Couverts végétaux permanents: absence provisoire de sanction mais pas de révision du décret!

Selon la ministre Céline Tellier et son administration, la différenciation entre un fossé et un cours d’eau pourrait être faite grâce au principe «de la main de l’homme».
Selon la ministre Céline Tellier et son administration, la différenciation entre un fossé et un cours d’eau pourrait être faite grâce au principe «de la main de l’homme». - D.J.

Depuis octobre 2021, les agriculteurs occupant une parcelle traversée par un cours d’eau sont contraints d’installer un couvert végétal permanent en bordure de ce dernier. Cette obligation est née en mai 2019, sous l’impulsion du ministre Carlo Di Antonio, d’un décret relatif à la protection des ressources en eau. Celui-ci précise : « Lorsqu’une terre de culture borde un cours d’eau, un couvert végétal permanent, composé de végétation ligneuse ou herbacée, est respecté sur une largeur de six mètres à partir de la crête de la berge. L’alinéa 4 du présent article ne s’applique pas aux parcelles exploitées en culture biologique telle que définie par l’article 3,10º, du Code wallon de l’Agriculture ».

En pratique et sur le terrain, cette disposition a rapidement posé problème, certains exploitants découvrant l’existence d’un cours d’eau potentiel au sein de leur parcelle ou voyant des fossés considérés comme tel lors de leur déclaration de superficie 2022. « En la matière, c’est clairement la définition de cours d’eau qui pose question. Celle-ci est précisée dans un décret du 4 octobre 2018 comme étant « une surface du territoire qui est occupée par des eaux naturelles s’écoulant de façon continue ou intermittente dans le lit mineur, à l’exclusion des fossés d’écoulement des eaux de ruissellement ou de drainage ». Les fossés ne sont donc pas concernés par l’obligation de CVP mais, sur le terrain et lors de la déclaration, les choses sont plus compliquées et la différence entre fossé et cours d’eau n’est pas toujours faite », explique Bernard Decock, conseiller au service d’études de la Fwa.

Absence de cartographie soulignée au préalable

Pourtant, le problème avait été annoncé par les pôles environnement et ruralité de la Fwa avant la mise en œuvre du décret. Ceux-ci avaient fait part aux législateurs de « leurs interrogations quant aux possibilités de financement de compensations pour les agriculteurs et à leur pérennité, aux modalités de gestion, ainsi qu’aux obligations découlant du vocabulaire utilisé ». L’absence de cartographie des surfaces impactées par la mesure avait également été soulignée ainsi que l’importance d’y remédier avant l’implémentation du décret.

Ces avis n’ont manifestement pas été pris en compte et, lors de la déclaration de superficie de nombreux commentaires et questionnements ont été notifiés à l’administration avec peu ou pas de retours. Néanmoins, en attendant la prise en compte de ces remarques, le mot d’ordre donné aux agriculteurs était d’implanter les couverts, même si le doute était présent.

Du côté du ministre Borsus

Questionné sur la problématique au Parlement de Wallonie en date du 4 octobre, le ministre Willy Borsus, en charge de l’Agriculture, a répondu : « En ce qui concerne les cours d’eau de 3e catégorie, il faut d’abord que la cartographie soit clairement en place et notifiée avant que quelque éventuelle sanction que ce soit ne puisse être prononcée. Pour ce qui n’est pas cartographié ni classé, donc les plus petits ruisseaux, cours d’eau de plus petite dimension, dont il est plus difficile encore d’établir la cartographie, nous avons convenu que non seulement il n’y aurait pas de sanction tant que la cartographie n’aura pas été établie, mais tant que le Gouvernement n’aura pas été saisi par l’administration du fait que cette possibilité de cartographier est bien là, existe bien et que la notification de cette cartographie est possible. Il y a, par rapport à cette catégorie non classée, un sas supplémentaire qui est le passage au Gouvernement, parce que l’on ne peut pas décemment aller sanctionner qui que ce soit si la cartographie n’est pas établie ».

Mais dans les faits…

Cependant, dans les faits, certains agriculteurs se sont vus notifier des infractions et annoncer des sanctions lors de contrôles déjà réalisés.

Sur base de tous ces constats la Fwa et les agriculteurs revendiquent la levée de tout contrôle et toute sanction pour les cours d’eau de 3e catégorie et non classés tant qu’une cartographie n’est pas établie, de façon contradictoire et notifiée aux agriculteurs. Elle demande aussi la révision de l’obligation pour les cours d’eau non classés et la prise en compte de la sécurité alimentaire avec une évaluation des proportionnalités entre l’impact de la mesure sur celle-ci et ses effets environnementaux réels.

L’injonction à l’administration

Face à ces demandes et en présence de quelques agriculteurs fortement concernés, la ministre Tellier rappelle que l’état des masses d’eau est problématique et que nous sommes dans une obligation de résultat et non plus de moyens vis-à-vis de l’Europe à ce sujet. « Une action est nécessaire. Elle fait d’ailleurs suite à d’autres actions telle que les interdictions de fertilisation ou de pulvérisation le long des cours d’eau qui sont en place depuis de nombreuses années. Il s’agit simplement d’une étape supplémentaire. Il faut se rappeler qu’on ne fait pas cela pour embêter les agriculteurs mais que nous avons des obligations environnementales réelles vis-à-vis de l’Europe ».

Elle relève bien la difficulté de différencier les cours d’eau non classés et les fossés et précise qu’une injonction sera donnée dans ce sens à l’administration : « Il sera demandé que la situation de terrain prime. En cas de doute, la décision sera prise au bénéfice de l’agriculteur et on considérera qu’il a raison. La cartographie actuelle est obsolète à bien des égards et les réalités de terrain seront intégrées dans les versions ultérieures. Le travail est déjà en cours et se fait notamment sur base des retours et remarques faites par les agriculteurs. Nous espérons avoir une version améliorée d’ici la fin de l’année ».

En attendant la cartographie

« En ce qui concerne les contrôles et pénalités, il est convenu que pour les cours d’eau de catégories 1 et 2, les sanctions soient maintenues car on voit clairement de quoi il s’agit. Par contre, pour les catégories 3 et non classés qui posent question, nous passerons par un système d’avertissement sans sanction avec vérifications sur le terrain s’il y a discussion. Je m’étonne d’ailleurs que des sanctions aient été données dans le cas de ces cours d’eau et j’insisterai bien sur ce point dans mon injonction. Néanmoins, il n’est aucunement question de retirer les cours d’eau de catégorie 3 et non classés du décret, seulement de reporter les sanctions le temps que la cartographie permette de les différencier des fossés , tous les cours d’eau repris dans le décret resteront bien concernés», explique la ministre au sujet des pénalités et de l’éventuelle révision du décret.

Au sujet des pertes de superficies de production, la ministre minimise l’impact rappelant qu’à l’échelle globale de la Région Wallonne la mesure ne concerne que 0,4 % des terres arables déjà souvent concernées par d’autres mesures. Et pour les agriculteurs ayant suivi les conseils de l’administration et mis en place les CVP alors qu’ils ne sont pas concernés ? On précise que d’autres mécanismes d’interventions et compensions sont disponibles et applicables dans la PAC pour financer ces couverts… Quelle aubaine!

D. Jaunard

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