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Des stages chez «de Vries»: 25 ans d’expérience en ex-Allemagne de l’Est

Dans le cadre de stages à l’étranger, l’institut agricole et horticole de Torhout est en contact avec la famille de Kees de Vries, d’origine néerlandaise. L’exploitation Vrieswoud KG est gérée par Kees et son beau-frère Gerard Van Ginkel. L’occasion de savoir comment se porte l’agriculture dans l’Est de l’Allemagne.

Temps de lecture : 8 min

Le nom de l’exploitation « Vrieswoud KG » vient de la contraction des mots « de Vries et Nibbixwoud. Nibbixwoud est un village des Pays-Bas, berceau de la famille de Vries. C’est là que Kees y a débuté comme agriculteur, puis comme entrepreneur. Il est à présent politicien, membre du Bundestag, le parlement allemand. Au fil des ans, un certain nombre d’élèves sont venus accomplir un stage dans cette ferme. Ils peuvent également le faire dans la ferme ovine laitière de son frère, Arnold.

Vous êtes arrivés en Ex-RDA peu de temps après la chute du mur de Berlin. Quelle était la raison de ce départ ?

Kees de Vries : Nous sommes partis des Pays-Bas parce que nous étions trois frères (Arnold, Jan et moi) et que nous voulions tous nous lancer dans la production laitière.

À Nibbixwoud, un peu au nord d’Amsterdam, il n’y avait pas de terres disponibles, et il y avait les quotas laitiers. Inutile de dire les capitaux qu’il aurait fallu pour nous y installer. Par conséquent, dès que la réunification de l’Allemagne est devenue réalité, nous avons saisi à pleines mains la chance qui s’offrait à nous. Lorsque nous sommes arrivés, nous avons compris qu’il nous fallait, en plus, un cultivateur et un technicien. Des membres de notre famille sont donc venus compléter l’équipe.

Comment s’est passé le déménagement ?

Le déménagement des personnes et des animaux s’est déroulé sans difficultés notables, vu l’ouverture des frontières en Europe et la distance à parcourir qui n’était pas trop élevée.

De gauche à droite, Gerard van Ginkel et Kees de Vries. Ensemble, ils mènent une importante exploitation laitière en Allemagne de l’Est.
De gauche à droite, Gerard van Ginkel et Kees de Vries. Ensemble, ils mènent une importante exploitation laitière en Allemagne de l’Est.

Comment a-t-on réagi à votre arrivée ?

Les autorités politiques espéraient l’arrivée d’entrepreneurs extérieurs pour moderniser l’agriculture régionale. Des aides financières substantielles étaient également accordées. La population locale a d’abord eu une attitude réservée. Mais elle a vite compris que nous ne venions pas pour nous « sucrer ». Nous voulions construire notre avenir sur place, ainsi que celui d’un certain nombre de collaborateurs, et d’une partie de leur communauté villageoise. Nous avons donc été rapidement acceptés.

Quelle était la situation de l’agriculture à l’époque, et maintenant ?

À notre arrivée, l’agriculture était à bout de souffle, le système est-allemand qui consistait à « payer en fonction du coût de production » ne fonctionnait plus et les habitants n’avaient aucune expérience de la liberté de marché. Comment faire tourner des entreprises basées sur une main-d’œuvre salariée surabondante ? Entre-temps, on a réussi à en faire la région la plus moderne d’Europe, en partant des grandes structures existantes, et les progrès qui ont été accomplis vont durer encore longtemps.

L’agriculture est-elle un secteur économique important en Allemagne de l’Est ?

En Allemagne, il n’y a plus que quelques pourcents de la population qui soit active directement dans l’agriculture, mais l’importance économique de ce secteur est énorme si on inclut les industries de l’amont et de l’aval. C’est encore davantage le cas dans l’ancienne Allemagne de l’Est car, depuis la réunification, on a perdu beaucoup d’industries.

Quel est le marché du foncier, aussi bien pour la propriété que pour la location ?

La qualité des sols est exprimée en points. C’est très variable et cela se reflète dans les prix des terrains qui vont de 8.000 à 70.000 euros par ha. Les locations des terres varient également. D’après ce que nous entendons, cela va de 50 à 1.500 euros/ha. La loi sur le bail à ferme varie de land à land, et elle est beaucoup plus souple que celle qui est en vigueur aux Pays-Bas.

Vue sur les étables : de la sobriété, pas de luxe.
Vue sur les étables : de la sobriété, pas de luxe.

On dit que les coûts de production sont faibles en Allemagne de l’Est. Est-ce qu’on mise sur la technologie ?

Pour ce que je peux voir, on applique ici les techniques les plus modernes. Les développements sont tellement rapides qu’on éprouve parfois des difficultés à suivre. Le GPS est pour ainsi dire devenu un standard. Dans notre exploitation, presque tous les tracteurs, la moissonneuse-batteuse et l’ensileuse, sont équipés du GPS. Ces deux dernières sont dotées d’une mesure du rendement.

En vaches laitières, nous utilisons depuis 20 ans des podomètres et des compteurs de lait. Il n’y a pas longtemps, on a installé le deuxième carrousel complètement automatique en Allemagne de l’Est. À Berlin, la digitalisation de l’agriculture est un vrai thème de réflexion.

Mais celui qui a des surfaces ou du bétail doit quand même avoir du personnel…

Ici, dans l’ancienne Allemagne de l’Est, les exploitations sont généralement de grande taille. Notre ferme dispose d’environ 1.000 ha pour la production fourragère : maïs, herbes, luzerne, et pour les grandes cultures : céréales et colza. Il y a environ 1.000 vaches et on fait en outre un peu d’entreprise. Nous occupons 25 personnes, plus des étudiants, des stagiaires, sans oublier quelques personnes à temps partiel.

Quel est le coût salarial en Allemagne ?

Les salaires sont assez modestes, un ouvrier ordinaire coûte entre 1.800 et 2.400 euros bruts par mois. Plus on va vers l’Ouest, plus les salaires s’élèvent, mais les exploitations sont plus petites. Nous trouvons personnellement qu’il est très important que nos travailleurs se sentent bien chez nous, qu’ils soient fiers de leur entreprise, qu’ils tiennent à nous. Mais je pense que cette image est valable pour la plupart des entreprises en Allemagne de l’Est.

Comment les produits sont-ils commercialisés ? Via des firmes privées ? Les coopératives ont-elles des possibilités dans vos conditions ?

Au départ, les débouchés étaient en grande partie dans les mains de privés, mais il y a à présent de plus en plus des coopératives venant de l’Ouest qui s’intéressent à nos régions. C’est le cas de Westfleisch qui a abattu 7,7 millions de porcs et 379.000 bovins en 2015. Des entreprises comme Baywa et Raifeisen font à peu près tout en matière d’aliments du bétail, d’engrais, de semences et de produits phyto. Nous ne sommes pas membres d’une coopérative, seulement d’une association de producteurs laitiers. Celle-ci rassemble des producteurs laitiers qui vendent en commun leur lait à une laiterie. Nous faisons beaucoup d’affaires avec Agravis, une filiale de Raifeisen ainsi qu’avec plusieurs firmes privées. La situation actuelle en Allemagne de l’Est s’explique par le fait qu’il n’y avait pas de coopératives lors de la réunification mais aussi parce que la très grande majorité des grandes exploitations ne ressentaient pas le besoin d’une solidarité à travers des coopératives, aussi bien pour l’aval que pour l’amont.

La luzerne, un élément important du régime alimentaire et la rotation des cultures.
La luzerne, un élément important du régime alimentaire et la rotation des cultures.

Où en est le support politique aujourd’hui ?

La politique agricole est de plus en plus déterminée par les souhaits de la société, elle est, comme ailleurs en Europe, décidée au niveau européen. Nous dépendons des budgets européens.

En Allemagne de l’Est, les autorités régionales n’ont pas tellement de budget à consacrer à l’agriculture. Comme partout en Europe, il y a les règles en matière d’environnement, de bien-être animal, de lisier, de produits vétérinaires. Nous avons bien souvent l’impression que nos autorités veulent que nous soyons les meilleurs de la classe dans ces domaines. Le consommateur ordinaire dit qu’il est prêt à payer pour un meilleur bien-être animal et un meilleur environnement. Mais quand il achète, c’est souvent le moins cher. Tout ce que nous demandons, c’est travailler avec les mêmes règles, avec les mêmes normes.

L’Allemagne, c’est aussi le pays où il y a le plus d’énergie renouvelable.

C’est en Allemagne que la révolution énergétique a démarré. J’y souscris personnellement à 100 %, et tant que nous n’aurons pas trouvé une meilleure façon de stocker l’énergie, la biomasse pour la production d’énergie renouvelable restera nécessaire. Beaucoup d’exploitations agricoles ont investi des sommes considérables dans ces technologies.

Quels étaient ou quels sont les avantages à venir vivre, travailler, entreprendre en Allemagne de l’Est ?

Le gros avantage, c’était de pouvoir démarrer avec un capital propre assez réduit. Les salaires étaient bas, il y avait de l’espace et très peu de contrariétés de la part des autorités. Par contre, beaucoup de choses étaient négligées, et on courait donc de grands risques. Il était très difficile, sinon impossible, d’obtenir certains matériels et objets. Il n’y avait pas de vulgarisation, il fallait tout chercher soi-même, ce qui n’est pas facile dans un pays étranger.

Sur le plan de la qualité de vie, il est clair que nous nous sommes retrouvés quelques années en arrière par rapport à ce que nous avions en Hollande. Il était inutile de vouloir sortir, il n’y avait quasi plus de vie sur le plan culturel, en plus, de nombreux biens ordinaires étaient rares. Les changements ont été immenses en 25 ans. Nous serions arrivés, selon les estimations, à 85 % de parité par rapport au niveau de l’Europe de l’Ouest.

Vous faites à présent de la politique…

Nous sommes arrivés à cinq hommes, et je me devais d’intégrer ma famille dans la vie locale. C’est pourquoi je me suis impliqué personnellement dans différentes organisations. On m’a ensuite donné des responsabilités. Je n’ai pas trop mal réussi, vu qu’un jour, j’ai reçu la possibilité d’entrer en politique. Tout cela s’est fait en concertation avec ma famille (notre fils devait assumer ma charge de travail) et mon beau-frère Gerard Van Ginkel. J’ai saisi cette chance et jusqu’à présent, je ne le regrette pas.

À ce moment, je ne devais plus rien demander aux autres membres de la famille. Mon autre beau-frère, Piet van Kampen, a créé sa propre entreprise technique dès 1995. Mon frère Jan a quitté l’exploitation en 1999. Il trait à présent environ 2.000 chèvres. Mon frère Arnold a développé une exploitation ovine en 2005. Il transforme et commercialise lui-même le lait d’environ 200 brebis.

Vous arrive-t-il de repenser au passé ?

Quand j’y repense, je dois avouer que nous ne savions pas du tout ce qui allait nous arriver, les risques que nous allions prendre. Nous sommes arrivés au bon moment. On a dû travailler beaucoup mais finalement, tout s’est bien passé, et nous nous sommes assuré un bon avenir, pas seulement pour nous, mais aussi pour la nouvelle génération.

D’après VLTI

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