Accueil Environnement

L’abissage, une pratique qui refait surface

Irriguer, fertiliser et laver les prairies de fauches... Telles étaient autrefois les rôles des canaux d’abissage. Aujourd’hui réhabilité, le canal des Prés aux Tambales met non seulement en avant un patrimoine rural mais également une biodiversité aussi riche que rare pour un coin semi-montagnard (480 m). Inauguré le 7 avril à Rogery (Cierreux), le site de grand intérêt biologique devrait en outre revêtir un attrait touristique.

Temps de lecture : 4 min

T ombée aux oubliettes après la 1ère guere mondiale, la pratique de l’abissage a repris quelques une de ses couleurs d’antan. Très répandu autrefois sur la face ouest de l’Europe, de Espagne à la Norvège, le recours à cette technique était monnaie courante dans toute l’Ardenne et la Haute Ardenne.

L’asbl Agra-Ost en a retrouvé des traces à Rogery, dans un fond de vallée surnommé «les Prés aux Tambale». L’irrigation y a été remise en activité dans sa partie nord, l’eau du canal se jetant dans le grand étang situé plus à l’ouest. A noter que la prairie est entretenue par un agriculteur qui suit, depuis 2013, le cahier des charges MAEC relatif à la prairie de haute valeur biologique.

Les Prés aux Tambales

Et M. d’Otreppe de Bouvette, propriétaire des lieux, d’expliquer qu’en 1860 les deux rives de la lande étaient irriguées. Outre l’apport en eau, ces deux canaux permettaient d’acheminer de minéraux, et de laver (éliminer taupes et campagnols) les quelque 8 ha de terres concernés.La lande était alors pâturée par des ovins. «Et qui dit moutons dit nardaie, une pelouse typique se développant sur des sols acides et pauvres en éléments nutritifs», explique Pierre Luxen, directeur d’Agra-ost.

La pelouse à nard est un habitat prioritaire reconnu par la directive Natura 2000, que la région doit absolument protéger. Si le site est hors Natura 2000, il reste de grand intérêt biologique.

Autre intérêt du site, la présence d’anciens tertre d’orpaillages, soit des vestiges de la ra recherche d’or dans la région.

Une flore importante

L’apport d’éléments minéraux par l’abissage a permis de développer une flore particulière. «On est en présence de sols acides. Pourtant l’on retrouve une flore inféodées à des sols riches en base, comme la colchique des prés et d’autres espèces assez typiques qui permettent à classer ces lieux en prairies à haute valeur biologique», analyse encore M. Luxen.

Et de poursuivre: «Les prairies avaient un faciès qui ne représentait pas les lieux. Cela nous a fait prendre conscience de la richesse des prairies abissées. On peut y retrouver jusqu’à 50 espèces différentes alors qu’on en retrouve à peine une dizaine dans les prairies de fauche pâturées. «On y compte notamment la présence de deux espèces remarquables à l’échelle wallonne qui sont l’écuelle d’eau (Hydrocotyle vulgaris), plus petite ombellifère de Wallonie, et la wahlenbergie (Wahlenbergia hederacea), petite fleur des bords des cours d’eau de la famille des campanules.»

Bientôt un patrimoine culturel immatériel?

Hubert Bedoret, directeur de Natagriwal, n’a pas manqué de souligner la multidisciplinarité du projet: « La restauration du site permet non seulement de maintenir et de protéger un patrimoine de grand intérêt biologique mais également un patrimoine rural matériel et immatériel.» Et d’insister: «La richesse naturelle de la région vient aussi des pratiques agricoles. L’équilibre à trouver entre ces bonnes pratiques et la protection des espèces a été, est et sera toujours possible!»

Le ministre Collin va dans ce sens: «Le projet est la preuve qu’avec des moyens limités, on peut renforcer le lien entre l’agriculture et la biodiversité. Les actions menées en faveur de la biodiversité sont utiles à l’agriculture et inversement. Une agriculture bien aménagée est largement profitable à la biodiversité. «En Wallonie, on a de l’expertise, un savoir faire qui est particulièrement aiguisé et utile à l’intérêt général et... particulier!»

Récemment, un groupe de travail international s’est d’ailleurs constitué autour des pratiques d’abissage. Il n‘est donc pas à exclure que, dans un futur proche, l’Unesco puisse considérer toutes les pratiques relatives à l’abissage comme patrimoine culturel et immatériel des régions qui les valorisent.

A lire aussi en Environnement

Voir plus d'articles