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Au verger, un fossé sépare désormais les variétés pour professionnels et amateurs

Au sortir de la deuxième guerre mondiale, le nombre de variétés fruitières disponibles a fortement diminué, tant pour les professionnels que pour les amateurs. Pour ces derniers, il demeure toutefois possible de composer un verger diversifié qui apportera une production fruitière répondant à leurs attentes.

Temps de lecture : 12 min

Au cours du 20ème  siècle, l’assortiment variétal fruitier qui composait les vergers commerciaux et celui des jardins fruitiers familiaux ont profondément évolué. Jusqu’à l’entre-deux-guerres, ils n’étaient pas très différents, mais on pouvait déjà observer des changements, comme le développement de vergers professionnels intensifs où le nombre de variétés cultivées se réduisait et où différentes variétés venant d’autres pays prenaient de plus en plus d’importance.

Après la guerre 1940-1945, ce mouvement s’est accéléré pour en arriver à la situation actuelle. Ainsi, la production belge de poires se compose pour plus de 80 % d’une seule variété : ‘Conference’, née au Royaume-Uni à la fin du 19ème  siècle. Une situation à risques que l’embargo mis par la Russie sur les importations de fruits européens a confirmée.

Un autre facteur d’évolution différente des deux types de vergers est la protection juridique de plus en plus forte dont bénéficient la plupart des variétés commerciales nouvelles. La sévérité de cette protection diffère un peu selon les cas, mais elles sont inaccessibles aux jardiniers amateurs ou collectionneurs, lorsque l’achat et la culture de ces arbres sont réservés aux arboriculteurs professionnels qui ont conclu un contrat de culture avec le détenteur des droits. Pour eux, le temps de la liberté de choix appartient au passé !

Heureusement, bien que l’assortiment variétal non soumis à cette contrainte se soit réduit, il comporte encore un nombre suffisant de variétés pour permettre aux amateurs de composer un verger diversifié qui apportera à la famille une production fruitière qui répondra à ses attentes.

Des variétés fruitières précieusement protégées

La création de variétés nouvelles par hybridation est une activité de longue haleine puisque les résultats d’un croisement ne sont connus qu’après plusieurs années, lors de la première floraison et fructification du jeune semis, et qu’ils se confirment les années suivantes. Si le programme de création variétale prévoit plusieurs croisements successifs, il peut durer 20 à 30 ans !

Puisque cette activité entraîne des dépenses importantes, il est normal que l’obtenteur désire être remboursé des frais consentis, et davantage si possible en chargeant le prix de vente des arbres de « royalties » qui lui reviendront.

Mais un système de protection juridique plus vaste a vu le jour dans les dernières années du 20ème  siècle. Il consiste à créer une société qui détiendra tous les droits de propriété sur une variété : dénomination, multiplication, mise en culture chez des arboriculteurs agréés par elle, selon un cahier des charges qu’elle a défini, vente des fruits s’ils satisfont aux exigences de qualité fixées par elle, et même parfois interdiction d’utiliser la variété dans des croisements réalisés par des tiers. Ces sociétés ont été appelées « clubs ».

Dans le verger d’amateur, la conduite des fruitiers (ici : des cerisiers) ne sera pas  la même que dans les vergers professionnels.
Dans le verger d’amateur, la conduite des fruitiers (ici : des cerisiers) ne sera pas la même que dans les vergers professionnels.

Le plus connu en Belgique fait allusion en anglais à une « Dame rose » ; il s’agit d’une variété originaire d’Australie, dont le nom original était ‘Cripps Pink’ et qui a été débaptisée. Elle est trop exigeante en chaleur pour pouvoir être produite valablement chez nous, mais avec les changements climatiques, qui sait ?

Du point de vue des arboriculteurs, les clubs ont à la fois des avantages et des inconvénients. Côté avantage, on retiendra : lancement plus facile d’une variété nouvelle dans l’assortiment commercial ; constitution plus rapide de lots importants nécessaires pour la grande distribution ; meilleur soutien par une publicité plus importante dans les médias ; et présence continue sur le marché par complémentarité entre les productions des hémisphères Nord et Sud.

Et au rang des inconvénients : perte d’indépendance des arboriculteurs : ils doivent être agréés, se soumettre au cahier des charges qui précise les techniques culturales ; obligation de livrer toute la production au club ; en cas de dégâts climatiques (grêle, par exemple), pas de vente possible d’un deuxième choix de fruits frais ; et financement du club par les adhérents, avec un risque d’opacité des comptes annuels de celui-ci…

Un patrimoine à conserver et diffuser

Après la seconde guerre mondiale, on a assisté à une diminution générale du nombre de variétés fruitières disponibles dans les pépinières, tant pour les professionnels que pour les amateurs. Pour les premiers, le commerce de gros et surtout la grande distribution – qui se développait jusqu’à atteindre désormais une proportion de trois quarts du volume de fruits – voulait une diminution de l’assortiment afin de rationaliser les opérations commerciales.

À partir des années 1970, ce mouvement de régression de l’assortiment qui paraissait inexorable a connu un arrêt par la mise en place au Centre de recherches agronomiques de Gembloux d’un programme de conservation des variétés fruitières anciennes. Dans tout le pays, Charles Populer inventoria les collections des écoles d’horticulture, des stations de recherches et des pépinières ; via les médias, il fit appel aux particuliers qui cultivaient un verger. Ainsi fut créée une collection de plus de 2.500 variétés le plus souvent anciennes qui est gérée actuellement par Marc Lateur et ses collaborateurs.

Ils ont créé ou supervisé un réseau de vergers conservatoires, diffusé du matériel végétal certifié d’une cinquantaine de variétés fruitières que les pépiniéristes adhérents diffusent avec le label « Certifruit », réalisé différents documents explicatifs qui permettent aux amateurs d’acheter des arbres en parfaite connaissance de cause, et organisé dans des associations locales et des cercles horticoles de nombreuses séances d’informations sur la conduite de vergers.

‘Jonagold’ née en 1943 aux États-Unis  et diffusée en Europe vers 1965 est probablement la dernière variété importante libre de multiplication et de commercialisation.
‘Jonagold’ née en 1943 aux États-Unis et diffusée en Europe vers 1965 est probablement la dernière variété importante libre de multiplication et de commercialisation.

En Région flamande, une association appelée « Nationale Boomgaarden Stichting », dont l’activité des membres est bénévole, s’intéresse aux nombreux aspects scientifiques et techniques, ainsi qu’aux traditions de l’arboriculture fruitière. D’autres associations locales ou régionales ont inclus l’arboriculture dans leurs centres d’intérêt. En France, l’association des « Chasseurs de pommes » organisée dans différents départements a une activité similaire.

En analysant la composition de l’assortiment variétal fruitier proposé actuellement par les pépiniéristes aux jardiniers amateurs, on constate qu’il se subdivise en trois groupes dont l’origine diffère : les variétés de terroir, les variétés d’obtenteurs et les variétés du 20ème  siècle.

La nostalgie des variétés de terroir

Les variétés de terroir sont les plus anciennes ; leur origine exacte est souvent inconnue, si ce n’est le fait qu’elles étaient initialement présentes dans une zone géographique précise. Comme elles ont été recueillies dans les vergers haute-tige des campagnes, on les appelle aussi « variétés paysannes ». Ces vergers pâturés sont associés comme activité complémentaire à de l’élevage.

Leur diffusion pouvait s’étendre à une région plus vaste si leurs qualités techniques et commerciales étaient très bonnes. Parfois, elles ont alors une autre dénomination synonyme de la première. Par exemple : pomme ‘Reinette de France’, très présente en Belgique dans la Haute vallée de la Meuse ; pomme ‘Reinette de Waleffe’, originaire de ce village de la Hesbaye ; prune ‘Sainte-Catherine’, présente dans le sud de l’Entre-Sambre-et-Meuse ; griotte ‘de Schaerbeek’, cultivée au sud-ouest de Bruxelles, poire ‘Légipont’ = ‘Fondante de Charneu’ diffusée par M.Légipont dans le Pays de Herve.

Certaines de ces variétés de terroir font l’objet d’une double nostalgie : la nostalgie du nom ou celle des qualités techniques des arbres plantés par les parents ou grands-parents dans leur jardin. Or, souvent la nostalgie embellit les souvenirs de notre enfance.

Ainsi, par exemple, la variété de pomme ancienne la plus souvent citée à cet égard est la ‘Reinette étoilée’, dont la couleur de la chair et le dessin rose de celle-ci en coupe transversale est un souvenir vivace. Pourtant, si on analyse objectivement les caractéristiques de cette variété, à côté de qualités indéniables, elle présente aussi quelques défauts majeurs : elle ne peut se cultiver qu’en haute-tige, sa vigueur est très forte les premières années, le calibre des fruits est inférieur à la moyenne, ils sont sujets à une chute prématurée avant la prise de la coloration, une sensibilité forte à la tavelure, une durée de conservation courte (6 à 8 semaines après quoi les fruits perdent leur goût et deviennent farineux), la mise au froid ne prolonge guère la durée de conservation.

Parfois leur zone de culture faisait fi des frontières : des variétés du Pays de Herve se retrouvent également dans le Limbourg belge, le Limbourg hollandais et la Rhénanie. Dans cette région, les poires et les pommes des variétés anciennes étaient et sont encore principalement destinées à la production de « sirop », consommé tel quel ou dans des préparations culinaires régionales.

Les variétés d’amateurs, témoin d’une certaine passion

Dès la seconde moitié du 18ème  siècle, et jusqu’à la fin du 19ème, la collection et la création de variétés fruitières connurent auprès de personnages fortunés une vogue extraordinaire : noblesse, haute-bourgeoisie, clergé d’Europe occidentale ont rivalisé en diffusant des variétés dont le nom faisait allusion à leur créateur. C’est par exemple le cas de la poire ‘Beurré d’Hardenpont’ créée par l’abbé du même nom à Mons vers 1759.

D’autres dénominations font allusion à un événement, à un lieu ou à une particularité du fruit : ‘Doyenné du Comice’ fait référence au Comice agricole d‘Angers de 1845, ‘Belle de Boskoop’ (1853) à ce village hollandais de pépiniéristes, et ‘Golden delicious’ (1890) à la coloration jaune doré de l’épiderme de cette pomme qui est encore la plus cultivée au monde.

Les variétés du 20ème  siècle, pour allier diverses qualités

Avec le progrès des connaissances, et en particulier de la génétique, la création de variétés par hybridation connaît au 20ème  siècle un essor considérable dans les stations de recherches et chez les pépiniéristes. On cherche à allier les qualités de variétés choisies comme géniteurs pour une hybridation unique ou plusieurs croisements « en cascade ».

Dans le choix des géniteurs, la priorité est donnée de plus en plus au comportement envers les bio-agresseurs, dans un contexte général de réduction des traitements phytosanitaires et la transmission des caractères à la descendance est de mieux en mieux connue. Jusqu’au milieu de ce siècle il n’est guère question de protection juridique.

‘Jonagold’ née en 1943 aux États-Unis et diffusée en Europe vers 1965 est probablement la dernière variété importante libre de multiplication et de commercialisation. Un bon nombre de ces variétés commerciales sont aussi intéressantes pour les jardiniers amateurs.

Par exemple les pommes ‘Elstar’ : croisement de ‘Golden delicious’ et ‘Ingrid Marie’ créée aux Pays-Bas à la Station de Wageningen en 1955 ; ‘Alkmene’ : croisement de ‘Cox’s Orange Pippin’ et ‘Geheimrat Oldenburg’ créé en Allemagne à la Station de Munchenberg ; ‘Delbardestivale’ : croisement de ‘Jongrimes’ et ‘Golden delicious’ aux pépinières Delbard (Commentry-France) en 1974.

C’est aussi le cas de la poire ‘Concorde’ : croisement de ‘Doyenné du Comice’ et ‘Conference’ à la Station anglaise d’East-Malling en 1984 et de la cerise ‘Lapins’, croisement des bigarreaux ‘Van’ et ‘Stella’ à la Station canadienne de Summerland en 1965.

Au 20ème  siècle, la sélection de mutations qui portent principalement sur la coloration des fruits mais aussi sur la vigueur des arbres est surtout le fait d’arboriculteurs qui les ont repérées dans leurs plantations puis diffusées par eux-mêmes ou cédées à un pépiniériste. ‘Jonagold’ par exemple a donné naissance à un nombre de mutations de l’épiderme tellement grand qu’elles sont désormais classées en plusieurs sous-familles : coloration lavée, coloration striée, rouge clair, rouge foncé…

Parmi les variétés modernes, ‘Elstar’ et ‘Gala’ ont aussi manifesté une forte tendance naturelle à donner des mutants. Les mutations portant sur le calibre et surtout sur la couleur des fruits sont avantageuses spécialement pour les producteurs professionnels en raison de prix plus élevés obtenus dans le commerce.

À partir des années 1950, la virologie des espèces fruitières et leur assainissement d’un ou plusieurs virus ou organismes proches a permis d’améliorer la productivité et la qualité des fruits, mais aussi différents comportements des arbres, comme la vigueur. Pour cela, on a recouru initialement à la thermothérapie et plus récemment aux biotechnologies. Ainsi, à côté de la variété « standard » non contrôlée qui peut être porteuse d’un ou plusieurs virus, il existe un matériel végétal – sujets porte-greffe et variétés – certifié indemne de certains virus ou de « tous les virus connus ».

Il va de soi que les avantages des arbres sains sont aussi profitables pour les amateurs que pour les professionnels.

Planter des variétés anciennes

Dans les jardins actuels, les variétés anciennes, qu’elles soient de terroir, d’amateurs ou du 20ème  siècle peuvent entrer dans la composition d’un verger selon trois modes de conduite : un verger haute-tige ou demi-tige « à l’ancienne », un verger basse-tige d’arbres conduits en fuseau ou en buisson, ou des arbres palissés en espalier ou en contrespalier. Le choix des arbres sera différent pour chaque cas.

Pour des arbres haute-tige ou demi-tige, il faut choisir des variétés vigoureuses, et bien examiner le système radiculaire (sain et bien développé), l’aspect de la tige (bien droite, sans de nombreuses cicatrices, à fort diamètre), du point de greffe (sain et en voie de cicatrisation), et de la couronne (de 2 ans, à branches bien équilibrées). La majorité des variétés de terroir d’espèces à pépins, de pruniers et de cerisiers conviennent puisque dans le passé, elles ont été sélectionnées pour ce mode de conduite. Il faut éviter de planter à trop faible distance (une erreur fréquente et sans solution) : 10 à 12 m est un minimum en haute-tige.

Pour les arbres basse-tige, les mêmes critères sont à retenir, avec en plus des variétés de vigueur faible qui se ramifieront plus rapidement. D’autres espèces (pêchers, abricotiers, cognassiers) peuvent entrer dans ces vergers. Le choix est donc beaucoup plus grand. La surface libre minimum pour chaque arbre est de 6 à 8 m² pour les fuseaux de fruits à pépins et de 10 à 12 m² pour les buissons, et de 15 m² pour les fruits à noyau et les cognassiers en buisson.

Pour les arbres en forme régulière, on choisira des espèces à pépins de faible vigueur, qui se ramifient facilement ; toutes les formes peuvent être envisagées. Les espèces à noyau sont moins bien adaptées à cette conduite : les pruniers et les cerisiers à fruits doux sont à exclure ; les griottiers et les pêchers peuvent être formés en « palmette à la diable », une forme moins stricte. Les distances de plantation diffèrent selon la forme choisie. Il est préférable de choisir des sujets dont la formation est commencée.

Dans tous les cas, il faut tenir compte des règles de fécondation.

Comme l’époque idéale des plantations approche, il est prudent de se renseigner dès à présent auprès des pépiniéristes puis de réserver les arbres afin d’être livré fin novembre. Cela laissera le temps d’effectuer à temps les travaux préparatoires : trous de plantation, amendements, engrais de fond…

Ir. André Sansdrap

Wépion

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