Michel Demaré (Syngenta): «Ne voyons pas les Chinois comme des ennemis»

Michel Demaré, président du conseil d’administration 
du géant suisse Syngenta.
Michel Demaré, président du conseil d’administration du géant suisse Syngenta. - D.R.

Fin mai, l’entreprise d’État chinoise ChemChina bouclait le rachat du géant suisse de l’agrochimie Syngenta pour 43 milliards de dollars. L’opération a fait couler beaucoup d’encre parce qu’elle s’inscrit dans une vague de concentration sans précédent dans l’agrobusiness mais aussi parce que c’est la plus grosse acquisition jamais réalisée par un groupe chinois à l’étranger, illustrant l’appétit de Pékin pour les technologies occidentales. Celui qui a négocié cette opération pour Syngenta et bataillé pour obtenir des garanties d’indépendance et de maintien des activités en Suisse n’est autre que le Belge Michel Demaré, président du conseil d’administration. Cette figure marquante du capitalisme suisse nous explique pourquoi il a soutenu cette opération.

Le thème des investissements chinois en Europe est très sensible. Mais en Suisse, il y a eu peu de réactions politiques à l’annonce du rachat de Syngenta. Comment l’expliquez-vous ?

60 % du capital de Syngenta était déjà aux mains de fonds anglo-saxons. Les Suisses n’ont jamais eu la majorité. Dans la rue, ça a provoqué une certaine émotion mais au niveau des politiciens, ils ont soutenu le deal quand ils ont vu qu’il n’y aurait pas de pertes d’emplois. Il ne faut pas oublier que tout cela a suivi l’attaque hostile de Monsanto que nous avons repoussée.

C’est-à-dire…

Un rachat par Monsanto aurait été une catastrophe pour la Suisse. Monsanto avait l’intention de déménager le siège au Royaume-Uni, de couper Syngenta en deux, de réaliser 2 milliards de synergies par an, ce qui se serait traduit par la suppression de 15 à 20.000 emplois. Dans le cas de ChemChina, la perspective est toute différente. Le deal n’est pas basé sur des synergies de coûts puisque ChemChina est peu actif dans l’agriculture. C’est une transaction de croissance vu toutes les opportunités qui vont se présenter pour nous en Chine. Ce n’est pas une fusion mais un changement de propriétaire. Syngenta restera tel qu’il est aujourd’hui et bénéficiera d’une grande autonomie.

« Le rachat par Monsanto aurait été une catastrophe pour la Suisse. »

Pourquoi les Chinois s’intéressent-ils à Syngenta ?

Ils importent énormément d’aliments pour nourrir leur population qui grandit très rapidement. L’évolution des habitudes alimentaires – ils mangent plus de viande – entraîne aussi une croissance de la demande en grains. La Chine n’arrivera pas à nourrir sa population si elle ne réussit pas à augmenter le rendement de son agriculture qui est 30 à 40 % inférieur à celui des autres grandes régions du monde. Pour résoudre ce problème, ils ont besoin de technologies. Ce deal va nous permettre de travailler avec le gouvernement pour moderniser l’agriculture chinoise.

« La Chine doit augmenter le rendement de son agriculture. »

Les Européens ne font-ils pas preuve de naïveté face aux Chinois en leur cédant leurs fleurons technologiques ? On sait qu’il n’y a aucune réciprocité et qu’il est difficile pour une entreprise occidentale de s’implanter là-bas.

Je pense que les Européens doivent restent fidèles à leurs valeurs d’ouverture, de libre-échange. Le protectionnisme n’est pas une bonne recette. Il faut avoir un dialogue constructif avec les Chinois afin d’essayer d’avoir un plus grand équilibre dans nos relations avec eux. Quant à moi, c’était mon obligation d’accepter l’offre à partir du moment où elle est intéressante pour les actionnaires et qu’elle n’a pas de conséquences négatives (pour les employés, les clients…). J’ajoute qu’il ne faut pas toujours voir les Chinois comme des ennemis et surtout pas la société qui a acheté Syngenta. ChemChina a acheté deux sociétés en France. Depuis lors, il a investi sur place deux fois le prix qu’il a payé et a créé de nouveaux emplois.

Vous avez obtenu des garanties sur le maintien des activités en Suisse mais êtes-vous sûr qu’à terme les Chinois ne délocaliseront pas ?

Ils n’ont pas acheté des usines et des centres de recherche. Ils ont acheté des compétences. Ils savent qu’ils ne peuvent pas tout déménager en Chine car il est probable que la plupart de nos travailleurs ne les suivront pas.

Propos recueillis par Jean-François Munster

Le Soir

Le parrain belge du capitalisme suisse

Bien qu’il soit belge, Michel Demaré, 60 ans, a réussi à devenir l’une des figures emblématiques du monde patronal suisse. Ce Bruxellois francophone qui a acquis la nationalité suisse il y a trois ans a débarqué dans le pays en 1992 alors qu’il travaillait pour le chimiste américain Dow. Il a occupé des fonctions clés dans trois des plus grandes multinationales du pays : le groupe industriel ABB dont il sera le directeur financier pendant 8 ans (et même éphémère CEO), UBS dont il est toujours vice-président – il a été appelé à la rescousse en 2009 lors du naufrage de la banque – et Syngenta dont il est président.

« Quand j’ai accepté cette dernière fonction en 2013, je m’attendais à une vie plus calme », avoue-t-il. Il aura été sur tous les fronts ces deux dernières années. D’abord pour défendre Syngenta face aux manœuvres hostiles de Monsanto. « J’ai dû batailler contre certains de mes propres actionnaires qui étaient aussi actionnaires de Monsanto. J’ai tenu bon mais cela a été une période très difficile. J’ai subi beaucoup d’attaques personnelles ». Ensuite pour négocier la vente de Syngenta à ChemChina. « Au final, je suis fier d’avoir pu réussir à préserver l’emploi et l’intégrité de la société », se réjouit-il.

Il a aussi présidé la fédération patronale suisse, Swissholdings et est impliqué dans la gestion de l’école de commerce de Lausanne (IMD). « La Suisse est un pays très ouvert qui tolère très bien le fait d’avoir des leaders étrangers à la tête de ses entreprises. Mais je trouve important que ces leaders jouent en retour un rôle dans le pays ».

J.-F. M.

Le Soir

Glyphosate: «Personne ne veut vendre des produits nocifs»

Le débat fait rage en Europe et aux États-Unis autour du glyphosate, cet herbicide dont certaines études indiquent le caractère cancérigène. Des documents publiés par la justice américaine dévoilent les techniques mises en place par Monsanto (Roundup) pour discréditer ces études (intimidation de scientifiques…). C’est désastreux pour l’image de votre industrie non ?

Un des gros problèmes nés d’une fusion éventuelle entre Syngenta et Monsanto aurait été la différence de culture. Je n’en dirai pas plus (rires…). C’est sûr que notre industrie a besoin de communiquer de façon beaucoup plus positive. On doit mieux faire comprendre le risque que la planète court de ne plus pouvoir nourrir sa population dans les décennies prochaines. Quand j’ai commencé dans ce secteur, j’ai été surpris par la virulence des attaques. Nous sommes tous des pères et mères de famille. Personne ne veut vendre des produits nocifs pour la santé des gens. Nos 28.000 travailleurs sont passionnés par ce qu’ils font et convaincus qu’ils travaillent pour le bien de la planète. Lire sans arrêt ces critiques qui ne sont jamais fondées sur des faits concrets n’est pas toujours agréable. Mais il faut continuer à communiquer et ne pas agresser les gens. Il faut aussi leur laisser le choix. S’ils n’ont pas envie d’OGM, on a d’autres semences. C’est ce qui nous différencie de Monsanto. On pâtit de la polémique autour de cette société depuis des années. On est mis dans le même sac alors que nos politiques commerciales et de communication ont été extrêmement différentes.

Il y a tout de même des études sérieuses qui indiquent que le glyphosate est probablement cancérigène et vous en vendez…

Il n’y a aucune preuve scientifique de la dangerosité du produit. Le problème des études scientifiques, c’est qu’on peut toujours trouver des gens qui ont des interprétations différentes. De notre côté, nous n’avons jamais rien trouvé. Depuis trois ans nous avons décidé de diminuer nos ventes de glyphosate. Non pas à cause d’un danger présumé pour la santé mais parce que c’est un herbicide non sélectif. On pense que pour protéger l’environnement, il vaut mieux utiliser des herbicides plus ciblés qui nécessitent moins d’arrosage.

Que pèsent les ventes du glyphosate chez Syngenta ?

On était à un milliard de dollars il y a quelques années. Nous sommes aujourd’hui à 600 millions et ça continue de baisser.

Propos recueillis par J.-F. M.

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