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«Le Pays de Herve, un exemple typique d’agroforesterie traditionnelle»

Depuis 2012, l’association wallonne d’agroforesterie, l’AWAF, fait la promotion de l’agroforesterie en Wallonie et à Bruxelles. Mais de quoi s’agit-il exactement et quelles sont les activités concrètes de cette asbl ? Géraud de Streel, bio-ingénieur à l’association nous éclaire à ce sujet.

Temps de lecture : 8 min

Petite asbl de promotion de l’agroforesterie, l’Awaf emploie 2 bio-ingénieurs à Strée (Modave). Ne disposant pas d’un financement structurel, elle fonctionne grâce au financement de projets par la région wallonne ou l’UE (projet Interreg, projet Life…). Avant de détailler les deux projets gérés actuellement ainsi que les autres activités de l’association, attardons-nous un peu sur la définition de l’agroforesterie.

Intérêt grandissant pour l’agroforesterie

Géraud de Streel définit l’agroforesterie comme étant toute forme d’association entre des éléments ligneux – arbres ou arbustes – et une production agricole. La production agricole étant importante dans le concept, même si elle n’est pas vraiment définie, précise-t-il. Et de citer quelques exemples typiques : le réseau bocager associant un ensemble de haies interconnectées à l’élevage de bétail, les vergers haute tige (pâture et production fruitière), les arbres têtards. Le pays de Herve est un exemple typique d’agroforesterie traditionnelle, cette pratique étant très ancienne. Mais le concept a beaucoup évolué ces dernières années. Cette technique est réadaptée au contexte actuel via de nouvelles pratiques comme l’alignement d’arbres (fruitiers ou pour la production de bois) dans les grandes cultures, le taillis à courte rotation dans les parcours volailles… S’ajoutent aussi toutes les formes de haies, qu’il s’agisse des haies brise-vent comme dans le bocage de Rachamps près de Bastogne, de haies anti-érosives, des haies fruitières, clôtures ou encore mellifères visant à favoriser la biodiversité.

Ces nouvelles pratiques rencontrent de plus en plus de succès. C’est bien sûr plus compliqué de consacrer une zone pour des arbres, dans les régions où la terre se vend à 80.000 €/ha constate notre hôte, mais l’intérêt est grandissant en Wallonie.

Les vergers hautes tiges du Pays de Herve sont un exemple traditionnel d’agroforesterie.
Les vergers hautes tiges du Pays de Herve sont un exemple traditionnel d’agroforesterie.

Vers une filière noix, noisette et châtaigne en Wallonie

Dans l’asbl, Camille Dumont de Chassart est responsable du projet NNC (noix, noisettes châtaignes). Son but : favoriser l’implantation et la bonne gestion d’un maximum d’arbres destinés à la production de fruits secs et promouvoir le développement des filières de production de ces fruits en Wallonie. Ce projet s’inscrit dans le cadre de la relocalisation de l’alimentation. On constate en effet une hausse de la consommation des fruits secs, mais la quasi-totalité est importée. Comme on a le potentiel pour produire ces fruits dans nos régions, pourquoi ne pas le faire en qualité différenciée et développer une filière vertueuse en circuit court ? Une étude a donc été lancée pour pointer les freins au développement de cette filière. Un exemple : il existe des traitements contre les ravageurs, mais pas de produit bio homologué. Il faut donc trouver des alternatives, explique notre hôte. Camille a aussi identifié les acteurs intéressés par ces productions, du producteur au transformateur, afin de créer des contacts. Elle a ainsi mis en lumière la demande locale au niveau des produits transformés, comme des pâtes de fruits secs par exemple.

Autre volet du projet : l’identification de vieux noyers pour étudier leurs caractéristiques (rendement en huile, qualité gustative, débourrement tardif…) et les reproduire dans un verger expérimental. Un appel a été lancé l’an dernier pour retrouver des noyers de plus de 30 ans. Il y a eu beaucoup de réponses, mais les arbres très anciens, de plus de 30 ans ne sont pas si fréquents. Durant les deux guerres, on a quasiment perdu tous les noyers. Ils étaient arrachés car la culée était employée pour la fabrication des crosses de fusils, explique Géraud de Streel. Cet appel a malgré tout permis de retrouver des sujets anciens. Des greffons ont été réalisés et envoyés en pépinière d’élevage en France, où il existe encore une filière noix et les compétences spécifiques liées à cette culture.

Actuellement, trois vergers de noyers sont en production. Au niveau des noisettes, un projet de 20 ha a été lancé à Fosses-la-Ville. Les noisetiers sont plantés, mais pas encore en production. L’exploitant de ce verger envisage la construction d’une usine de transformation des noisettes (cassage, séchage et torréfaction) et le développement de la filière. En châtaignes, il n’y a pas de projet conséquent qui se met en place.

Dans ce projet, l’asbl agit aussi en tant que conseiller de première ligne, en répondant aux demandes d’informations des agriculteurs ou particuliers. Elle relaie l’information disponible et oriente les demandeurs vers les organismes ou personnes spécialisées comme Natagriwal spécialiste des MAEC (mesures agri-environnementales et agroclimatiques), de Natura 2000, des subventions aux plantations, le C.D.A.F. – centre de développement agroforestier de Chimay – ou encore les experts agroforestiers qui se chargent des plans de plantations, des analyses de sol… En effet, pas question pour l’association de créer une concurrence déloyale en utilisant des subventions des services publiques qui concurrenceraient les services donnés par ces experts indépendants précise Géraud de Streel. L’association organise aussi des formations destinées aux professionnels en fonction des besoins.

Le taillis de saule à courte rotation est récolté mécaniquement. Il est ensuite broyé.  Le broyat séché est utilisé en plaquettes pour la production d’énergie,  comme litière animale (avant d’être épandu sur les champs) ou comme paillage.
Le taillis de saule à courte rotation est récolté mécaniquement. Il est ensuite broyé. Le broyat séché est utilisé en plaquettes pour la production d’énergie, comme litière animale (avant d’être épandu sur les champs) ou comme paillage.

Projet Agriculture Biodiversité Climat (ABC)

Le projet ABC, conduit par Géraud de Streel, est réalisé dans le cadre d’une convention avec la Région Wallonne. L’Awaf travaille en collaboration avec le Centre Agri-environnemental de Michamps (UCL), l’asbl Natagriwal, le Centre de Recherches Agronomiques à Gembloux et la Fédération des parcs naturels de Wallonie. L’objectif de tous les partenaires est de restaurer le bocage, développer la diversité au sein des vergers haute tige et développer l’agroforesterie en Wallonie.

Dans ce projet, les actions spécifiques de l’Awaf concernent notamment la formation et la sensibilisation autour des haies, la rédaction d’outils techniques et la collaboration au projet Inventori’haies et à la réalisation d’une base de données rassemblant tous les intervenants dans la plantation de haies.

– Formation

L’Awaf se charge des formations des planteurs éligibles aux subventions à la plantation, tant agriculteurs que particuliers. Il peut s’agir d’initiation à l’agroforesterie, de formations techniques plus approfondies (plantation, paillage…) ou encore de formations à un public plus spécialisé comme les agents du service public. L’an dernier, l’association a touché 500 personnes lors de ses formations. Des conférences-débats et animations sont aussi réalisées dans des écoles agronomiques ou dans le cadre du PCDN. Enfin, l’Awaf mène aussi des actions de sensibilisation lors des grandes foires agricoles. Elle sera ainsi présente à la foire de Battice-Herve.

– Rédaction d’outils techniques

À côté de ce volet formation, l’association rédige des documents techniques informatifs. Un exemple : la brochure « Mahaie.be-haie si on plantait ? » (disponible en version téléchargeable sur le site de l’Awaf), vient en aide à toute personne désireuse d’implanter une haie sans savoir comment s’y prendre. Cette brochure interactive fournit pour chaque région les espèces à implanter et les schémas types de plantation en fonction des objectifs visés (haie brise-vents, antiérosive, haie favorisant la biodiversité, haie pour la production de biomasse ou de fruits…). La plantation, le matériel, l’entretien, la taille, les subsides, la législation sont aussi brièvement abordés. Il s’agit d’un document informatif mais c’est un bon mode d’emploi et une base de réflexion avant de passer à l’action, précise notre interlocuteur.

Toujours dans le but d’informer le plus grand nombre, des fiches stratégiques (par exemple, « A quoi penser quand on plante une haie ? ») et de nombreux exemples de projets réalisés en Wallonie sont aussi disponibles sur le site de l’association.

– Collaboration au programme « Yes we plant »

Dans le cadre de ce projet wallon visant à la plantation d’arbres et de haies, l’AWAF participe à la création d’une base de données mutualisée avec le CDAF et la Fédération des parcs naturels. Leur but est de lister tous les acteurs importants dans la plantation : fournisseurs de plants, de matériel, experts agroforestiers, experts en vergers. Ce fichier devrait être publié sur le site à l’automne.

Toujours dans le cadre du programme Yes we plant, l’Awaf, le centre de Michamps et le comptoir forestier collaborent à l’action « Inventori’haie ». Ce projet dont nous avons fait écho dans le Sillon du 11 août dernier vise à identifier un grand nombre de semenciers potentiels d’espèces ligneuses indigènes (arbres isolés, haies…). Il y a en effet un déficit de plants, car les plantations de haies et d’arbres connaissent un énorme succès. Comme la création de vergers à graines pour les 65 espèces de plantes de haie indigène n’est pas vraiment réalisable, une solution consiste à récolter les graines de certaines espèces sur le terrain. Les individus âgés d’espèces indigènes, génétiquement bien adaptées aux conditions environnementales, et leurs graines sont particulièrement intéressants pour des nouvelles plantations. Mais il n’est pas si facile de trouver ces semenciers potentiels car la ressource est très dispersée sur le territoire. Il faut donc repérer des haies anciennes ou des zones intéressantes du point de vue de la production de graines. C’est le but d’Inventori’haies. Toute personne connaisseuse de la nature peut signaler géographiquement des zones d’intérêt et fournir quelques informations comme les espèces présentes, les signes de taille… sur le site « observations.be » accessible via la page internet du programme « Yes we plant ».

Les données récoltées seront ensuite analysées par des structures spécialisées dans l’agroforesterie et la gestion environnementale. Les listes des zones intéressantes seront ensuite communiquées aux pépiniéristes qui pourront y récolter des graines en sachant qu’il y a de la ressource. La production de plants diversifiés d’origine wallonne devrait ainsi s’accroître dans les prochaines années.

Relais aux pouvoirs publics

Le relais des difficultés de terrain aux pouvoirs publics est encore une autre activité de l’Awaf. On sort de décennies durant lesquelles la séparation entre le milieu agricole et forestier était particulièrement importante explique Géraud de Streel. Les législations ne sont donc pas prévues pour une gestion « agroforestière ». Il faut dès lors faire évoluer la législation. La réflexion est entamée par rapport aux permis d’abattage car un permis est exigé pour abattre un arbre agroforestier alors que ce n’est pas le cas pour un abattage en forêts. La place de l’arbre doit aussi être précisée dans la législation sur le bail à ferme ajoute-t-il. Mais cela commence à changer : le terme d’agroforesterie est apparu récemment dans le code de développement territorial. Une première étape qui laisse présager d’autres changements à l’avenir.

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