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Le verger, un véritable cabinet de curiosités vivant

Que ce soit sur la ramure, au niveau du feuillage ou sur les fruits, le verger réserve de nombreuses curiosités à qui sait se montrer observateur. En voici un bref tour d’horizon.

Temps de lecture : 9 min

À l’occasion de visites en Belgique et à l’étranger, nous avons à plusieurs reprises eu l’occasion de voir un « cabinet de curiosités », lieu étrange destiné à étonner et à intriguer les visiteurs par son contenu : une multitude d’objets étranges ou habituels rassemblés par le propriétaire des lieux afin de distraire ses invités. Et assurément cet objectif est généralement pleinement atteint !

De là nous est venue la question : un verger ne serait-il pas en quelque sorte un cabinet de curiosités vivant ? Car en effet, pour celles et ceux, amateurs ou professionnels qui parcourent un verger, les causes d’étonnement et de questionnements sont multiples, dans le comportement des arbres et des arbustes et dans ses conséquences.

La lecture de ce qui suit constitue assurément une réponse positive à la question posée.

Un peu d’histoire de l’art

Dans les siècles passés, les demeures de personnages fortunés – châteaux, gentilhommières ou hôtels de maîtres – comportaient souvent un « cabinet de curiosités » dans lequel était présentée une grande diversité d’objets rares ou étonnants destinés à émerveiller les hôtes et qui témoignaient du prestige du propriétaire. La vogue des cabinets de curiosités débuta à la Renaissance et connut son apogée au 18ème  siècle, puis elle régressa.

On y trouvait une très grande diversité d’objets de toutes sortes et de toutes origines, ce en quoi un cabinet de curiosités diffère d’une collection ou d’un musée où tous les objets présentés font partie d’un même thème bien précis. Son importance peut varier d’une simple armoire à une pièce entière.

Parmi les objets exposés dans un cabinet de curiosités figurent de nombreuses pièces ramenées en Occident par des voyageurs à l’époque des grandes découvertes : objets usuels, artistiques ou de cultes de peuples lointains, ainsi que divers animaux naturalisés, encore inconnus en Europe, ou des minéraux extraordinaires.

Le progrès des sciences a été une autre source de curiosités : la médecine a fourni des pièces anatomiques parfois morbides et dignes de figurer dans le Musée Spitzner comme des fœtus ou des têtes humaines réduites, des parties de corps tatouées. La physique, considérée comme une science amusante, offrait des appareillages permettant de réaliser diverse expériences : en optique ou en électricité par exemple. La mécanique a produit des automates très réalistes et des horloges. La chimie était également représentée.

Et dans le verger ?

Un verger peut aussi, en quelque sorte, être un cabinet de curiosités puisque l’arboriculteur peut fréquemment y observer des anomalies ou des phénomènes curieux. Dans certains cas, il s’agit de déformations qui sont la conséquence d’une mutation spontanée ou d’une pathologie, mais nous verrons qu’il peut exister diverses autres causes.

Ces « curiosités » ont été classées selon l’endroit où elles apparaissent : dans la ramure ou dans les fruits ; ou selon la manière dont elles affectent un processus physiologique : principalement la croissance. En circulant dans son verger, le lecteur aura peut-être l’opportunité d’en observer diverses autres, puisque sont nombreuses les variations qui se produisent dans la nature et qui sont à la base de l’évolution.

La rouille grillagée colore les feuilles  du poirier d’une teinte orange.
La rouille grillagée colore les feuilles du poirier d’une teinte orange.

Outre les arbres et arbustes fruitiers, la faune et la flore d’un verger peuvent aussi présenter des anomalies que l’on pourrait classer parmi les « curiosités ».

Durant la croissance

Après le repos hivernal, le non-démarrage de la croissance ou un démarrage irrégulier des différents bourgeons peut être dû à une levée incomplète de leur dormance. Ce phénomène peut s’observer dans des régions où l’hiver est doux ; il n’existe pas chez nous actuellement dans les vergers de plein air où, chaque année, les besoins en froid ont été satisfaits, mais qu’en sera-t-il en cas de réchauffement de notre climat ? L’absence totale de croissance d’un arbre résulte de sa mort, soit due à l’âge, soit à un gel hivernal inhabituel.

Le dessèchement brutal total d’un jeune arbre pendant la belle saison est souvent la conséquence d’une attaque de système radiculaire par le grand campagnol (Arvicola terrestris). Chez les poiriers, le dessèchement de l’une ou l’autre branche peut être dû à une attaque de zeuzère (Zeuzera pirina) ou de bupreste (Agrilus sinuatus) ; chez les pommiers et les poiriers, il peut être dû au feu bactérien (Erwinia amylovora) ou à la présence de sésie (Synanthedon myopaeformis), et chez les cerisiers à la bactérie Pseudomonas mors-prunorum ou à la moniliose (Monilia laxa) principalement chez les griottiers.

Greffe spontanée, résultant du frottement de deux branches blessées l’une sur l’autre.
Greffe spontanée, résultant du frottement de deux branches blessées l’une sur l’autre.

La croissance rythmique des arbres fruitiers en trois phases – pousse printanière, pousse de la Saint-Jean puis pousse d’août, séparées par deux arrêts – est endogène et tout à fait normale.

La vigueur d’arbres d’une même variété peut différer fortement ; elle est influencée fondamentalement par le sujet porte-greffe. Ainsi, par le choix du porte-greffe judicieux, il est possible d’obtenir pour la même variété un arbre qui à l’âge adulte ne dépassera pas une hauteur de 1,5 m et un arbre de 6 à 7 m. De plus, chez certains pommiers comme ‘Golden delicious’ et ‘Red delicious’ sont apparus des mutants à croissance très faible appelés « spurs ».

Une mutation à port colonnaire appelée ‘Wijcik’ a été repérée chez le pommier ‘Mac-Intosh’ ; ce caractère a été utilisé pour la création de plusieurs pommiers qui forment un axe non ramifié.

Des anomalies de fonctionnement des bourgeons peuvent donner naissance à des fasciations (plusieurs rameaux accolés) ou à des proliférations (développement des bourgeons axillaires dû à un phytoplasme). Des tumeurs peuvent apparaître sur les tiges ou les racines à cause de la bactérie Agrobacterium tumefaciens . Chez la vigne, la virose appelée « court-noué » est responsable d’entre-nœuds courts des sarments.

Les « broussins » sont des proliférations anarchiques sur la base des troncs de pommiers et de vignes.

La ramure : bourrelet, fente, coloration du feuillage…

Chez différentes espèces fruitières, principalement les pommiers, il est possible d’observer au niveau de la greffe un bourrelet difforme qui se développe avec l’âge, mais qui ne semble pas affecter l’arbre.

Sur la ramure d‘arbres âgés peuvent se développer le carpophore de plusieurs champignons lignicoles dont le mycélium a envahi le bois ; parmi les plus fréquents : Chondrostereum purpureum , Laetiporus , Phellinus , Polyporus , Schizophyllum et Xanthochorus . Armillaria mellea forme de volumineux amas de carpophores brun clair sur des souches ou au pied d’arbres vivants.

Le tronc et les branches principales peuvent présenter en hiver une fente longitudinale, généralement orientée au Sud-Ouest : il s’agit d’une gélivure, dégât qui se produit lorsque survient brutalement une variation importante de la température : par exemple une journée ensoleillée après une nuit très froide. Le blanchiment préalable des troncs permet d’éviter ce phénomène, et le badigeonnage avec un enduit permet d’assurer la cicatrisation.

Bourrelet de greffe sur pommier.
Bourrelet de greffe sur pommier.

Le greffage spontané de branches blessées en frottant l’une sur l’autre est assez fréquent.

Le feuillage des arbres peut présenter des colorations anormales de teintes diverses sous forme de panachures ou de taches, ainsi que des perforations. Plusieurs maladies cryptogamiques ou virales en sont la cause. Sur les pommiers, les cassissiers et les groseilliers épineux, l’oïdium confère au feuillage et aux rameaux une teinte blanche.

Des feuilles recroquevillées et déformées peuvent être dues à un cryptogame (la cloque du pêcher, par exemple) ; elles sont aussi le signe de la présence à leur face inférieure d’une colonie de pucerons : une fondatrice et sa nombreuse descendance.

Chez le cassissier, les bourgeons hivernants peuvent être hypertrophiés, et de forme sphérique ; le responsable est un acarien microscopique, Eriophyes (= Cecidophyopsis) ribis présent en colonies qui peuvent compter plusieurs centaines d’individus dans chaque bourgeon !

Le plus de « curiosités » ? Sur les fruits !

Ce sont eux qui nous procurent le plus de « curiosités » à observer, en ce qui concerne leur aspect, leur coloration ainsi que diverses autres anomalies.

Chez certaines variétés de poires, notamment ‘Conference’, on peut observer des fruits de forme très allongée, semblables à des bouteilles de vin d’Alsace ; ils ne contiennent pas de pépins. Ils résultent d’un phénomène appelé « parthénocarpie », c’est-à-dire développement du fruit sans qu’il y ait eu fécondation de la fleur.

Effet du gel floral sur pomme.
Effet du gel floral sur pomme.

Chez certaines pommes, on peut remarquer en coupe longitudinale (= du pédoncule au calice) une dissymétrie très forte ; on constatera aussi que le côté le plus renflé est celui où les loges carpellaires contiennent le plus de pépins.

Chez les espèces à pépins, des mutations spontanées ont provoqué une augmentation du calibre des fruits : par exemple chez les pommes ‘Cox’s Orange Pippin’ ou ‘Winston’ et la poire ‘Conference’.

Des attaques de puceron cendré du pommier (Dysaphis plantaginea) dès la floraison induisent un arrêt de développement des fruits ; ils restent petits, bosselés et difformes jusqu’en fin de saison. C’est le puceron le plus nuisible sur pommiers puisqu’il apparaît au moment où peu de prédateurs sont déjà présents.

Taphrina pruni, la maladie de « pochettes » ou « gosettes » induit une déformation curieuse des prunes pendant leur développement : elles ont une forme allongée, aplatie, comme une langue de chat, et une teinte blanc-verdâtre. Cette maladie est favorisée par un temps froid et pluvieux pendant la floraison.

Les mutations de la coloration de l’épiderme sont très nombreuses chez les pommes et un peu moins chez les poires ; la zone mutée peut être une plage uniforme, ou des stries ; elle peut varier d’un fruit à l’autre sur le même arbre. Chez ‘Jonagold’, les mutations repérées sont si nombreuses (plus d’une centaine à ce jour !) que pour éviter des confusions, elles ont été regroupées en plusieurs classes distinctes. Dans le passé, des panachures ont aussi été remarquées sur certaines variétés de poires.

Un aspect rugueux de l’épiderme des fruits à pépins peut être dû à une mutation mais aussi à une pluviosité très forte dans le mois qui suit la floraison, ou à l’agressivité de certains produits phytopharmaceutiques (le cuivre, par exemple), ainsi qu’à des gelées pendant la floraison.

Présence de prunes doubles, à gauche et à droite.
Présence de prunes doubles, à gauche et à droite.

Des fruits « siamois » qui présentent un seul pédoncule pour deux, ou qui sont reliés au niveau de la chair peuvent se remarquer sur certaines variétés de pommes ou de prunes.

Les monilioses (Monilia laxa, Monilia fructigena) sont responsables de pourritures brunes ou bleuâtres de la chair des fruits à pépins et à noyau. En hiver, des fruits momifiés qui restent accrochés à la ramure sont responsables des infections l’année suivante. Des coussinets sporifères beiges ou brun clair se développent en cercles concentriques spectaculaires.

Ir. André Sansdrap

Wépion

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