Pour initier des pistes de réponses, une petite délégation du parlement européen a posé ses dossiers, l’espace de quelques heures, au cœur de la Ferme bio du Petit Sart à Gez-Doiceau.
25 % de surfaces agricoles en bio, un objectif qui s’inscrit désormais en pointillé
Le social-démocrate Marc Tarabella, le démocrate-chrétien Benoît Lutgen et Dominique Jacques, président de l’Unab (Union Nationale des Agrobiologistes Belges), se sont penchés sur la possible révision à la baisse des objectifs européens de durabilité et d’autonomie des exploitations, mais surtout sur la disparition, dans un texte adopté en commission de l’Agriculture du parlement dont les deux eurodéputés sont membres, de celui qui vise à atteindre 25 % de surfaces agricoles en bio à l’horizon 2030, contre 8,5 % en 2019.

C’était en effet le 31 mars dernier que la commission de l’Agriculture du parlement européen avait adopté le projet de rapport de l’eurodéputée démocrate-chrétienne autrichienne Simone Schmiedtbauer sur le plan de développement de l’agriculture biologique, qui ne reprend pas cet objectif qui avait été fixé par la commission.
Les eurodéputés ont davantage plaidé pour un développement du secteur axé sur le marché et demandé une analyse d’impact sur l’objectif d’augmentation de la part de la surface agricole de l’UE consacrée à l’agriculture biologique.
les parlementaires avaient également souligné la nécessité d’un soutien financier suffisant en faveur des agriculteurs pour couvrir les coûts de production plus élevés et des aides supplémentaires de la PAC pour inciter les exploitants à se convertir à la production biologique.
On notera qu’il existe encore en la matière de fortes disparités selon les pays : 0,5 % de surface agricole consacrée au bio à Malte, 1,9 % en Irlande, 2,3 % en Bulgarie et 2,9 % en Roumanie ; 20,4 % en Suède, 22,3 % en Estonie et 25,3 % en Autriche, le record européen.
Notre pays se situe dans le bas du tableau, avec 6,9 % et une énorme différence entre la Flandre et la Wallonie, dont l’agriculture est plus familiale, 91 % de la surface bio se trouvant dans notre région, soit près de 90.000 hectares fin 2020.
« On subit une longue déglingue de la politique agricole européenne »
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Marc Tarabella refuse l’hyper-productivisme de l’ancien monde
Pour l’eurodéputé socialiste, le conflit russo-ukrainien est devenu un prétexte pour effacer les nouveaux objectifs définis par la stratégie « De la fourche à la fourchette » malgré la progression de la production biologique en Europe.
« Nous ne devons pas être hyper-productivistes comme on l’a toujours fait » s’est-il d’ailleurs emporté avant d’embrayer sur la feuille de route de la commission pour tenter de détendre les tensions inflationnistes sur les prix agricoles.

Et, surtout, pour éviter les risques de pénuries alimentaires dans les pays les plus dépendants de la Russie et de l’Ukraine, qui pèsent 30 % des exportations de blé dans le monde.
La mise en jachère, un levier temporaire pour répondre à la crise
Pour mémoire, la mesure la plus forte est le feu vert à la mise en production des jachères prévue dans le cadre de la future PAC (4 % des terres arables européennes) qui devrait permettre la production de toute culture à des fins alimentaires et de nourriture animale.
Un moyen de doper la production agricole sur le Vieux Continent et de compenser en partie les volumes de denrées agricoles non disponibles dans les pays de la mer Noire.
Benoît Lutgen ne veut pas s’accrocher à des objectifs chiffrés
Plusieurs eurodéputés mais aussi des ONG et des représentants du secteur agricole ont récemment dénoncé les tentatives de détricoter les rares avancées environnementales des politiques agricoles européennes pour pousser une logique productiviste.
Marc Tarabella annonce un « combat » européen entre ceux qui ont la volonté de progresser vers une agriculture plus durable et les autres, partisans d’un retour vers un modèle plus intensif. Il faudra aussi composer avec les opposants à l’agriculture biologique au sein même du parlement européen.
Benoît Lutgen ne fait certainement pas partie de cette seconde catégorie, même s’il reste plus nuancé que son collègue socialiste.
« Fixer des objectifs chiffrés sans que ce ne soit accompagné d’un plan d’action solide, sans qu’il n’y ait une seule mesure qui soit concrètement argumentée pour atteindre les 25 % d’agriculture biologique en 2030, ce n’est pas sérieux » a-t-il argumenté en ajoutant que cela pouvait créer « une dévalorisation de la parole publique et des engagements pris par le parlement européen ».
Le député démocrate-chrétien préfère s’orienter vers « des outils et des leviers pour soutenir davantage les secteurs en difficultés, dont fait partie celui de l’agriculture biologique ».
Cela pourrait passer par une stimulation de la demande, notamment avec des menus bio dans les cantines scolaires, hôpitaux ou maisons de repos. Des initiatives qui nécessitent une exception agricole pour les marchés publics.
Le député du groupe PPE a par ailleurs questionné le pourcentage des céréales qui sont dirigées vers les agrocarburants et qui pourraient être réorientées vers l’alimentaire, mais aussi le gaspillage alimentaire, « sachant qu’environ 87,6 millions de tonnes de denrées alimentaires sont perdues ou gaspillées chaque année en Europe ».
« L’addition de toutes les expériences locales en Wallonie prouve que l’on peut agir partout à différents niveaux » a-t-il ponctué.
L’Unab s’alarme de la baisse des objectifs européens en matière de durabilité
Car il ne faut pas s’en cacher, la situation du bio est compliquée.
« Aujourd’hui, les prix d’achat du bio au producteur flirtent avec ceux du conventionnel » explique Dominique Jacques en indiquant que « celui du lait payé à l’agriculteur bio et conventionnel est le même alors qu’il y avait 0,10€ de différence entre les deux avant le début du conflit russo-ukrainien ».
Et de poursuivre qu’il en va de même au niveau des céréales en évoquant les filières conventionnelles « qui font du colza non-OGM et se tournent désormais vers le colza bio pour répondre à la demande ».
La guerre a par ailleurs aussi révélé des dépendances insoupçonnées à l’Ukraine. « Avant la guerre, on ne voyait pas l’importance de l’importation de protéagineux de ce pays, alors que le bio favorise normalement le circuit court ».
Quant aux consommateurs, ils ont tendance à bouder les produits bio face à l’inflation galopante.
« Les semences bio venant d’Ukraine ont aussi fait un bond conséquent », a-t-il exposé en plaidant la relocalisation : « 30 % des céréales pour les poulets devraient venir d’un rayon n’excédant pas 300km autour de Namur ».
Enfin, M. Jacques craint que la réponse se résume à augmenter la production à coups d’intrants et revoir à la baisse les objectifs européens de durabilité et d’autonomie des exploitations.