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Saskia Bricmont: «Cette réforme continue à soutenir l’agro-industrie, pas l’agriculture familiale»

Les principaux opposants aux textes de la réforme se trouvent chez les radicaux de gauche, une partie des socialistes mais surtout chez les écologistes. Dont Saskia Bricmont, pour qui cette nouvelle PAC soutient l’agro-industrie et non l’agriculture familiale. Pire, elle s’inscrirait en porte-à-faux par rapport aux objectifs du Pacte Vert.

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Les écologistes, qui réclamaient une nouvelle PAC « en cohérence » avec les objectifs européens en matière de biodiversité et de sécurité alimentaire, étaient amers à l’issue du vote, à l’instar de l’eurodéputée wallonne Saskia Bricmont.

Vous avez voté contre la réforme de cette PAC, quels sont les principaux éléments qui ont motivé ce refus ?

La PAC qui vient d’être votée reproduit celle des sept, voire des quatorze dernières années. La réforme continue à soutenir l’agro-industrie et non pas l’agriculture familiale dès lors que 80 % des aides publiques bénéficient à 20 % des plus grandes exploitations. La PAC prévoit bien des mesures de verdissement avec les éco-régimes qui font dirent à ceux qui soutiennent la réforme que cette PAC est plus verte que la précédente. Sauf qu’il s’agit d’un simple changement cosmétique ! De plus, la commission laisse toute latitude aux États membres pour mettre en œuvre ces éco-régimes, ce qui constitue une forme de renationalisation de la PAC. Certains s’investiront un maximum dans les éco-régimes en accompagnant le secteur agricole dans sa transition écologique, d’autres non. Prenez l’exemple de la Flandre : je pense qu’elle ne poussera malheureusement pas le curseur très loin contrairement à la Wallonie qui pourrait choisir de les utiliser à fond pour mettre en œuvre son accord de gouvernement et consacrer, par exemple, 30 % des terres à l’agriculture biologique.

Quelles étaient – et sont encore – les demandes du groupe des Verts ?

Ce que nous souhaitons, c’est accompagner les agriculteurs dans leur transition, assurer une juste rémunération et soutenir des modèles coopératifs, je pense ici à Fairebel dont l’objectif est d’assurer un revenu équitable aux producteurs laitiers, mais aussi les maraîchers et les indépendants qui se lancent dans d’autres types d’activités sans être nécessairement sur une exploitation agricole. Nous voulons surtout que le tiers du budget européen qui est alloué à la PAC serve réellement à une agriculture locale qui soit avant tout nourricière et non vouée en première intention aux marchés d’exportations. Nous voulions également encourager l’emploi agricole en ouvrant la possibilité de répartir les aides par unité de main-d’œuvre plutôt que par unité de surface, ce que nous n’avons pas obtenu. Seule la conditionnalité sociale est un reliquat de notre demande initiale. On peut estimer que c’est un pied dans la porte pour aller plus loin dans ce domaine, mais là, nous sommes partis pour sept ans…

Sept ans de malheur ?

Je dirais plutôt sept années durant lesquelles nous allons perdre du temps. Je sais que les écologistes n’apparaissent pas toujours comme les meilleurs alliés du monde agricole. Nous sommes pourtant d’un grand soutien à l’agriculture familiale, nous encourageons la diversité du paysage agricole, un élevage plus extensif qu’intensif avec un retour à la vocation initiale de l’agriculteur qui est de nourrir la population. D’un autre côté, nos terres ont besoin d’être régénérées, on doit revenir à des techniques qui permettent de lutter contre l’érosion des sols, capables de résilience en cas de sécheresse et de pallier les problèmes d’inondations. La commission nous a présenté une PAC qui avait été négociée en 2018, soit avant les élections, sans intégrer les nouveaux objectifs climatiques. Elle continue à encourager l’utilisation des pesticides dans une logique de rentabilité qui va tout à fait à l’encontre des objectifs de la stratégie « De la fourche à la fourchette » l’agro-industrie faisant qu’il n’y a plus de place pour une agriculture familiale.

Quelles sont vos propositions pour une agriculture européenne pérenne ?

Je comprends la colère du monde agricole auquel on demande beaucoup alors que la démarche vers une transition climatique doit concerner tous les secteurs. Les agriculteurs ne sont pas le problème, ils font partie de la solution et sont les premières victimes du dérèglement climatique. Les épisodes de sécheresse impactent leurs cultures, les maladies affectent leurs animaux, nous sommes d’ailleurs à nouveau entrés dans un épisode de grippe aviaire. Or, la recherche a prouvé que la propagation de la maladie flambe au niveau des élevages intensifs et industriels de volailles. Pour cette raison, mais aussi pour intégrer la dimension du bien-être animal, nous voulons encourager les exploitations de petite taille. C’est cette évolution qui permettra au secteur agricole de devenir résilient. On ne peut « dompter » la nature à l’aide de techniques agricoles qui l’épuisent et compromettent notre souveraineté alimentaire. Il faut revoir, dès maintenant, nos modèles de production.

Ne pensez-vous pas que les plans stratégiques nationaux pourraient justement y contribuer, notamment en Wallonie ?

Oui, dans le sens où nous avons, en Wallonie, un accord de gouvernement qui le prévoit. Ce qui n’est pas le cas pour d’autres pays et pas seulement ceux de l’est de l’Europe. Certains États membres ne vont pas spécialement pousser la logique « De la fourche à la fourchette » mais continuer à soutenir l’agro-industrie, un modèle duquel nous voulons absolument sortir. Nous voulons que les fonds de la PAC servent à encourager des modèles comme le nôtre. La stratégie « De la fourche à la fourchette » aurait d’ailleurs dû servir de boussole à la redéfinition de la politique agricole européenne en partant d’une logique de souveraineté alimentaire. On parle ici de travail des sols, la restauration de la biodiversité, de la préservation de la nappe phréatique, tout se tient au niveau de l’économie circulaire. Or, la PAC s’inscrit en contradiction avec cette approche.

Nous appelons à la cohérence des politiques. Les députés qui ont voté en faveur la stratégie « De la fourche à la fourchette » viennent de se prononcer pour une PAC qui tire dans le sens inverse. C’est un très mauvais signal…

Marie-France Vienne

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