Moins d’un agriculteur sur deux juge son exploitation économiquement durable

Si une large majorité d’agriculteurs dit vouloir accroître la durabilité de leur exploitation,  ils ne sont qu’un tiers à savoir comment y parvenir.
Si une large majorité d’agriculteurs dit vouloir accroître la durabilité de leur exploitation, ils ne sont qu’un tiers à savoir comment y parvenir. - J.V.

Présentés par Caroline Devillers, responsable Agri chez CBC Banque, les résultats de l’Observatoire « Les Belges et la durabilité du monde agricole » s’attardent en premier lieu sur la connaissance qu’ont les consommateurs et les agriculteurs du concept d’agriculture durable. Avec un constat frappant : si 6 Belges sur 10 déclarent avoir une connaissance spontanée de l’agriculture durable, seuls 3 agriculteurs sur 10 en discernent les trois piliers, à savoir l’économique, l’environnemental et le social. Il s’agit donc d’un concept relativement flou pour la communauté agricole.

« Toutefois, une fois la notion d’agriculture durable définie, consommateurs et agriculteurs se rejoignent. Ils sont en effet plus de 90 % à accorder de l’importance à ce concept », nuance Caroline Devillers.

Des priorités différentes

Derrière cette large unanimité se cachent néanmoins diverses priorités. Ainsi, les consommateurs sont 65 % à considérer le pilier environnemental comme étant le plus important, loin devant le social (17 %) et l’économique (15 %).

Les critères auxquels le Belge se montre le plus sensible au sein des trois piliers de l’agriculture durable ne constituent quant à eux qu’une demi-surprise. En effet, ils privilégient majoritairement l’achat de produits frais (68 %), de saison (60 %) et locaux (55 %). Le caractère biologique des produits achetés et consommés n’est prépondérant que pour 22 % des sondés. Plus décevant, les résultats révèlent encore que garantir un salaire décent au producteur n’est déterminant que pour un Belge sur cinq.

Du côté des agriculteurs, les considérations économiques l’emportent largement (62 %). Un résultat sans surprise : tout exploitant souhaite pérenniser son activité et bénéficier d’un revenu décent pour le travail qu’il accomplit. Le pilier environnemental arrive en seconde position et récolte 22 % des suffrages. Déjà à la traîne aux yeux des consommateurs, le pilier social ne fait guère mieux chez les producteurs (12 %).

Dans les fermes

L’Observatoire a également demandé aux agriculteurs d’évaluer leur durabilité, en s’auto-attribuant une cote sur 10, et comment l’améliorer.

Premier constat : les fermiers se donnent, en moyenne, un score de durabilité économique de 6,2/10 mais ne sont que 48 % à considérer que leur exploitation est économiquement durable.

Afin d’améliorer ce résultat, ils souhaiteraient maîtriser deux compétences qu’ils estiment leur faire défaut : négocier davantage les prix avec leurs fournisseurs et créer plus de valeur ajoutée sur leur production. Réfléchir à plus de collaboration entre fermes ne semble pas être une priorité. A contrario, ils affirment déjà maîtriser leurs charges financières et savoir interpréter les résultats techniques et financiers de leur exploitation, ce qui ne peut qu’être favorable dans leur recherche de durabilité économique.

Concernant la durabilité sociale, les agriculteurs se donnent un score moyen de 6,1/10. Seuls quatre agriculteurs sur dix jugent être « socialement durables ».

Ici aussi, des pistes d’amélioration sont évoquées par les agriculteurs ; la principale étant de prendre plus de temps pour leur famille et leurs amis. Une part importante d’entre eux estime déjà travailler à la durabilité sociale de leur exploitation. D’une part, en communiquant positivement sur le métier et, d’autre part, en optimisant leurs équipements pour faciliter leur travail et améliorer leur bien-être. L’Observatoire met également en évidence qu’ouvrir sa ferme aux écoles ou aux riverains n’est pas une priorité pour une majorité d’agriculteurs.

« Près de 9 Belges sur 10 sont favorables à la création d’un label Agriculture Locale et Durable », souligne Caroline Devillers.
« Près de 9 Belges sur 10 sont favorables à la création d’un label Agriculture Locale et Durable », souligne Caroline Devillers.

C’est au niveau de la durabilité environnementale que les exploitants se donnent la meilleure note : 6,9/10. C’est par ailleurs la dimension qui est la mieux maîtrisée puisque plus de six agriculteurs sur dix affirment être durables sur le plan environnemental. « C’est également le critère auquel le consommateur accorde le plus d’importance », commente Caroline Devillers. Et d’ajouter « Il faut néanmoins faire des efforts pour que les autres piliers soient eux aussi considérés à leur juste valeur par le consommateur ».

Pour parvenir à ce résultat, bon nombre d’exploitants utilisent déjà des techniques de conservation des sols ou diminuent leurs doses d’intrants. Mais afin de faire mieux, ils souhaiteraient réduire leur dépendance énergétique. L’Observatoire révèle encore que 80 % des exploitants n’envisagent pas de convertir tout ou partie de leur ferme à l’agriculture biologique. « Agriculteurs et consommateurs se rejoignent sur ces points. En effet, ces derniers ne sont que 22 % à porter une attention particulière au caractère biologique de leurs denrées alimentaires. »

S’améliorer, mais comment ?

Selon les résultats présentés par Mme Devillers, une large majorité d’agriculteurs envisagent d’étudier des pistes pour améliorer leur durabilité, tout pilier confondu. Toutefois, seul un tiers d’entre eux sait, ou dit savoir, comment s’y prendre.

Ainsi, pas moins de 87 % des agriculteurs souhaitent accroître leur durabilité économique mais ils ne sont que 28 % à savoir par où débuter. 80 % des sondés désirent également travailler sur leur durabilité environnementale. Ils sont d’ailleurs 37 % à affirmer savoir comment s’y prendre. « Ce qui n’est pas surprenant au vu des politiques actuelles », commente-t-elle. Enfin, développer davantage la durabilité sociale intéresse 70 % des sondés, mais seuls 20 % envisagent des actions concrètes. « Il s’agit du pilier pour lequel les exploitants se sentent le plus démunis. »

Des efforts valorisés par un label

Les résultats révèlent encore que 62 % des agriculteurs sondés estiment que l’agriculture durable constitue un argument marketing intéressant permettant, notamment, de mieux valoriser leur production. Mais un label « Agriculture Locale et Durable » serait-il accueilli positivement par les consommateurs ?

Et bien oui, à en croire l’Observatoire CBC. « Près de 9 Belges sur 10 se disent ouverts à l’idée de voir apparaître un tel label. Au vu de ces résultats, son utilité n’est pas à remettre en question », commente Mme Devillers. À condition toutefois qu’un certain nombre d’agriculteurs se l’approprie et se lance dans l’aventure.

J.V.

Un outil pour évaluer la durabilité de son exploitation

« Tant les consommateurs que les producteurs souhaitent un monde agricole plus durable. 65 % des agriculteurs sondés désirent par ailleurs mesurer la durabilité de leur exploitation. CBC souhaite les accompagner dans leurs démarches », explique Caroline Devillers. C’est pourquoi la banque a créé, avec l’aide d’un partenaire français, un outil d’évaluation de la durabilité des fermes wallonnes.

Au sein des trois piliers de la durabilité, l’outil analyse 7 critères précis et leur donne une cote allant de 1 à 5. Les piliers environnemental et social sont appréciés sur base des bonnes pratiques en application, ou non, sur l’exploitation. La durabilité économique est quant à elle évaluée sur base de la dernière comptabilité de gestion. « Le but n’est pas d’obtenir la cote maximale pour chacun des critères mesurés. Chaque exploitation est unique et doit le rester », insiste Mme Devillers.

Si dans un premier temps ces diagnostics sont réalisés par les responsables Agri et les chargés de relation de CBC, une application sera disponible pour tous les clients agriculteurs de la banque d’ici fin 2018. « Une fois le diagnostic achevé, l’agriculteur a la possibilité de déterminer le critère qu’il souhaite améliorer pour chacun des trois piliers. Dès lors, son conseiller met à sa disposition une liste de personnes-ressources susceptibles de l’aider », ajoute-t-elle.

À l’horizon fin 2019, l’outil devrait être ouvert à tous les agriculteurs.

Quelles agricultures pour demain?

Face à ces résultats, Luc Pussemier, expert international en évaluation des risques sanitaires et environnementaux, n’a pas manqué de rappeler quels sont les chantiers prioritaires en vue d’accroître la durabilité des exploitations agricoles belges.

Ainsi, selon lui, le pilier économique ne peut être amélioré qu’en créant davantage de valeur ajoutée, tant pour les productions végétales qu’animales. Et de préciser : « La qualité doit primer sur la quantité et plusieurs leviers permettent d’y arriver ». Ainsi, favoriser une alimentation animale diversifiée permet d’augmenter la qualité de la viande. De même, fournir aux animaux une alimentation sélectionnée (lin ou colza, par exemple) permet d’enrichir la viande en oméga-3 essentiels à la santé humaine.

Concernant le pilier environnemental, il cible, tout comme les agriculteurs, une réduction de la dépendance énergétique. « La biométhanisation à la ferme ou l’utilisation des techniques culturales simplifiées, permettant de réduire la consommation de carburant, figurent parmi les solutions qui se présentent aux agriculteurs. » Augmenter le bien-être animal ou favoriser les mesures agro-environnementales en sont d’autres.

Enfin, l’amélioration du pilier social passe par l’ouverture, la communication et la transparence. « Des initiatives telles que les journées fermes ouvertes ou la vente directe doivent se poursuivre, voire s’intensifier », insiste-t-il.

Cohabiter sans s’opposer

Toutefois, l’expert ne plaide pas pour un modèle agricole en particulier : « Plusieurs modèles peuvent cohabiter, sans s’opposer, et apporter davantage de durabilité ».

Ainsi, si l’agriculture biologique est souvent mise en avant et permet de réduire les consommations d’intrants et de produits phytosanitaires, d’autres modèles ont également leur rôle à jouer en matière de durabilité, y compris d’un point de vue écologique. « Le bio connaît également des limites. Qu’en sera-t-il de sa durabilité économique si la demande des consommateurs est inférieure à l’offre ? », ajoute-t-il.

« La durabilité sociale ne peut être atteinte que par l’ouverture, la communication et  la transparence », prône Luc Pussemier.

Luc Pussemier recommande ainsi de donner la priorité aux enjeux majeurs de notre agriculture, tous modèles confondus : conserver la dimension humaine des exploitations, maîtriser les émissions de gaz à effet de serre et maintenir la biodiversité.

J.V.

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