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Journée des pollinisateurs à Lutrebois : «créons de l’empathie entre agriculteurs et apiculteurs»

Il est des lieux dont la musicalité limpide et solitaire nous offre un billet d’absence pour en éprouver de l’intérieur les mouvements. On y murmurerait presque pour ne pas déranger l’ordre des mots. C’est là, à la porte de Bastogne, que le petit village de Lutrebois a accueilli de bourdonnants apiculteurs en herbe et quelques agriculteurs. Tous en quête de respect de la biodiversité.

Temps de lecture : 8 min

D urant ces dernières décennies, la présence et la diversité des insectes pollinisateurs sauvages européens, tels que les abeilles, les papillons, les syrphes et les mites, ont considérablement diminué au cours de ces dernières décennies.

De nombreuses espèces sont également en voie d’extinction. D’après la « liste rouge » européenne, près d’une espèce d’abeilles et de papillons sur trois voit sa population décliner, tandis qu’environ une sur dix est menacée d’extinction.

L’homogénéisation du paysage dans les zones agricoles est l’un des grands problèmes auxquels se heurtent les pollinisateurs et la biodiversité animale. À certains moments de l’année, il n’y a aucune ressource dans les environs. Ceci est typique, par exemple, dans les zones de cultures arables produisant des céréales et des betteraves sucrières.

Les pollinisateurs, un enjeu majeur de société

On le sait désormais, le déclin des pollinisateurs est très préoccupant. Environ 80 % des espèces cultivées et des espèces de plantes à fleurs sauvages dans l’UE dépendent, au moins en partie, de la pollinisation animale.

De gauche à droite : Christine Leclerq (Parc naturel Haute-Sûre Forêt d'Anlier),  Jocelyne Collard (présidente de l’Union Royale des Ruchers wallons)  et Noa Simon Delso (directrice scientifique de BeeLife).
De gauche à droite : Christine Leclerq (Parc naturel Haute-Sûre Forêt d'Anlier), Jocelyne Collard (présidente de l’Union Royale des Ruchers wallons) et Noa Simon Delso (directrice scientifique de BeeLife). - M-F V.

Sans pollinisateurs, de nombreuses espèces végétales déclineraient et finiraient par disparaître, ce qui menacerait la survie de la nature, le bien-être humain et l’économie. Leur diminution signifie la mise en péril de notre mode de vie et de la vaste gamme de produits alimentaires dont nous avons besoin.

Le sujet est d’ailleurs régulièrement à l’ordre du jour des conseils des ministres européens de l’Agriculture. Il est devenu si prégnant, que la commission a ouvert le 17 mars dernier (et jusqu’au 9 juin) une consultation publique sur la révision de l’initiative européenne sur les pollinisateurs.

Cette consultation, initialement annoncée pour fin 2021, doit permettre de renforcer l’initiative européenne en la matière lancée en 2018 qui a été jugée inefficace à la fois par la Cour des comptes de l’UE et la commission elle-même.

L’Exécutif prévoit de réviser le dispositif en place avec de nouvelles actions et des ressources supplémentaires pour mettre pleinement en œuvre les objectifs de l’initiative et respecter l’engagement d’inverser le déclin des pollinisateurs d’ici à 2030.

Et cela se répercute à tous les niveaux. Ainsi, une fois de plus, 2021 aura été une année dramatique pour le secteur de l’apiculture, avec une perte de production de miel estimée entre 10 et 15 % par rapport à 2020 qui avait déjà été une mauvaise année.

BeeLife, une association créée par des apiculteurs

C’est pour sensibiliser les acteurs de la ruralité que l’association européenne BeeLife (European Beekeeping Coordination) a organisé, le 7 mai dernier en province de Luxembourg, une journée de sensibilisation à leur préservation, mais aussi aux relations parfois tendues entre apiculteurs et agriculteurs.

Créée par des apiculteurs, cette ONG effectue un travail de veille, d’analyse et d’information au niveau des citoyens et des institutions européennes pour une meilleure intégration des abeilles et de la santé des pollinisateurs dans la PAC. Avec 25 membres (associations d’apiculteurs et d’agriculteurs) de 12 pays européens différents, BeeLife fait le lien entre la politique, la science et les observations de terrain afin de promouvoir un avenir plus durable pour les pollinisateurs et leur rôle dans l’environnement.

Noa Simon Delso, la directrice scientifique de l’association est venue en plein cœur de l’Ardenne à la rencontre des apiculteurs locaux. Après avoir travaillé au Cari pendant un peu plus de dix ans, cette pétillante vétérinaire espagnole de formation a rejoint BeeLife en tant que directrice scientifique en 2021 et experte auprès du Centre Commun de Recherche (JRC).

« Les agriculteurs wallons sont ouverts au dialogue et au changement »

C’est dans le cadre du projet européen « Sting » qu’elle s’est mise en quête de paysages variés car « la problématique des pollinisateurs n’est pas la même dans le Brabant wallon, où je réside, que dans la province de Luxembourg ».

Pour mener à bien sa tâche, elle a contacté Jocelyne Collard, une figure qui compte dans le milieu apicole wallon. « Cela fait une semaine que Noa est là », poursuit cette dernière, « nous avons organisé ensemble une balade de sensibilisation aux soucis rencontrés par les pollinisateurs ».

Agricultrice retraitée et apicultrice hyper-active, celle que l’on surnomme affectueusement « Joce des Abeilles » connaît personnellement tous les agriculteurs de la région qui ne « pulvérisent plus jamais avant 19.00 » tient-elle à préciser.

C’est pour sensibiliser les acteurs de la ruralité que l’association européenne BeeLife  a organisé une journée dédiée à la préservation des pollinisateurs, mais aussi  aux relations parfois tendues entre apiculteurs et agriculteurs.
C’est pour sensibiliser les acteurs de la ruralité que l’association européenne BeeLife a organisé une journée dédiée à la préservation des pollinisateurs, mais aussi aux relations parfois tendues entre apiculteurs et agriculteurs. - M-F V.

« Nous les encourageons à intégrer de la luzerne, du trèfle blanc, du trèfle incarnat, des vesses, des pois dans les fourrages, c’est bien meilleur que d’aller acheter du soja qui provient des États-Unis ou d’Amérique du sud » déroule celle qui est aussi présidente de l’URW (Union Royale des Ruchers wallons) et de l’école des Babeilles de Michamp qui compte, cette année, 34 élèves en formation.

Quant au but de Noa Simon Delso, il est de « libérer l’intelligence collective au service de la protection des pollinisateurs tant au niveau des agriculteurs que des apiculteurs ».

Elle souhaite également que « chacun devienne un petit ambassadeur de la défense des pollinisateurs ».

Pour Noa, la volonté de s’entendre existe réellement entre agriculteurs et apiculteurs wallons, « il y a des échanges car les agriculteurs wallons sont culturellement plus ouverts que d’autres au dialogue et à la notion de changement dans leur façon de travailler. De plus en plus se tournent par exemple vers l’agriculture de conservation ».

L’Europe trop hermétique aux enjeux du secteur apicole

La directrice scientifique de BeeLife cite l’action de Natagriwal qui dispense d’excellents conseils en matière de MAEC visant à restaurer, préserver et améliorer les écosystèmes, promouvoir l’efficacité des ressources et évoluer vers une économie sobre en carbone et résiliente au climat.

Elle mentionne aussi le travail de l’Asbl « Terres Vivantes » qui soutient la transition de l’agriculture wallonne vers l’agroécologie.

La situation est très différente en Flandre car « le Boerenbond n’est pas très sensible à cette problématique » indique la directrice scientifique de BeeLife, ajoutant qu’il en est de même en France « en raison de l’opposition historique de la Fnsea au secteur apicole ».

Et la situation n’est pas vraiment plus favorable au niveau européen où agriculteurs et apiculteurs ne sont pas mis sur un pied d’égalité « et ce, même si ces derniers disposent d’un groupe de travail au sein même du Copa-Cogeca ».

Peu de succès pour l’éco-régime « pollinisateurs » de la PAC

Dans le cadre de la nouvelle PAC, BeeLife avait proposé la mise en œuvre d’un éco-régime en faveur des pollinisateurs qui pouvait, par exemple, inclure une formation continue sur les insectes pollinisateurs et auxiliaires (biologie, écologie, reconnaissance, risque, rôle des pollinisateurs dans la pollinisation et la gestion des ravageurs des cultures).

L’éco-régime comporte l’inclusion d’une ou plusieurs cultures intéressantes pour les pollinisateurs sur au moins 10 % de sa surface agricole chaque année. Parmi les cultures qui pourraient être incluses et qui ont un intérêt particulier pour les pollinisateurs, on peut citer  le colza, le tournesol, le lin, la cameline, le sarrasin, le maïs, les légumineuses telles que la luzerne, le trèfle ou le trèfle géant, les plantes aromatiques, les cultures intercalaires : phacélie, tournesol, moutarde, radis, chou, légumineuses, vesce, pois tubéreux.

Il peut également porter sur la diversification des variétés cultivées au sein d’un même champ, incluant au moins trois variétés différentes pour chaque culture.

Cela peut encore concerner un engagement entre apiculteur et cultivateur, naturaliste et agriculteur (pour réaliser des comptages d’insectes, nouer un contrat entre cultivateur et apiculteur ou encore l’adhésion de l’agriculteur à une association de protection de la nature qui effectue des suivis de biodiversité).

Mais seule l’Italie, où les agriculteurs sont « extrêmement proactifs » a adhéré à l’éco-régime « pollinisateurs » déplore Noa Simon Delso « alors qu’il pourrait rapporter de 350€ à 400€/ha aux agriculteurs ».

Les apicultrices en herbe

Au sein de l’atelier qu’elle anime, les voix jouent au ping-pong avec les murs, quelques éclats de vivre rebondissent au plafond. Un joyeux brouhaha emplit la salle de la bonne humeur matinale des participants.

Parmi ceux-ci, Marcelle Antoine, habitante d’un petit village près de Bastogne, s’intéresse à l’apiculture depuis quelques années. Une passion qui l’a amenée à s’inscrire au cours de l’école d’apiculture de Michamp, avant d’acheter ses deux premières ruches.

« Je ne connaissais rien aux abeilles, j’avais besoin d’informations et d’être rassurée, ce que Jocelyne Collard a parfaitement fait  » sourit-elle, ajoutant qu’elle espérait faire bientôt sa première récolte de miel qu’elle destinera, pour le moment, à sa consommation personnelle.

Véronique Langue, Fernand Philippart et son épouse Marcelle Antoine, deux apicultricesqui suivent les cours de l’école d’apiculture de Michamp sont venuesen quête de conseils à Lutrebois.
Véronique Langue, Fernand Philippart et son épouse Marcelle Antoine, deux apicultricesqui suivent les cours de l’école d’apiculture de Michamp sont venuesen quête de conseils à Lutrebois. - M-F V.

Intéressée depuis toujours par les insectes, cela fait une dizaine d’années que Véronique Langue, qui habite à Etalle, projetait quant à elle de se lancer en apiculture.

Contrairement à Marcelle, elle a acheté ses ruches avant de s’inscrire en cours car « ce n’est pas si évident de débuter une telle activité ».

Pour offrir un cadre idéal à ses abeilles, Véronique Langue a implanté un verger en prenant soin d’échelonner les floraisons. On y trouve des prunes, des mirabelles, des cerisiers, différentes sortes de pommiers et des poiriers.

Avec ses trois ruches et ses abeilles noires, « plus rustiques, plus petites et surtout moins fragiles que la buckfast » elle destine, elle aussi, la production de ses trois ruches à sa consommation personnelle.

« Chaque apiculteur a ses spécificités, tout dépend des apports que vous fournissez aux abeilles et de votre situation géographique. J’ai la chance, pour ma part, d’habiter près d’une réserve naturelle ».

Véronique entre en deuxième année de cours, celle où elle apprend notamment « à marquer la reine pour la repérer plus facilement dans la ruche sans l’isoler trop longtemps des ouvrières qui pourraient ne plus la reconnaître ». Un exercice délicat qui nécessite de l’entraînement, « de préférence sur des bourdons ».

Marie-France Vienne

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