie par les fonds de la réserve de crise agricole: 500 millions € d’aides réparties entre les Etats membres, un soutien au stockage privé de viande porcine (entre 2 et 5 mois).

Mise en production des jachères

La mesure la plus forte est le feu vert à la mise en production des jachères prévues dans le cadre de la future PAC (4 % des terres arables européennes). Cela doit «permettre la production de toute culture à des fins alimentaires et de nourriture animale», détaille la commission. Un moyen de doper la production agricole sur le Vieux Continent et de compenser en partie les volumes de denrées agricoles non disponibles dans les pays de la mer Noire.

«Transitoire et immédiate», selon la commission, cette mesure vise à mobiliser jusqu’à 4,5 millions d’hectares en Europe, pour planter blé ou autres protéagineux (colza, maïs…). Cela à la fois pour les exporter vers les pays importateurs de céréales ou pour produire des rations alimentaires pour les animaux.

Ouverture de l’aide au stockage privé

La commission a en outre adopté un dispositif d’aide au stockage privé de viande porcine pour une période de 60, 90, 120 ou 150 jours qui est ouvert aux opérateurs depuis le 25 mars. Une aide d’un montant variable sera accordée selon les morceaux et la durée du stockage (270 €/tonne pour les demi carcasses stockées 60 jours ou 423 €/tonne pour les jambons stockés 150 jours par exemple).

Les demandes pourront être déposées jusqu'au 29 avril. Pour justifier cette décision, demandée depuis plusieurs mois par certains Etats membres, la commission cite le grave ralentissement des exportations vers la Chine, la propagation de la peste porcine africaine et l'impact des restrictions imposées par la pandémie, auxquelles se sont ajoutées les perturbations supplémentaires causées par l’invasion de l'Ukraine par la Russie faisant chuter la demande d'exportation de certains produits à base de viande porcine.

Limites maximales de résidus, stocks et TVA

Pour faciliter l’achat par les producteurs de bétail de sources d’approvisionnement alternatives, la commission accordera un assouplissement, sur une base temporaire, de certaines exigences d’importation existantes en matière de résidus de pesticides. Cela concerne principalement les importations d’aliments pour animaux (maïs surtout) en provenance d’Amérique du Sud. Les États membres devront toutefois s’assurer que ces produits restent dans l’alimentation animale et ne se retrouvent pas sur le marché de l’alimentation humaine.

La commission propose de renforcer le dispositif en place depuis la pandémie, qui impose aux États membres de communiquer chaque mois des données sur les stocks privés de produits essentiels pour l’alimentation humaine et animale afin d’avoir une vue d’ensemble rapide et précise de leur disponibilité. Elle rappelle aussi que l’alimentation, les engrais ou l’énergie peuvent bénéficier de taux de TVA réduits à zéro afin de faire baisser le coût pour les consommateurs.

Marie-France Vienne

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