Accueil Echo des entreprises

Michel Demaré (Syngenta): «Ne voyons pas les Chinois comme des ennemis»

Le rachat de Syngenta est bouclé. L’entreprise suisse veut aider les Chinois à moderniser leur agriculture.

Temps de lecture : 4 min

Fin mai, l’entreprise d’État chinoise ChemChina bouclait le rachat du géant suisse de l’agrochimie Syngenta pour 43 milliards de dollars. L’opération a fait couler beaucoup d’encre parce qu’elle s’inscrit dans une vague de concentration sans précédent dans l’agrobusiness mais aussi parce que c’est la plus grosse acquisition jamais réalisée par un groupe chinois à l’étranger, illustrant l’appétit de Pékin pour les technologies occidentales. Celui qui a négocié cette opération pour Syngenta et bataillé pour obtenir des garanties d’indépendance et de maintien des activités en Suisse n’est autre que le Belge Michel Demaré, président du conseil d’administration. Cette figure marquante du capitalisme suisse nous explique pourquoi il a soutenu cette opération.

Le thème des investissements chinois en Europe est très sensible. Mais en Suisse, il y a eu peu de réactions politiques à l’annonce du rachat de Syngenta. Comment l’expliquez-vous ?

60 % du capital de Syngenta était déjà aux mains de fonds anglo-saxons. Les Suisses n’ont jamais eu la majorité. Dans la rue, ça a provoqué une certaine émotion mais au niveau des politiciens, ils ont soutenu le deal quand ils ont vu qu’il n’y aurait pas de pertes d’emplois. Il ne faut pas oublier que tout cela a suivi l’attaque hostile de Monsanto que nous avons repoussée.

C’est-à-dire…

Un rachat par Monsanto aurait été une catastrophe pour la Suisse. Monsanto avait l’intention de déménager le siège au Royaume-Uni, de couper Syngenta en deux, de réaliser 2 milliards de synergies par an, ce qui se serait traduit par la suppression de 15 à 20.000 emplois. Dans le cas de ChemChina, la perspective est toute différente. Le deal n’est pas basé sur des synergies de coûts puisque ChemChina est peu actif dans l’agriculture. C’est une transaction de croissance vu toutes les opportunités qui vont se présenter pour nous en Chine. Ce n’est pas une fusion mais un changement de propriétaire. Syngenta restera tel qu’il est aujourd’hui et bénéficiera d’une grande autonomie.

« Le rachat par Monsanto aurait été une catastrophe pour la Suisse. »

Pourquoi les Chinois s’intéressent-ils à Syngenta ?

Ils importent énormément d’aliments pour nourrir leur population qui grandit très rapidement. L’évolution des habitudes alimentaires – ils mangent plus de viande – entraîne aussi une croissance de la demande en grains. La Chine n’arrivera pas à nourrir sa population si elle ne réussit pas à augmenter le rendement de son agriculture qui est 30 à 40 % inférieur à celui des autres grandes régions du monde. Pour résoudre ce problème, ils ont besoin de technologies. Ce deal va nous permettre de travailler avec le gouvernement pour moderniser l’agriculture chinoise.

« La Chine doit augmenter le rendement de son agriculture. »

Les Européens ne font-ils pas preuve de naïveté face aux Chinois en leur cédant leurs fleurons technologiques ? On sait qu’il n’y a aucune réciprocité et qu’il est difficile pour une entreprise occidentale de s’implanter là-bas.

Je pense que les Européens doivent restent fidèles à leurs valeurs d’ouverture, de libre-échange. Le protectionnisme n’est pas une bonne recette. Il faut avoir un dialogue constructif avec les Chinois afin d’essayer d’avoir un plus grand équilibre dans nos relations avec eux. Quant à moi, c’était mon obligation d’accepter l’offre à partir du moment où elle est intéressante pour les actionnaires et qu’elle n’a pas de conséquences négatives (pour les employés, les clients…). J’ajoute qu’il ne faut pas toujours voir les Chinois comme des ennemis et surtout pas la société qui a acheté Syngenta. ChemChina a acheté deux sociétés en France. Depuis lors, il a investi sur place deux fois le prix qu’il a payé et a créé de nouveaux emplois.

Vous avez obtenu des garanties sur le maintien des activités en Suisse mais êtes-vous sûr qu’à terme les Chinois ne délocaliseront pas ?

Ils n’ont pas acheté des usines et des centres de recherche. Ils ont acheté des compétences. Ils savent qu’ils ne peuvent pas tout déménager en Chine car il est probable que la plupart de nos travailleurs ne les suivront pas.

Propos recueillis par Jean-François Munster

Le Soir

A lire aussi en Echo des entreprises

Voir plus d'articles